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La pensée Powerpoint

Le formidable succès d’un outil qui formate l’univers des cadres en entreprise et leurs interactions.

« Tu n’as pas fait de slides ? » La réflexion est tombée, à la fois étonnée et un peu cassante. Mais je plaide coupable, je pouvais m’y attendre.

Eh bien non, crime de lèse-bureautique, je n’ai pas fait de « slides », j’ai rédigé un document, avec des phrases de plus d’une ligne, de la ponctuation - foire aux points et aux accents circonflexes -, des paragraphes détachés les uns des autres, des propositions principales et subordonnées, des enchaînements logiques, des formulations complexes. En somme j’ai écrit une note, un mémo, quelques pages dans cette langue oubliée qu’est le français, que nous avons tous un jour pratiquée à l’école.

« Tu n’as pas fait de slides ? » Mais c’est vrai comment faisait-on avant ? Comment pouvait-on survivre dans la jungle des présentations et des réunions, sans notre ordinateur et un rétroprojecteur ? Comment pouvait-on exposer une pensée, décrire un marché, évoquer un plan d’affaires, mettre en place une organisation, sans l’aile de Powerpoint ? On ne sait plus très bien, cela s’est dissout dans notre mémoire, comme cette époque où le courrier électronique n’existait pas, où le téléphone portable était le fruit de l’imagination des auteurs de science-fiction, où la photocopieuse était un privilège accessible aux seuls membres de la direction générale. Pourtant on travaillait quand même, les usines produisaient, les cadres encadraient, les directions dirigeaient, le tout sans Powerpoint. Étrange époque.

« Tu n’as pas fait de slides ? » C’est vrai, c’est tellement plus pratique, condenser une présentation, un travail de plusieurs jours ou plusieurs semaines en quelques lignes, en quelques schémas. Avec Powerpoint on précipite, au sens propre et figuré, la pensée, on raccourcit l’horizon de la prise de parole et des réunions. Alors aujourd’hui, plus une réunion sans Powerpoint, plus de document qui ne soit accompagné de son .ppt, la formule magique de nos communications. En très peu de temps, un outil de productivité bureautique a ainsi envahi le champ du travail de tous les cadres ; il est devenu la prothèse indispensable de leur discours et de leurs interactions. Ce changement a été fulgurant, quelques années tout au plus, transformant en profondeur la formulation de l’expression collective et collaborative en entreprise.

« Tu n’as pas fait de slides ? » Impossible désormais de penser sans notre béquille Powerpoint, sans formaliser notre démarche intellectuelle pour Powerpoint. L’outil a formaté sa substance, le contenant Powerpoint nous oblige à penser le contenu différemment. De la même façon que des générations d’écoliers ont appris à penser sur la base d’un schéma « thèse/antithèse/synthèse », des millions de cadres dans le monde ont appris à communiquer entre eux sous forme de « slides », comme une espèce de novlangue managériale. Faire court, percutant, utiliser la bonne police, utiliser les animations - étape qui permet d’afficher sa maîtrise de l’outil -, gommer la complexité. Voilà, ma présentation est impeccable.

« Tu n’as pas fait de slides ? » Oh, il n’y pas de plan machiavélique derrière tout ça, pas de main invisible démoniaque - une espèce de grand complot Microsoft -, seulement un outil qui a connu un succès fulgurant. Néanmoins, cela, lorsqu’on s’y arrête, a quelque chose de dérangeant : une standardisation de nos raisonnements, une vraie forme de pensée unique, un formatage de nos disques durs cérébraux. En fait Powerpoint est un formidable raccourci de notre monde : il favorise la rapidité, une forme d’efficacité factice, une communication lisse où la forme prédomine sur le fond. Un monde où l’image prime : consensuelle en surface, souvent pauvre en profondeur, jolie mais un peu creuse. Powerpoint est finalement à l’image de notre société.

« Tu n’as pas fait de slides ? » Que se passerait-il demain si nous n’avions plus Powerpoint, si nous devions revenir à nos bons vieux mémos - vous savez ces phrases si longues à écrire où un peu de complexité pour le rédacteur et de difficulté pour le lecteur pourraient émerger ?- que ferions-nous ? Serions-nous des managers perdus et anxieux, des animateurs de tables rondes et autres colloques déprimés, des cadres orphelins ? Peut-être pendant quelques semaines, mais j’espère que nous nous en remettrions. En tout cas se poser préalablement la question du choix de nos outils et de leur utilisation, de la façon dont nous élaborons, puis présentons, notre travail, serait sûrement utile.

Bon, là, tout ça, c’est bien joli, mais je retourne à mes « slides ».

Powerpoint est une marque déposée.


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18 réactions à cet article    


  • Alex Chauvin (---.---.28.95) 1er octobre 2005 15:01

    Bonjour, vous avez bien raison sur le fond, je suis partisant également de l’écrit, considérant que le mémo est même souvent un peu trop raccourci et ne doit être utilisé que pour synthétiser une reflexion ou étude plus élaborée.

    Pour mémoire l’accident survenu sur Columbia en 2003 et dont l’analyse de risque alors qu’elle était encore en orbite a principalement été faite sur la base d’une présentation. L’analyse de celle-ci dans l’URL jointe.

    Alex.


    • (---.---.231.52) 1er octobre 2005 15:38

      On peut faire des slides sans Powerpoint. Avec Keynote, Koffice, openOffice ....


      • JC Morand (---.---.4.153) 1er octobre 2005 17:45

        Avant on s’encoublait et tombait de l’estrade sans slide ou dans les fils du micro.. bref les accessoires d’une présentation ne rempaceront jamais l’éloquence et la connaissance de l’intervenant. Avez-vous remarqué que les plus brillants ne regardent presque jamais leurs slides...ils déroulent leur thèse comme un roman qui aurait gagné un prix Goncourt. Les slides que j’utilise c’est comme ma voiture, elles me servent d’aller d’un point à un autre..celui de la connaissance limitée à la connaissance un peu plus grande... iriez vous à pieds de Rouen à Paris ? Il m’est même arrivé de faire des présentations devant des assemblées de cadres sups avec une marionette. Je pense qu’ils doivent tous s’en souvenir... mais je ne suis pas certains qu’ils se rappelent de quoi je leur parlais.


        • Didier Roubinet (---.---.84.93) 1er octobre 2005 21:35

          le formatage Powerpoint ne répont-il tout simplement pas au formatage des cerveaux, au nom de l’efficacité du raisonnement et de la « com », dans les écoles d’ingénieurs et de commerce ?


          • simux (---.---.26.52) 1er octobre 2005 23:38

            aargh ce genre de monopole semble certes dommageable, pourtant, il y a un postulat implicite dans l’exposé, qui rend la souffrance de l’utilisateur fautif (quoi ?! pas de slides !!!??!) plus criante, c’est celui qui voudrait que le cadre pense... aussi, l’uniformisation apparaît moins scandaleuse si on pense que c’est simplement une nouvelle machine que le travailleur doit maitriser, d’autant qu’il passe pour cela qualques dizaines d’heures de formation payées par son patron à buller en crachant sur le progrès technique. c’est un peu comme si un chauffeur de bus se plaignait d’avoir un nouveau bus plus long que le précédent. il y aura bien des carrefours impossibles à prendre, mais pourquoi la destination resterait elle inaccessible ? quel graal vous éblouit tellement que vous croyez qu’il ne s’offrira qu’à l’immatérielle pureté de votre âme décharnée, dépouillée de ses artifices matériels ?

            soit dit en passant, un tel monopole ne peut qu’être bénéfique à une profession comme la votre : vous n’êtes pas sans savoir que seul le « capital humain » indigène ne peut se vendre que dans votre boite ; acceptez donc cet effort d’employabilité, pour pouvoir garder un peu de liberté.


            • nico (---.---.184.252) 12 octobre 2005 10:27

              Vous semblez oublier qu’avant la version informatisée, il y avait (et c’est encore utilisé) les « transparents ». On a gribouillé des schémas avec nos plus beaux feutres de couleur, ou on y a imprimé de beaux documents informatiques. Avec ce dernier cas de figure, on était pas loin du « slide ». Maintenant, plus d’impression honéreuse, et les corrections sont faciles à apporter.

              Je trouve que l’argument du formatage de la pensée ne tient pas. En dehors du fait que le « slide » très souvent arrive après le document, dans sa langue naturelle la plus châtiée. Le slide est une synthèse, une synthèse délicate et difficile, qui n’est pas mauvaise pour la réflexion lors de sa conception. Et qui de toutes facons est sensée présenter des points du document source que l’on souhaite débattre.

              Non, je ne comprends pas où est le problème dans ce média de communication. Si vous n’aimez pas les extensions ppt, utilisez pdf smiley.


              • Chem ASSAYAG Chem ASSAYAG 12 octobre 2005 10:34

                Nico, mon âge avancé (en tout cas comparativement à vous) smiley me permet de constater que l’usage des transparents était beaucoup moins répandu et systématique que ne l’est celui de Powerpoint ou de ses équivalents. Il devient assez rare de voir circuler des documents autres que des ppt (mis à part des docs plus techniques) pour décrire un marché, des produits.... En soi je n’ai rien contre Powerpoint (et je m’en sers comme tout le monde) à partir du moment où cela reste un outil parmi d’autres et non pas le vecteur unique de la communication en réunion.


                • nico 12 octobre 2005 12:07

                  Un document technique ou même une note aussi minuscule soit-elle ne me paraissent pas être un bon vecteur en réunion justement. En réunion, on présente, on discute. Et ce genre de présentations slide, est idéal pour ca. Il ne me parait pas appropié de lire silencieusement une note tous ensemble autour d’une table. Les notes sont bonnes en coulisse. Bon, peut-etre que c’est parce que je n’ai pas connu le temps des notes en réunion...


                  • Jennifer 28 octobre 2011 02:13

                    Je suis tout à fait d’accord avec vous, nico. Ce type de présentation permet de synthétiser et d’aller droit au but, tout en gardant l’attention visuelle de l’auditoire. On évite ainsi de divaguer dans les détails et de perdre l’attention. Ça n’empêche pas le conférencier d’être efficace et de passer ses messages, même s’ils ne sont pas dans les slides ! C’est un outil, et il faut le voir comme tel.


                  • Chem ASSAYAG Chem ASSAYAG 12 octobre 2005 12:11

                    Faire circuler une note ou un mémo avant ou pendant une réunion ne veut pas dire rester scotché dessus et la lire tous ensemble. Encore une fois le plus génant est de formater la pensée pour pouvoir absolument utiliser l’outil (« comment je vais faire pour que ça puisse tenir sur une slide »)et c’est cela qui est le plus réducteur.


                    • nico 12 octobre 2005 13:37

                      le plus génant est de formater la pensée pour pouvoir absolument utiliser l’outil (« comment je vais faire pour que ça puisse tenir sur une slide »)et c’est cela qui est le plus réducteur.

                      ok smiley


                      • TVnomics (---.---.149.25) 20 octobre 2005 21:27

                        Tel est le titre de l’article publié par Chem Assayag sur Agoravox.Le formidable succès d ?un outil qui formate l ?univers des cadres en entreprise et leurs interactions.« Tu n ?as pas fait de slides ? » La réflexion est tombée, à la fois étonnée et un peu cassante. Mais je plaide coupable, je pouvais m ?y attendre. Eh bien non, crime de lèse-bureautique, je n ?ai pas fait de « slides », j ?ai rédigé un document, avec des phrases de plus d ?une ligne, de la ponctuation - foire aux points et aux accents circonflexes -, des paragraphes détachés les uns des autres, des propositions


                        • Stéphane (---.---.213.248) 21 octobre 2005 23:15

                          A lire les commentaires, j’ai bien l’impression que c’est déjà trop tard, ton texte est trop long, Chem, les lecteurs attrappent un mot, et hop rebondissent sur leurs préocupations : monopole de pppoint, etc ... « Hors sujet ! », « prenez le temps de lire la consigne », « toujours réfléchir avant d’agir » resonnent encore de cette époque bénite où l’on était pas payé pour réfléchir. Ne nous plaignons pas d’être payé pour ne pas réfléchir !!!

                          Un jour je vous parlerez de ma théorie de la cravate, destinée à réguler le flux d’oxygène au cerveau, pour limiter la créativité des cadres. vous comprendrez alors ce geste réflexe qui consiste à resserrer le noeud d’autant que la réunion est d’un « haut niveau » ... et celui de votre future femme avant de passer à la mairie ...


                          • (---.---.120.224) 27 octobre 2005 12:45

                            Ce qui caractérise notre époque c’est la perfection des moyens et la confusion des fins... Cf Einstein.

                            Je partage l’exposé présenté. Cependant le .ppt est un support que l’on manie. Le joueur de tennis ne se mesure pas à la qualité de sa raquette... Cela signifie qu’un « slide », c’est certes utile, mais le plus important c’est de toucher son auditoire et de faire passer le message.

                            Un beau PPT n’est pas forcément un BON PPT. Un « beau 1er ministre » n’est donc... Qu’on se le dise :) !


                            • Alix Martin (---.---.20.123) 9 novembre 2005 18:16

                              Le lien ci-dessous pointe vers une analyse d’un cas ou Powerpoint a introduit de la distorsion de l’information, aboutissant à l’explosion de la navette Columbia !


                              • HKac (---.---.170.51) 9 novembre 2005 21:55

                                Je vous recommande l’excellent essai (gratuit au format PDF) de Rafi Haladjian, l’un des premiers promoteurs de l’Internet en France. Rafi montre, non sans humour, comment on arrive à « s’enrichir » avec PPT, Excel et Word. Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word


                                • Nicolas Esposito (---.---.252.170) 8 janvier 2006 15:19

                                  Merci pour ce témoignage ! Le recul que vous prenez me paraît tout à fait pertinent. J’ai écrit en février 2005 un article critique à propos de certains usages des présentations. Pour ceux que cela intéresse : http://www.itrmanager.com/article.php?oid=36037


                                  • Sabine 27 janvier 2011 10:22

                                    Je ne crois pas qu’il soit question de revenir ici sur un outil. Mais il faut évidemment que nous nous interrogions sur ce que nous faisons de ces outils que la technologie met à notre disposition, et dans quelle mesure, ces outils influencent notre façon de penser et de transmettre notre pensée.
                                    Powerpont permet de présenter une succession d’images ou de vues, de slides comme vous dites. Chauque image a une organisation intrinsèque et dans un soucis d’efficacité de communication, présente un fait, un savoir, ou un processus... Les savoirs ainsi livrés se succèdent temporellement sans autre lien le plupart du temps que leur chronologie. C’est un peu comme la télé, on « zappe » d’une image à une autre, et seule une relation de temps les relie.
                                    Or on sait, que la relation de causalité est très faiblement porteuse de sens mais également de lien. Et les connaissances s’organisent mieux quand on les relie de manière causale, ou téléologique.
                                    En conséquence, si vous souhaitez que votre auditoire rentienne, ou apprenne quelque chose lors de votre exposer, vous ne pouvez pas compter uniquement sur vos « slides ». Vous devez établir des relations de causalité ou téléologiques entre elles. Chacun pense sincèrement le faire.
                                    Dans la pratique, les intervenants se reposent sur leur document. Il livrent successivement le contenu de leurs slides, en le détaillant, et sans véritalement établir de relation entre deux slides.
                                    Pour eux la relation est implicitement contenue dans la succession. On confond une relation temporelle avec une relation causale, c’est très courant, surtout si cette relation est évidente pour l’intervenant, puisque lui sait de quoi il parle.
                                    Mais pour l’auditoire, il en va autrement... Il assiste à un kaléidoscope de connaissances éparpillées. Si le propos lui semble cohérent sur le moment, dans la durée, ces connaissances qui ne sont ni organisées, ni structurées, ne seront pas retenues...

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