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Les ragots sociaux : au cœur de nos relations ?

Les commérages sont omniprésents dans notre société. Ils sont perçus négativement, mais des études sociologiques démontrent qu'ils auraient bien une utilité dans la construction des rapports entre individus. Les « ragots sociaux » ont-ils réellement leur place dans nos relations ? 

Les ragots sociaux représentent-ils une utilité dans nos interactions sociales  ?

Ah, les commérages. Qui n’a jamais eu une histoire croustillante à partager le lundi au bureau ou lors d’une soirée entre amis ? Ces petites messes-basses, nous les connaissons, et nous les pratiquons un peu, beaucoup, passionnément, voire à la folie pour certains. Les magazines people ont réussi à bâtir un empire sur les potins de stars, quitte à déformer la réalité et les propos des personnalités. Le gossip a également opéré une mutation avec l’essor des télé-réalités et des réseaux sociaux. En somme, il est partout. Mais les commérages ont-ils vraiment mauvaise presse ? Des sociologues se sont intéressés au rôle des ragots sociaux dans nos interactions sociales et les résultats sont étonnants.

 

Les commérages au bénéfice de l’information sociale

Pour certains philosophes, le potin, c’est le mal. Plutarque, Thomas d’Aquin ou encore Blaise Pascal sont presque tous d’accord. L’être humain colporte auprès de qui voudra bien l’entendre des histoires très, voire trop personnelles sur les autres. Dans quel but ? Celui d’occuper l’espace par la parole, car le silence n’est pas d’or pour certains, d’assouvir une fougueuse curiosité ou encore d’attenter à la réputation d’une personne.

De plus, quid de la véracité du ragot ? La satisfaction d’apprendre et de croire une information inédite primerait sur l’authenticité de cette dernière. Ainsi, dans l’imaginaire commun, raconter des potins est perçu négativement. Pourtant, la recherche Who Gossips and How in Everyday Life ? indique, non pas l’inverse, mais l’aspect neutre des commérages prononcés par les sujets de l’étude. Il apparaît que :

  • Les commères sont des personnes souvent extraverties.
  • Les femmes s’avèrent plus neutres que les hommes.
  • Les jeunes sont davantage dans la négativité que les seniors.

 

En somme, le potin ne serait ni positif, ni négatif. Il représenterait une source d’informations, apparentée à une aide à la navigation dans l’océan social. Ces découvertes émaillent les idées reçues que la population peut avoir sur les bavardages. Ces interactions communes, aussi répandues soient-elles, seraient en réalité bien incomprises et participeraient au maintien des connexions sociales entre les individus.

 

Le bavardage renforcerait les relations sociales

Les sociologues britanniques Norbert Elias et J. L. Scotson se sont penchés sur le rôle du potin en l’abordant via le prisme social. Ils sont allés questionner des groupes d’individus vivant dans des quartiers d’habitations dans une ville en Angleterre. L’étude révèle que les bavardages servent plusieurs aspects ou valeurs :

  • La fierté : les commères s’adonnent au papotage pour approuver les actions d’une personne. Celle-ci devient un atout pour la communauté, car elle partage des qualités communes avec le reste du groupe.
  • La solidarité : les individus sont plus à même d’aider un membre qui détient une attitude normative acceptée par les autres. L’entraide apparaît comme naturelle et renforce le lien social.
  • L’exclusion : le potin de rejet excite les émotions. Le groupe condamne des agissements qui seraient contraires aux règles préétablies.

 

Ce dernier type de ragot est difficile à endiguer puisqu'il peut se transmettre pour former un stéréotype. Les seniors prononcent des commérages discriminants que les plus jeunes entendent et propagent à leur tour. Cela constitue un vrai problème pour les nouvelles générations qui ne détiennent pas vraiment de libre-arbitre et qui sont engluées dans des partis pris.

Cependant, dans l’ensemble, les potins facilitent la construction sociale d’un groupe donné et permettent le maintien de règles communes. Les personnes qui y adhèrent forment alors une communauté dont le comportement normatif est accepté et perpétré.

Cette étude a été réalisée dans les années 1960. Elle ne pouvait donc pas prendre en compte ce qu’ont apportées les avancées technologiques et sociétales du monde contemporain. Avec le développement des médias et l’engouement pour les réseaux sociaux, l’information est accessible partout, tout le temps. Ne pas être à jour sur les potins de telle ou telle personne peut révéler une réelle frustration, voire une peur d’avoir manqué quelque chose et de se sentir inférieur dans un groupe, par exemple. Un tel phénomène porte un nom, c’est le FOMO (Fear Of Missing Out). 

 

L’apprentissage par procuration est possible avec les ragots sociaux

Une recherche sociologique américaine a révélé que les potins permettaient un apprentissage par procuration. Précisément, au moyen d’un jeu coopératif en ligne, les sujets étaient classés dans différents groupes où ils pouvaient communiquer entre eux. Ils avaient le choix entre œuvrer pour le collectif ou être dans l’individualisme. De plus, certains renseignements reliés à des participants étaient cachés aux joueurs ; ils ne pouvaient les apprendre que de façon indirecte via des ragots.

L’étude démontre que les gens qui écoutent les potins, sans avoir un accès direct à l’information, modifient leur comportement social. Ils avaient plus d’affinités avec les joueurs coopératifs plutôt qu’égoïstes. De la confiance et des liens sociaux forts unissaient les membres qui partageaient des valeurs communes.

Par ailleurs, le potin permet de répandre rapidement la connaissance via cet apprentissage par procuration. L’enquête, en prenant l’exemple du mouvement social #MeToo, démontre que le papotage peut être une vraie force. En effet, des milliers de personnes ont partagé des informations sensibles, voire personnelles, en utilisant les réseaux sociaux. Des liens se sont formés entre individus qui partageaient le même discours sur un tiers absent - mais qui représente un danger pour une partie de la société.

Les potins peuvent donc concourir à une coalition entre les membres d’un groupe. Ils participent à l’agrandissement de la communauté et à sa protection contre des expériences négatives. Là encore, une forme d’entraide se retrouve. Des groupes se constituent afin de surmonter les traumatismes et d’apprendre, en l’occurrence, à dire non pour se protéger.

Les potins sont ainsi omniprésents et leur étude sociologique permet d’en apprendre un peu plus sur l’établissement d’une culture et la construction d’une confiance. Le champ de la recherche sur les ragots sociaux est ouvert !

 

Sources :

1 - https://www.philomag.com/articles/pourquoi-aimons-nous-tant-les-potins

2 - https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550619837000

3 - https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1985_num_60_1_2285

4 -https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(21)00463-2

5 - Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, p. 34 - 35, Albin Michel, 2015.

 


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7 réactions à cet article    


  • charlyposte charlyposte 30 janvier 2023 12:34

    Le gouvernement actuel me souffle à l’oreille que les ragots c’est eux !!! hum smiley


    • Elvira Maderisas Elvira Maderisas 30 janvier 2023 12:45

      @charlyposte Bonjour ! Ahah, comment séparer le bon grain de l’ivraie... Une quête éternelle ! Merci pour ton message !


    • charlyposte charlyposte 30 janvier 2023 13:01

      Quand je pense que les ragots ont fait tomber l’empire des templiers smiley je me dis qu’à notre époque c’est mille fois plus évident sans avoir besoin de la moindre religion et pas davantage d’un quelconque roi divin ! smiley


      • I.A. 30 janvier 2023 19:14

        Il est très bien, cet article.

        Un ou deux détails pourraient éventuellement gêner : n’utiliser que des termes considérés comme péjoratifs – « ragots », « commérages », « potins », « papotages » – pour promouvoir la communication d’une manière générale.

        Je m’explique : « conversations », « échanges », « partages », ou « renseignements », colleraient bien davantage aux qualités que vous attribuez à la communication en général, et que nous sommes nombreux à reconnaître avec vous.

        Autre détail gênant : évoquer les réseaux sociaux chez les jeunes sans parler des suicides que cela engendre parfois.

        Beaucoup de peps dans ce papier, merci.


        • Elvira Maderisas Elvira Maderisas 31 janvier 2023 10:41

          @I.A. Bonjour ! Tes remarques sont très pertinentes !
          Je te rejoins sur le vocabulaire à étoffer !
          Pour ce qui est des problèmes qu’engendrent les jeunes avec les RS, je pense que ça peux faire l’objet d’un autre article, car, malheureusement, beaucoup de choses sont à dire ! 
          Merci d’avoir réagi !


        • zygzornifle zygzornifle 31 janvier 2023 09:04

          La Fake Few a remplacé le ragot pendant que nos politiques radotent ....

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Elvira Maderisas

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