Fillon martyr : étude de texte
Puisque Monsieur Fillon emploie son temps à se faire passer pour le Saint Sébastien de la politique française, il m’a paru intéressant de procéder à une minutieuse analyse de texte d’une minute de son discours de Charleville-Mézières, prononcé le 2 février 2017.
Voici d’abord la transcription exacte d’une minute de discours, que je vais décortiquer ensuite :
Je suis sous le feu continu d'attaques d’une violence inouïe …Mais je ne peux pas vous cacher que j’éprouve de la colère, que j’éprouve une colère froide, face à toute cette meute qui se complaît dans cette entreprise de démolition, et qui pense s’affranchir de la politique parce qu’ils s’affranchissent de toutes les règles. Je comprends que la presse fasse son travail, mais je n’accepte pas, comme le soulignait l’avocat maître Dupond-Moretti hier sur Europe 1, que certains après coup s’arrogent le droit de construire le bois de justice sur lequel je suis sommé de prendre place sans tarder. (ovations idolâtres) Après tout, le jugement viendra après, le jugement est secondaire puisque c’est pas ce qui les intéresse. Parce que je ne suis pas dupe. C’est pas la justice que l’on cherche, c’est à me casser.
- Je suis sous le feu continu d'attaques d’une violence inouïe
Certes, mon petit lapin. Mais pose-toi la question : si, depuis plus d’une semaine, tu ne t’acharnais pas à finasser sur les révélations du Canard enchaîné, qui sont bien des révélations et non des calomnies, ça se passerait peut-être mieux pour toi. Car non seulement le Canard, qui n’est pas tombé de la dernière pluie, savait bien que tu contre-attaquerais, mais, comme je l’avais prédit, il avait d’autres révélations en stock.
- Mais je ne peux pas vous cacher que j’éprouve de la colère, que j’éprouve une colère froide
On ne va pas t’en faire le reproche. Mais sache bien que le peuple, à qui tu demandes tant de sacrifices alors que tu t’engraisses, et tes proches avec toi, sur le dos de la République, éprouve non seulement une colère froide mais une colère brûlante. Mercredi dernier, au Conservatoire où j’attendais mes gosses en compagnie de bourgeois de modeste extraction comme moi, on ne parlait que de ça ; et je peux te dire que notre ire n’était pas froide, mais déchaînée, comme le Canard.
- face à toute cette meute qui se complaît dans cette entreprise de démolition, et qui pense s’affranchir de la politique parce qu’ils s’affranchissent de toutes les règles.
D’une part, je te fais observer que tu passes intempestivement du singulier au pluriel ; pratique anglophone peut-être héritée, par contamination, de ta malheureuse épouse que tes mensonges ont précipitée devant les feux de la rampe. Quant aux règles, ce qui cause notre irritation, c’est que non seulement tu t’es livré à des pratiques certes légales mais douteuses –népotisme familial– mais que même tes « copains d’avant » ne te croient plus quand tu dis que ces emplois étaient réels (des enfants étudiants, promus attachés parlementaires, tu plaisantes ! Il est vrai que tu les croyais déjà avocats ; on voit que tu t’occupes bien de tes gosses…). Alors, qui s’est « affranchi de toutes les règles » ?
- Je comprends que la presse fasse son travail
Et elle le fait magnifiquement, y compris la télévision publique qui vient de dénicher une vidéo où ta vertueuse épouse ne dit pas la même chose que toi –à moins qu’elle n’ait pas été au courant des salaires que tu lui faisais verser sur ton compte soi-disant unique.
- mais je n’accepte pas, comme le soulignait l’avocat maître Dupond-Moretti hier sur Europe 1, que certains après coup s’arrogent le droit de construire le bois de justice sur lequel je suis sommé de prendre place sans tarder
Ah ! ce « bois de justice » ! Ça fleure bon le Moyen-Âge. Eh bien oui, cette fois, ce sera peut-être sans tarder. Mais si tu es mis en examen, nul doute que tu feras comme Cahuzac, la dynastie Le Pen, et tous ces riches politiciens qui peuvent se permettre le luxe d’aller en appel, puis en cassation, puis en ceci et en cela, afin de tenir, comme M. Dassault, jusqu’à un âge si avancé qu’on n’ose plus les mettre en prison. Courage, Fillon ! la lutte est longue !
- Après tout, le jugement viendra après, le jugement est secondaire puisque c’est pas ce qui les intéresse.
J’ai pas bien compris ta phrase. Mais qui te dit que le jugement ne nous intéresse pas ? Moi, il m’intéresse beaucoup, et j’espère qu’il sera à la mesure de tes « vérités alternatives ». Mais, si tu te rappelles tes années de catéchisme, il y a un autre Jugement, un autre personnage suprême que tu pries peut-être tous les jours. Lui, il n’est dupe de rien, on ne peut rien lui cacher. Lui, il sait ce que tu as fait ou pas fait. À lui, on ne raconte pas des salades. Alors, plutôt que de t’enfoncer, repens-toi, demande-lui et demande-nous pardon.
- Parce que je ne suis pas dupe. C’est pas la justice que l’on cherche, c’est à me casser.
Ben oui : on cherche à te casser. D’ailleurs, je vais te citer un psaume de la Bible que tu as peut-être entendu à la messe (les psaumes sont en deuxième lecture, tu te souviens). Je te dirai ensuite qui en est l’auteur, tu verras, ça ne manque pas de sel : « Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un esprit brisé ; Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé. » (Psaume 51.17) Eh bien, sais-tu qui était cet homme au « cœur brisé et broyé » ? C’était un roi, un roi d’Israël, David. Il y a trois mille ans, lui, il a eu le courage de reconnaître, et de reconnaître publiquement, qu’il s’était déshonoré dans une affaire d’adultère et de meurtre. Un roi ! Alors, oui, je te souhaite d’être brisé et broyé. C’est la meilleure chose qui puisse t’arriver, spirituellement et politiquement. Avec des paramètres tout autres, j’y suis passé, et c’est une purge salutaire (au sens sotériologique). Car si tu ne l’acceptes pas, effectivement, tu seras cassé. D’ailleurs, c’est déjà fait, et je ne vois pas comment tu vas sortir gagnant de cette affaire, de ces affaires.
Et moi, cher François, je souhaite que ce qui est encore caché soit dévoilé. Nous avons échappé à DSK grâce à l’affaire du Sofitel. Nous allons échapper à tes projets antisociaux grâce à la mise au jour de tes petits arrangements. Le Canard a encore pas mal de pain dans le bec. Il a fait une œuvre républicaine. Et le jeu de massacre n’est sans doute pas fini.
Donc, sache bien que notre colère n’est pas froide : elle est ardente ! Et, par ta faute et celle de certains de tes collègues de droite et de gauche, on va peut-être se retrouver gouvernés par la Castafiore de Montretout pour qui des idolâtres vont voter même en sachant que son rapport à l’argent est encore plus suspect que le tien. Voilà où vous nous avez menés. Maintenant, il va falloir payer. Tu ressens de la colère, mais tu n’imagines pas à quel point la nôtre mijote depuis des décennies.
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