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Le Logos et l’avenir du monde

(1) Comment s’ordonnent les empires et les grands ensembles humains ? Ils semblent s’enrouler autour de grands principes et sont déterminés par ce que Voegelin concevait comme des vérités transcendantales. Autrement dit des principes qui situés au-dessus de l’homme mais sur lesquels l’homme peut s’appuyer pour s’élever en quelque sorte de sa condition naturelle. C’est de cette manière que j’interprète le propos de Voegelin en espérant viser ces vérités aussi bien que l’auteur qui les a présentée et même aller plus loin en incorporant une quatrième vérité spécifique de la modernité.

(2) Voegelin trace trois types de vérité ayant présidé au développement des grands ensembles humains que la philosophie conçoit comme empires ou civilisation. (i) les vérités cosmologiques (ii) anthropologiques (iii) sotériologiques. Je préfère employer pour ces dernières la notion de vérités théologiques. Ces trois vérités se sont superposées, parfois affrontées. Ce qui fut le cas dans l’empire romain au moment de l’avènement de la chrétienté. Faut-il encore préciser à quoi correspond chaque vérité. Comme on le note plus bas, la vérité est associée à un ordre. C’est en ce sens qu’elle peut structurer les empires et les civilisations en organisant la société autour de cet ordre qui repose sur une vérité, cette notion étant entendue au sens médiéval, la vérité comme accord.

(3) (i) Les vérités cosmologiques reposent sur un ordre naturel et cosmique. Elle a été déterminante dans les plus vieux empires et les premières sociétés de la période historique. Comme la Grèce homérique, l’Inde védique, la Chine d’avant Confucius et sans doute l’Egypte ancienne ainsi que les Mayas. Le Tao est un livre dont le ressort gnostique est par excellence la vérité du cosmos. D’ailleurs, le terme kosmos issu du grec ancien signifie « bon ordre » et cette idée du cosmos fut reprise par Pythagore, philosophe dont la doctrine présente d’énigmatiques coïncidences avec le Tao. La vérité désigne un accord, une résonance spéciale et fait aussi référence à un ordre qui est celui du cosmos et que l’on peut élargir à la Nature, la physis.

(3) (ii) Les vérités anthropologiques reposent sur la philosophie qui pense la spécificité de l’humain. Cette philosophie est celle de Confucius en Chine et pour nous, elle est incarnée par les penseurs grecs classiques, Platon et Aristote qui décrit la vie contemplative comme destination la plus haute pour le sage tout en développant le thème de l’amitié entre les hommes comme un des fondements de la vie politique. A noter que les vérités cosmologiques sont présentes chez ces deux philosophes mais n’ont pas de valeur constituante pour régler la cité. Tout au plus verra-t-on chez Platon le cosmos comme un élément à visée heuristique.

(3) (iii) Les vérités théologiques apparaissent avec la chrétienté nous enseigne Voegelin. Ce n’est pas tout à fait exact. Il faut aussi prendre en considération l’empire arabo-musulman qui lui aussi, est adossé à une vérité théologique contenue dans le Coran. Néanmoins, l’empire de Rome a été le premier à se constituer avec une vérité théologique non sans une sévère friction, dans le domaine politique mais aussi sociétal avec les persécutions contre les chrétiens. Alors que dans le champ d’une vérité anthropologique il n’est d’amitié qu’entre les hommes, les dieux étant exclus de la vie sociale et politique, dans le cadre de la chrétienté, une amitié, pour ne pas dire un amour, s’installe entre les hommes et ce Dieu (tri)personnel incarné. A Rome, il fallait choisir entre adorer un empereur ou un Dieu. Dans le monde musulman ou judaïque, le Dieu est lui aussi unique comme dans la chrétienté mais il est communautaire. Jérusalem est bien différent d’Athènes.

Dans l’empire arabo-musulman, les vérités cosmologiques avaient aussi un rôle, pas central mais assez déterminant. Qu’on se rappelle la médecine d’Avicenne basée sur les analogies alchimiques mais aussi les angéologies prisées par les platoniciens d’Islam. L’Islam médiéval a vu se dessiner comme dans l’empire romain un affrontement entre les deux vérités mais dans un ordre inversé. Au lieu que la vérité anthropologique fasse place à la vérité théologique, en terres d’Islam, la vérité anthropologique, celle des philosophes grecs, a tenté de s’imposer, avec un succès modeste, contre la vérité coranique. D’aucuns ont cru que la pensée d’Averroès reconnaissait deux vérités, l’une issue de la foi et l’autre de la raison. Quelques temps plus tard, c’est chez saint Thomas que l’on retrouve ces deux pôles, foi et raison, mais dans une architectonique précise. La raison soit servir la foi. Cette foi est même une vertu théologale qui forme avec la charité et l’espérance le triplet fondamental de cette vérité chrétienne qui est aussi d’ordre sotériologique, avec l’avenir comme horizon.

La période médiévale a été décisive, autant pour l’empire d’islam que l’Europe chrétienne. L’enjeu majeur découlant des empires médiévaux consistait à tracer la place de l’homme et notamment à l’extraire de la nature en même temps que de l’élever au niveau divin. C’est du moins ce qui va se passer à la Renaissance puis au temps de Descartes.

(4) La modernité est spéciale par rapport aux périodes précédentes car elle se place sous un double règne, celui de l’homme et celui de la technique. Autrement dit sous une vérité anthropologique liée à la philosophie du 17ème puis des Lumières et sous une autre forme de vérité, celle de la science, qui en fait est une vérité bien distincte et complètement inédite, la vérité technologique. Qui en fait ne fonctionne pas comme les précédentes vérités, sous le principe de l’accord, mais comme une logistique, celle qui assemble. Ce n’est qu’au 20ème siècle que l’on a commencé à mesurer comment cette vérité technologique est contemporaine de la mise en place du technocosme planétaire et de quelle manière elle s’est insinuée pour être le principe dominant de la politique dans les pays de l’alliance occidentale, sans oublier d’autres contrées en Asie, Japon, Corée et maintenant la plupart des pays émergents. La technicisation et la science comme idéologie ont désintégré peu à peu les soubassements de la vérité moderne anthropologique (lire Habermas). Les cultures traditionnelles tentent de résister à ce mouvement moderniste.

(5) La modernité est indissociable de la science et de la technique. Rares sont les philosophes qui ont réellement cerné en profondeur la transition entre la cosmologie antiquo-médiévale et la cosmologie moderne newtonienne et atomiste. L’opinion savante de l’ère positiviste croit que la physique moderne a permis de passer d’une science erronée voire même d’un non-savoir à une science vraie et exacte. Cette opinion doit être balayée. La science moderne s’est en vérité substituée à une gnose antiquo-médiévale, produisant de ce fait un autre savoir, un savoir ajusté à la connaissance d’un dispositif qui est celui de la technique. Et cet autre savoir a produit une nouvelle représentation dans les différents champs. Notamment les trois domaines canoniques constituant les gnoses anciennes et structurant les empires. Il en a découlé une nouvelle cosmologie. Qui par ricochet à enrichi l’anthropologie tout en mettant en quelque sorte hors jeu les vérités théologiques, ou alors en les sécularisant, notamment avec l’Histoire et le progrès. La théologie était une connaissance au Moyen Age. Elle est devenue aux yeux des lettrés et de l’opinion une simple croyance, ramenée au niveau d’une superstition. Les savoirs modernes sont en concordance avec le mode de vie moderne, actif, alors que les gnoses anciennes étaient accordées au mode d’existence contemplatif ainsi qu’à un type d’activité en harmonie avec le kosmos, comme cela est spécifié dans le Tao.

Rares sont les philosophes à comprendre que la science moderne a progressé tout en laissant de côté une manière de voir, connaître et se relier au kosmos, accomplissant de ce fait un saut vers l’hyper savoir mais aussi l’ignorance gnostique. La science moderne est un enrichissement dans le monde des savoirs techniques et matériels mais un appauvrissement dans le domaine de la connaissance authentique et métaphysique des choses.

(6) Les vérités anthropotechniques ont servi de ressort à la constitution de nombreux empires modernes. Celui des Etats-Unis ainsi que les ensembles européens qui ont oscillé entre l’empire et la nation au 19ème siècle, tout en s’étendant avec les pratiques colonialistes. Pour être complet, signalons également l’Empire ottoman, l’Empire austro-hongrois, les empires coloniaux français et britannique, sans oublier les velléités impériales de Napoléon qui affronta un autre empire, la Russie tsariste. Et enfin l’Empire soviétique à partir de 1917 alors que deux grands empires se sont désagrégés, l’ottoman et l’austro-hongrois. Le monde contemporain qui a commencé après 1800 est incontestablement basé sur des vérités anthropologiques nouvelles, et notamment une certaine vérité de la technique qui a fini par intégrer la vie politique et s’insinuer dans la sphère idéologique ; comme l’ont vu quelques penseurs avertis comme Habermas ou Ellul.

(7) Nous sommes maintenant à l’époque des vérités technologiques, stade ultime de la modernité mais ne faudrait-il pas parler de pseudo-vérité en ce cas ? La situation contemporaine est un appel à penser les ressorts du présent et notamment, elle nous interpelle sur deux questions essentielles. Qu’en est-il des empires au 21ème siècle ? Et comment doit-on penser la civilisation en admettant que cette notion ait une pertinence ? D’autres questions arrivent. La compréhension des anciens empires nous aide-t-elle à saisir la situation contemporaine ? Cette dernière question est incontournable dans la mesure où l’avènement des technologies a en quelque sorte fait dériver l’homme vers une seconde nature, créant l’émergence d’un nouveau monde que personne pour l’instant n’a encore su ou pu cerner.

(8) Cosmo-logique, anthropo-logique, théo-logique. En vérité, ces dénominations recèlent les différenciations du Logos, dans la nature, en l’homme et dans l’esprit. La modernité s’est occupée essentiellement du Nomos, les lois, les règles, les déterminismes, les assemblages mécaniques et techniques. Le Nomos signe la malédiction de l’homme sur cette terre. Le Nomos conduit au totalitarisme scientifique vécu dans le technocosme qui est aussi le Nomo-cosme. Le Logos conduit vers la vérité, l’harmonie, le dessein divin, la liberté. Bienvenue dans le Logo-cosme !

(9) Un avenir se joue autour d’une trinité métaphysique, celle de l’Eternité, de l’Etre et du Temps. Un autre avenir se joue avec la technique et la science. Plus rien ne peut arrêter le cours de la technique, sauf le cataclysme humain dans quelques décennies. L’homme l’aura bien cherché. A moins qu’il ne cherche un autre horizon.


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4 réactions à cet article    


  • soi même 10 décembre 2015 13:46

    Article parfaitement athéisme dans le pur jus Sartrien, à mettre dans les annales du cafés de Flores... !


    • Neymare Neymare 10 décembre 2015 15:18

      Il me parait piégeux d’opposer la science ancienne ou Gnose, qui est plus une connaissance qu’une science, à la science moderne qui n’est qu’un moyen d’arriver à un but. Car quelque soit ce qu’on prend en considération, il origine du Tao dont vous parlez, ou l’Esprit.
      Il n’existe pas d’un coté l’homme et de l’autre l’Esprit, comme il n’existe pas d’un coté la science moderne et de l’autre la gnose. Derrière l’apparence de ce monde n’existe que l’Esprit.
      C’est ce que dit le Tao : "lorsqu’on est constamment exempt de passions, on voit son essence spirituelle ; lorsqu’on a constamment des passions, on le voit sous une forme bornée"
      La forme bornée est la vision humaine ; je suis moi, dans un monde dont je ne connais pas grand chose et je développe par la science des outils pour connaitre ce monde et donc mon essence.
      La vision non bornée est l’essence elle meme : Je suis l’Esprit et ce monde n’a pas plus d’existence qu’une fantasmagorie.
      La science étant passion (le Tao définit passion au sens large càd un interet pour les choses de ce monde) ne peut atteindre ce qui est atteint quand les passions cessent

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