La démocratie a tué le progrès !

Les gens ne croient plus en la politique. C’est ce qui se dit dans les milieux intellectuels. Les politiciens continuent à croire en la politique ou du moins à l’affirmer dans les journaux ; c’est logique, ils en vivent. Continuons le cliché. Les élites apprécient les politiques et c’est logique, car des derniers vont vivre leurs affaires. Pour finir, les gens de condition modeste ou moyenne, ce sont eux qui ne croient plus dans la capacité des politiques à leur proposer une vie meilleure et résoudre leurs problèmes. Ce qui sous-entend que les gouvernements élus doivent régler le plus de problèmes présents dans la société. Quelques politiciens et non des moindres répètent à l’envi cette formule dont on se demande si elle n’a pas des pouvoirs magiques, « répondre à l’attente des Français ». Une formule qui ne prend son sens que si elle sous-entend que les Français on été entendus après avoir exprimé leur attentes. Ou ça ? Par exemple dans la salle d’attente de la permanence de l’élu du coin. D’ailleurs, toute permanence se devrait d’apposer cette affiche à l’entrée de la pièce ou l’on patiente avant d’être reçu dans le bureau par l’élu : « salle des attentes ». Mais il faudrait aussi mettre dans la disposition une sorte de cahier ouvert aux plumes citoyennes et dont la dénomination serait « registre des déceptions ». Il se dit en effet dans les milieux médiatiques mais aussi intellectuels que les citoyens sont déçus de la politique. Cette vision est très contemporaine. Elle suppose que parmi les nombreuses taches de la politique, l’une des plus importantes se résume à proposer un ensemble de mesures octroyées au citoyen comme si les instances gouvernantes se comportaient comme une agence de services.
Il y a peu, j’ai entendu un politologue suggérer que pour rapprocher les citoyens de la vie politique, il faudrait se doter de moyens permettant de sanctionner un élu jugé coupable de mauvaise gestion des affaires publiques. Ce qui constitue une vision assez utilitaire, pour ne pas dire clientéliste. Mr Socialo ne vous convient pas, eh bien changez de parti et élisez Mr Popu, après tout, il y a deux ans, vous avez bien quitté Opel pour essayer Peugeot. Cette proposition d’un politologue illustre bien la perplexité contemporaine des intellectuels qui ne savent plus comment redonner des couleurs à la politique et tentent des solutions bricolées dont on sait bien qu’elles ne sont pas plus efficaces qu’un cataplasme posé sur un bras fracturé. D’autres penseurs de grande envergure, comme Pierre Rosanvallon, se proposent de réfléchir à l’état de la démocratie pour la repenser. Chacun verse son obole pour alimenter le réservoir des solutions pour l’avenir. Mais rien ne semble marcher, pour autant que ces idées aient été appliquées.
N’y aurait-il pas un vice de forme dans la pensée politique ? La démocratie est une notion vague. Le concept de démocratie est vide, sans contenu, quand il vise d’universel et se vide de sa substance quand il vise les définitions particulières du régime démocratique. C’est quoi cette démocratie ? Elire des représentants, oui, mais cela ne dit rien sur le fonctionnement d’un régime ainsi conçu. Peut-être faudrait-il changer d’angle de vue et étudier non pas la démocratie mais la place du politique. Justement, l’une des interrogations fondamentales devrait questionner le dispositif opérationnel et tactique de la gouvernance. Le politique tend à vouloir englober l’existence. Alors que pour servir les finalités humaines, le politique devrait être incorporé à l’existence. Que de contorsions intellectuelles et sans doute d’impasses que ni Rousseau ni Hegel et encore moins Marx ont résolues. Allez savoir, c’est peut-être quand on n’attend rien du politique qu’on est agréablement surpris alors que si on attend trop, on est déçu.
Revenons aux fondamentaux. Que cela soit explicite ou subconscient, l’individu espère que l’action politique contribuera à faire que sa vie soit meilleure à l’avenir que par le passé. Un philosophe anglo-saxon scrupuleux fera remarquer que la pensée politique moderne met à l’écart le côté moral ou éthique et doit s’appliquer à théoriser l’Etat. Seuls les classiques avaient en tête l’idée d’une cité tendant vers le bien. Mais Aristote n’avait pas la notion du temps telle la modernité s’est employée à la façonner avec cette idéologie du progrès et ce bonheur, qui fut une idée neuve en Europe selon Saint-Just. Peut-être y eut-il un malentendu entre l’homme moderne et le progrès, tout comme un malentendu présida au divorce entre Dieu et l’homme. D’ailleurs, c’est à se demander si l’homme, animal entendant, n’est pas prédisposé au malentendu.
L’individu contemporain veut que demain, sa vie soit meilleure. On pourrait lui rétorquer que son vœu n’est pas forcément exhaussé par la politique et qu’il doit miser sur des tas de choses prosaïques comme saisir une occasion, travailler à bâtir une existence, prendre soin de ses proches, cultiver Epicure, etc. De plus, comment apprécier ce que sera une existence meilleure, plus heureuse, quand on ne se souvient plus exactement du passé, les uns étant hantés par de mauvaises expériences, les autres idéalisant des instants de bonheur qui sur le moment, n’étaient pas perçus à leur juste valeur. Quant à l’avenir, il est tout aussi impalpable que le résultat d’une loterie et ne se déroule jamais comme on l’a imaginé. L’avenir repose sur une part de croyance ou bien sur des données plus rationnelles mais assez prosaïques. Et puis la vie fait que l’existence n’est pas linéaire ni maîtrisable en totalité, si bien qu’on passe d’un bien-être à un mal-être sans l’avoir voulu, en fonction des circonstances, des rencontres, des surprises ou hélas des accidents. Bref, l’idée que le politique puisse intervenir largement pour rendre chaque existence meilleure est une idée qui, si elle a fonctionné un temps, n’a pas résisté face au réel. Le progrès au sens matériel du terme a été une évidence. Par contre, le progrès au sens « moral » reste irrésolu et s’il a été revendiqué abusivement par quelques mouvances politiques, maintenant, c’est le retour de balancier avec les déclinistes qui certainement, exagèrent la régression de l’Occident.
Un constat néanmoins. Depuis trois décennies, la croyance en un progrès tangible et partagé par tous s’est estompée, tout comme l’idée qu’une action collective politique et publique puisse améliorer les situations quotidiennes. Ces idées se sont répandues dans les sociétés et notamment en France. Déjà, la fin des années 1980 a vu se dessiner les premiers symptômes d’une société se fissurant, avec la galère des banlieues et les TUC pour les jeunes sans emploi. La fracture sociale fut le thème choisi par Jacques Chirac fin 1994. Thème présent dans les grèves de décembre 1996, avec la crainte pour les générations qui vivront moins bien. En 2002, les votes sont devenus protestataires. En 2007, c’est par dépit, habitude et illusion que les Français ont préféré Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. En 2012, les citoyens seront conscients que la finance publique vacille et ne permet plus aucun levier politique pour le progrès, même matériel. La croyance en un avenir meilleur ne peut plus se réveiller. La confiance dans le politique reste une confiance a minima, les citoyens espérant que le prochain gouvernement saura au moins préserver le système et protéger les gens des menaces qui pour une bonne part, sont imaginaires.
La plupart des penseurs du politique ont oublié la nature humaine telle qu’elle se façonne. Il faut un minimum pour un élan politique traversant la société, un peu de conscience éthique, de souci de l’autre. Un système où chacun prend le politique comme un moyen pour préserver ses intérêts n’a plus rien de politique. Les intellectuels peuvent bien bricoler la république et les politiciens proposer des programmes, tout ceci est vain si l’individu n’a plus d’intentions citoyennes.
Les dernières espérances dans la politique du progrès remontent aux années 1960 et 1970. Les braises du grand récit étaient encore présentes, enflammées une dernière fois avec mai 68, puis attisées par l’élection de Mitterrand. En 1983 c’était fini. Madonna perçait. Police finissait de bercer les futurs bobos.
Le progrès, c’est un peu comme les religions. Il y eut les moments prophétiques, avec Rousseau, Saint-Just, Saint-Simon, Auguste Comte. Puis les moments canoniques, la Troisième République, le solidarisme, le socialisme et l’élan gaullien doublé du printemps de la jeunesse occidentale avec Joan Baez, Bob Dylan, Dany le rouge et Marcuse. Ensuite, l’homme a délaissé le progrès, après avoir congédié Dieu. Ne croyons pas que Dieu n’est pas et que le progrès n’existe pas. C’est l’homme qui n’est plus à la hauteur. Pourquoi ? Vous connaissez la réponse.
Nietzsche aurait dit, le progrès est mort, ce sont les électeurs qui l’ont tué, en obéissant aux politiciens, en croyant à ce que racontent les journalistes et en s’intéressant à leurs affaires ! Cette hypothèse mériterait un beau livre dont le titre serait :
La démocratie a tué le progrès
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