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Accueil du site > Actualités > Société > La « société de confiance » numérique...

La « société de confiance » numérique...

Assurément, le socle de la « société de confiance » s'effrite et l'essor des crypto-monnaies interpelle. Le trimestriel « L’Economie politique » dresse un état des lieux des nouvelles formes de « confiance numérique » à l'ère des technologies de l’exponentiel…

 

« Créer de la monnaie » à l’ère du numérique, ce serait aujourd’hui aussi facile que de taper des chiffres sur un clavier ? Le trimestriel L’Economie politique consacre un dossier, intitulé L’argent 2.0, à ce « jeu d’enfant » qui ne va pas sans « dégâts collatéraux » engendrés par les précédentes vagues d’ « innovations » - avec le sempiternel « motif spéculatif » en embuscade, toujours prompt à miser sur le vide mais aux dépens des « vrais gens »... Dans son éditorial, Sandra Moati rappelle : «  Pas de finance sans confiance : le crédit repose sur la croyance du prêteur en la capacité de remboursement du débiteur. La confiance est la clé de voûte du système des paiements, quelle que soit la sophistication des instruments monétaires et financiers (…) Dans nos économies monétaires modernes, un système hiérarchisé de tiers de confiance garantit la pérennité de l’ordre monétaire : les banques font crédit (confiance) et créent ainsi la majeure partie de la monnaie en circulation ; nous faisons confiance aux banques qui fournissent les moyens de paiement à l’aide desquels nous échangeons (à l’exception notable des espèces). Cette confiance est confortée par l’Etat, qui garantit nos dépôts bancaires, et par la banque centrale, qui joue le rôle de prêteur en dernier ressort auprès des banques et assure la convertibilité de toutes les monnaies bancaires entre elles. Puis vint Internet, ce grand dynamiteur des tiers de confiance  »…

A mesure que vacille la légitimité des institutions et que s’évapore la « confiance », le discours médiatique promeut de nouvelles « machines de confiance » comme les crypto-monnaies, dont le bitcoin – « un protocole et une unité de compte à l’origine d’un système de paiement sans intermédiaire financier », créé, dit-on, en pleine crise des subprime par un nommé Satoshi Nakamoto…

Mais qui peut placer sa confiance dans la fiabilité d’un protocole mathématique et de la technique qui le supporte ? La monnaie est usuellement définie comme un « protocole d’échange », un « code résultant d’un accord social », afin que « les richesses puissent être mesurées et échangées entre ceux qui les produisent ». Sa fonction, c’est de permettre à chacun d’échanger ce qu’il « produit » (son travail, son art, son artisanat, ses marchandises, bref, son temps de vie et ses ressources utilisés pour produire quelque chose) contre ce que les autres produisent...

Qui envisagerait de bon cœur de produire quelque chose en échange de… rien ? Or la monnaie fiat, créée à partir de rien, n’est pas à confondre avec la richesse, c’est-à-dire ce qui est créé quand quelqu’un utilise son temps, ses compétences et des ressources pour produire quelque chose...

Ce qui est « en crise », ce n’est pas « la production » elle-même mais « l’interface » entre les hommes et ce qu’ils produisent… « L’argent » n’est-il pas créé par le crédit, chaque fois qu’un bipède trop pressé s’endette ? N’y a-t-il pas, à ce compte-là, toujours plus de dette que de monnaie ?

Facile à créer à volonté, la monnaie n’a d’autre garantie que la capacité de travail et d’épargne des « vrais gens » qui s’ignorent en « garant final » d’une dette abyssale... Autant dire que toute capacité humaine de remboursement de la dite « dette » perpétuelle est d’ores et déjà dépassée dans des proportions de nature à donner une idée de l’infini…

 

Monnayage 2.0 : de la « société de confiance » à la société sans cash

 

L’essor des crypto-monnaies, présumées nouvelles formes de la « confiance numérique », repose sur le mythe d’une « dématérialisation » affranchie des institutions. Ludovic Desmedt rappelle que la frappe des monnaies supposait jadis un processus de transformation de matière (métal ou papier) réalisé en atelier par un travail collectif : « Le monnayage, même digital, réclame d’intenses dépenses d’énergie, l’utilisation de logiciels, la production de matériel hardware. L’économie numérique est grandement dépendante de matières diverses, sans lesquelles elle ne fonctionnerait pas (…) Que ce soit avec le métal, le papier ou les virements, deux éléments sont primoridiaux pour les opérations de monnayage : il doit y avoir émission à une échelle suffisante (que le territoire soit limité à une ville, une région, une nation ou au-delà) et la sécurisation des moyens de paiement doit être assurée (…) Que ce soit sous la plume de Satoshi Nakamoto ou celle de Matthew Boulton, qui employait la machine à vapeur pour frapper des pièces à la fin du XVIIIe siècle, on retrouve d’ailleurs les mêmes tropismes : l’importance de la mécanisation (le monnayage est la première industrie à produire en masse) et l’obsession de la sécurité (symboles et codes ont toujours orné pièces et billets) (…) En tout temps, le droit de « battre monnaie » suppose l’exercice d’un pouvoir : lors de cette opération, un des agents profite d’une position privilégiée pour contrôler les émissions au sein d’une communauté (…) La « révolution blockchain » est souvent présentée comme une techno-utopie permettant d’expulser la question du pouvoir et de la hiérarchie hors des réseaux numériques. On oppose les « algorithmes » aux « institutions humaines » comme on a pu opposer à la fin du XVIIIe siècle les presses de Boulton aux ateliers royaux archaïques, ou l’impression des assignats aux pièces métalliques. Or la machine s’insère dans un cadre institutionnel : l’algorithme n’est pas démocratique en soi (…) Les relations monétaires instaurent des relations hiérarchiques entre agents, hier comme aujourd’hui, dans le monde pré ou postbancaire. Et ce n’est certainement pas les machines, si ingénieuses soit-elles, qui les aboliront. »

En quoi le « stockage » d’une cryptomonnaie sur une « plateforme » exposée au risque de piratage répondrait-il au besoin de « confiance » et de sécurité ? Transférer une « responsabilité » des hommes (forcément faillibles et corruptibles…) aux machines (qui les programme et les utilise ?) revient à créer une nouvelle dépendance à l’accès à Internet, à l’électricité et au présumé bon fonctionnement du matériel informatique…

Si la « guerre contre la pauvreté » ou le cancer est demeurée lettre morte, celle contre le cash est bien engagée sous de fallacieux prétextes comme la « lutte contre la criminalité »… Mais celle-ci a toujours montré sa capacité à s’adapter rapidement à tout changement de dispositifs législatifs - et à les contourner par d’autres substituts... S’agirait-il plutôt de « supprimer le numéraire pour rendre possibles des taux négatifs », de pratiquer une forme de « répression financière » en supprimant toute possibilité de « retrait de confiance » ? Et donc d’évacuer ce « facteur humain » que les algorithmes n’intègrent pas ?

Christian Beer, Urs Birchler et Ernest Gnan rappellent que le numéraire peut être un « instrument précieux dans les situations extrêmes et les crises », il peut constituer une « assurance contre certains dangers » comme en régime dictatorial où « la détention de numéraire en monnaie domestique ou étrangère aide les citoyens à échapper au contrôle arbitraire de l’Etat  »…

Par ailleurs, en situation d’hyperinflation, « la fuite vers les monnaies étrangères stables, souvent sous forme d’espèces, permet aux citoyens de sauvegarder la valeur d’une partie de leurs avoirs  ». Les espèces sonnantes et trébuchantes, en monnaies domestiques ou étrangères, ne sont-elles pas un moyen de paiement plus commode, accepté partout, et un outil de stockage de valeur plus robuste, en temps de « crise », que la monnaie scripturale ? De plus, aucune crypto-monnaie, pure création numérique, ne répond aux attributs de ce qui fait la monnaie... Mais elle expose tout usager aux nouveaux risques d’une cybercriminalité à l’affût… Ne vaut-il pas mieux se demander, avant l’irréparable, s’il est vraiment possible de « concevoir des formes de paiement hors numéraire qui assureraient la même confidentialité et la même fiabilité que les transactions en espèces » ?

La question mériterait d’être largement débattue dans toute « société démocratique et inclusive »…

Wojtek Kalinowski confirme : «  Les espèces sont la seule façon pour un particulier ou une entreprise d’accéder à la monnaie de banque centrale, c’est-à-dire à la seule forme de monnaie qui ne soit pas créée sous forme de crédit bancaire privé. Par conséquent, leur disparition progressive parachève l’enfermement définitif de la société dans le circuit de monnaie de crédit bancaire, enrichi éventuellement de circuits monétaires privés non bancaires (mais derrière lesquels on retrouve souvent des banques) (…) La particularité du cash « à l’ancienne » est que son usage est gratuit pour les particuliers, alors que tous les systèmes numériques équivalents sont privés, et donc forcément payants d’une manière ou d’une autre »...

Après l’ère monétaire basée sur les matières premières puis celle fondée sur la politique, nous voici piégés dans la sphère d’irréalité d’une troisième ère monétaire basée sur les mathématiques : sa complexité, dévoreuse de réalité, est-elle porteuse de nouveaux risques systémiques briseurs de communauté ?

Anselm Jappe écrivait : « Les misères du monde ne sont pas dues, comme au Moyen Age, à des catastrophes naturelles, mais à une espèce d’ensorcellement qui sépare les hommes de leurs produits  ». Y a-t-il une vie au-delà de « l’argent » et de l’ensorcellement qu’il suscite ? Faudrait-il, pour y accéder avant l’écroulement systémique ultime, faire l’économie d’une fiction monétaire en voie d’évaporation et d’obsolescence accélérée puisqu’elle ne sert plus à assurer la convertibilité entre la « chose même » et ce qui est supposé la dire ? Faut-il se préparer à l’après-monnaie comme à l’après-pétrole pour retrouver le réel qui nous constitue ?

 

L’Economie politique n°75, L’Argent 2.0, 112 p., 12 €


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9 réactions à cet article    


  • Anatine 13 octobre 2017 15:43

    « Pas de finance sans confiance : le crédit repose sur la croyance du prêteur en la capacité de remboursement du débiteur »

    Non. Sur l’évaluation du risque et des garanties jusqu’au moment ou on croit pouvoir maîtriser le risque lui-même en l’objectivant sous forme de produits. C’est là qu’est la croyance car la vrai nature du risque est obscurci par une évaluation du risque de ces produits, eux mêmes imaginés pour le supprimer.... "

    « Dans nos économies monétaires modernes, ...........entre elles ».

    Non, plutot a l’obligation de la banque d’assurer le fonctionnement d’un système qui justifie de son existence, enfin, de plus en plus le sien... , et par effet de bord pour chacun des acteurs du système. Vous faites confiance aux outils qu’elle doit mettre en oeuvre pour cela.

    « Puis vint Internet, ce grand dynamiteur des tiers de confiance »

    Non, un outil de desintermediation pour ,en particulier, s’affranchir des tiers de confiance - point de passage obllgé - quand cela peut etre fait autrement. Justement, pour parler a Dieu plutot qu’à ses saints. Question confiance...

    « A mesure que vacille la légitimité des institutions et que s’évapore la « confiance » »

    Euhh... Quand légitimité se traduit par un jeu subtil ou non, par une obligation de croire dans l’institution. Plus il est necessaire de croire, moins il y a de confiance.

    « Mais qui peut placer sa confiance dans la fiabilité d’un protocole mathématique et de la technique qui le supporte ? »

    Non ! Ca marche. C’est tout. C’est un systeme sans confiance. A ne pas confondre avec auquel on a confiance.

    « N’y a-t-il pas, à ce compte-là, toujours plus de dette que de monnaie ? »

    SI l’intérêt est la mesure du coût additionnel du prélèvement dans écosystème, alors la dette est la mesure de ce qu’il a été ... disons emprunté ... a notre écosystème. Compte tenu du gâchis,....


    • Anatine 13 octobre 2017 16:03

      « L’essor des crypto-monnaies,....orné pièces et billets) (…) En tout temps, le droit de « battre monnaie » suppose l’exercice d’un pouvoir » :

      La même chose,donc. La question est l’exercice du pouvoir...

      « En quoi le « stockage » d’une cryptomonnaie sur une « plateforme » exposée au risque de piratage répondrait-il au besoin de « confiance » et de sécurité ? »

      Pas plus qu’elle n’y repond dans votre portefeuille. Ceci dit, un coffre dans un lieu sur peut rassurer.

      « en supprimant toute possibilité de « retrait de confiance » »

      Je vous suis sur ce paragraphe... Les crypto-monnaies sont l’opportunité de creer des systèmes d’échanges sans confiance et donc de se substituer au cash. C’est une veritable guerre qui est engagé pour ne pas laisser au systeme financier le controle de ces monnaies. Je suis relativement optimiste... Au pire, nous pourrons toujours imaginer une mesure de la richesse qui ne soit pas l’argent..... Euhh, c’est deja parti...

      « De plus, aucune crypto-monnaie, pure création numérique, ne répond aux attributs de ce qui fait la monnaie... »

      Ah ? je ne vois pas...

      « il est vraiment possible de « concevoir des formes de paiement hors numéraire qui assureraient la même confidentialité et la même fiabilité que les transactions en espèces » ? »

      C’est a mon sens la voie à prendre... Cela suppose de generaliser un modèle cooperatif intégré à travers toutes les activites...

      La question mériterait d’être largement débattue dans toute « société démocratique et inclusive »…

      100% d’accord


      • zygzornifle zygzornifle 13 octobre 2017 16:12

        “Je crains le jour où la technologie dépassera les capacités humaines. Le monde risque alors de voir une génération de parfaits imbéciles.”
        ― Albert Einstein


        • Anatine 13 octobre 2017 16:25

          @zygzornifle

          S’ils étaient heureux, qui s’en plaindrait smiley


        • lephénix lephénix 13 octobre 2017 21:35

          @Anatine

          merci pour votre contribution... richement argumentée...

          « l’argent » ayant perdu son répondant métallique, l’hubris et la pensée magique n’en continuent pas moins à s’exercer sur des pixels... jadis l’on spéculait sur des bulbes de tulipes qui se vendaient au prix d’un carrosse plaqué or et aujourd’hui sur des protocoles mathématiques...pour le même « espoir » de jouer les écarts et les variations... cela donne « le monde actuel »...


          • lephénix lephénix 13 octobre 2017 21:39

            @Zygzornifle

            la « décision humaine » s’étant laisser supplanter sans résistance par « ’l’intelligence artificielle » cela fait des légions formant une armée de réserve en expansion continue - qui donne une « certaine idée » de l’infini..


            • lephénix lephénix 13 octobre 2017 21:43

              @zygzornifle

              la « decision humaine » s’étant laissé supplanter par « l’intelligence artificielle » des machines à calculer, cela fait des légions qui n’en finissent pas de grossir jour après jour une armée de réserve qui donne une « certaine idée » de l’infini...


              • lephénix lephénix 14 octobre 2017 10:15

                @Zip_N

                il suffit de ne pas prendre ce train - ou de monter dans les derniers wagons... mieux vaut le laisser passer car on ne monte pas à tombeau ouvert pas plus qu’on ne risquerait à ramasser un couteau qui tombe... les spéculatueurs ont une mémoire de poisson rouge - ou de bulbe de tulipe - et rien ne désarme la folie spéculative... quand bien même elle se baserait sur la prétendue infaillibilité de « protocoles mathématiques »...


                • Matlemat Matlemat 15 octobre 2017 11:32

                  La capitalisation totale des crypto monnaies est aujourd’hui de 170 milliards de dollars, c’est peu comparé à l’or physique et aux monnaies fiat traditionnelles , je ne suis pas le seul à penser que cela peut monter bien plus haut..

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