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Lettres sur la justice sociale

A propos du livre Les Lettres sur la justice sociale de Michel Herland, (Paris, Ed. Le Manuscrit, 2006, 334 p).

Les lecteurs d’AgoraVox ont peut-être remarqué depuis quelques mois la parution, sous la signature de Michel Herland, de Chroniques de l’égalité des chances, dans lesquelles l’auteur, professeur de sciences économiques à l’Université des Antilles-Guyane, se signalait par des propositions le plus souvent iconoclastes : la réécriture du Code pénal (7 mars), la suppression de la force de dissuasion nucléaire afin de financer les réformes scolaires (14 mars), la recolonisation sous l’égide de l’ONU des pays africains tombés en déshérence (29 mars), l’instauration de tests de niveau à l’entrée des universités (1er juin), la décentralisation complète du système éducatif et la disparition corrélative du ministère de l’Education (22 septembre).

Si ces projets ne figurent pas tous exactement dans le livre qui vient de paraître, ils sont cohérents avec le programme qui est ébauché dans l’ultime lettre, consacrée aux propositions concrètes. Néanmoins l’apport du livre, pour les lecteurs qui connaissent un peu les idées de l’auteur en matière de réforme sociale, se trouvera surtout en amont, dans les dix lettres précédentes où sont analysées les différentes théories de la justice sur lesquelles on peut appuyer des propositions qui ne soient pas dictées uniquement par l’urgence, ni par la nécessité de combler un besoin quelque part quitte à en susciter un autre à côté.

La méthode retenue par MH consiste à focaliser l’attention sur les quelques auteurs qui ont développé explicitement une théorie de la justice, à faire ressortir les logiques internes de chacune et le type de politiques qui en résulte. Il multiplie les citations, ce qui offre le double avantage de nous permettre de contrôler ses interprétations et de nous mettre en contact direct avec des manières d’écrire très diverses, suivant l’époque et le tempérament des auteurs considérés. Pour qui n’a jamais rien lu de l’« inventeur d’idées » génial que fut Charles Fourier, par exemple, la découverte de son style farfelu sera toute une expérience !

Le choix de la forme épistolaire permet en outre à MH d’instiller ici ou là dans son texte des anecdotes, des réflexions personnelles, sans rapport obligatoire avec le sujet principal de la lettre mais qui ont le mérite de détendre un moment le lecteur, au milieu de raisonnements parfois un peu ardus.

Si le livre parvient à être attrayant dans la forme, il reste en effet savant sur le fond et présente une analyse rigoureuse des différentes théories qui y sont passées en revue. Le choix des auteurs pourra surprendre. Ainsi le communisme se trouve-t-il illustré par les thèses de l’utopiste Thomas More et par les communautés monastiques (le livre ouvre sur une évocation de l’abbaye cistercienne du Thoronet) et non par Marx - qui, de fait, s’est davantage intéressé au capitalisme qu’à la société idéale censée lui succéder. De même, pour présenter le libéralisme, MH a-t-il préféré Walras à Hayek, l’économiste du XIXe siècle plutôt que celui du XXe, dont les idées en matière de justice sociale sont pourtant plus connues aujourd’hui. Il semble que le choix en faveur de Walras soit justifié par la plus grande rigueur d’une méthode qui le conduit - en poussant la logique libérale à son terme - à refuser toute mesure d’assistance publique.

La lettre consacrée à Proudhon montre que l’égalitarisme ne se confond pas nécessairement avec le communisme. Elle permet de vérifier qu’un programme égalitariste n’est pas réalisable en dehors de conditions psychologiques très particulières (que l’on trouve par exemple dans un monastère), ce qui permet de l’évacuer comme solution d’ordre général. La porte est alors ouverte pour d’autres propositions, celles qui intéressent vraiment MH, qui cherchent un compromis entre la liberté et l’égalité.

Outre Fourier, déjà cité, et son plaidoyer en faveur d’une libération des passions, sont cités deux auteurs contemporains, l’un plutôt philosophe, Rawls, et l’autre plutôt économiste, Sen, chez lesquels MH trouve les deux principes essentiels auxquels il se rallie : garantie d’un revenu suffisant pour couvrir les besoins fondamentaux, égalité « réalisable » des chances. Auparavant, il a exploré des propositions plus radicales, comme le projet défendu dans les années 1930 par le mouvement Ordre nouveau (dont il retient l’idée d’un service civil productif en contrepartie de la garantie d’un revenu minimum) ou le projet de « revenu d’existence » inconditionnel, défendu par le professeur Van Parijs de l’Université de Louvain (qu’il récuse).

Les deux autres lettres qui complètent ce panorama théorique introduisent la possibilité d’un changement radical de problématique. Dans son analyse de La République de Platon, MH suggère que la société juste pourrait bien être non celle qui se met au service de tous ses membres mais au contraire, celle qui utilise au mieux les services de chacun de ses membres. Enfin, dans l’avant-dernière lettre, où il anticipe le prochain avenir, MH prend parti pour un usage contrôlé de la programmation génétique, moyen le plus sûr de réduire les inégalités les plus criantes.

L’auteur souhaite « ouvrir un débat ». Celui-ci peut se tenir à plusieurs niveaux. On imagine que les spécialistes de l’histoire et de la philosophie morale auront à contester certains analyses, qu’ils pourront reprocher à MH d’avoir trop tiré tel ou tel auteur vers telle ou telle interprétation, mais cela est affaire, effectivement, de spécialistes. Quant à nous, citoyens ordinaires qui cherchons les moyens de rendre la société plus juste, ce livre peut nous apprendre à raisonner sur les questions de justice sociale. Il s’agit bien d’un apprentissage, qui réclame quelques efforts, mais n’est-ce pas le prix d’une participation éclairée à la res publica  ?


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2 réactions à cet article    


  • (---.---.37.70) 23 octobre 2006 12:29

    Walras est un socialiste, pas un libéral. Son économie est d’ailleur totalement incompatible avec le libéralisme. Par contre il a eut le grand mérite de réfuter les idées de Marx avant même qu’il les publie. On ne peut d’ailleur pas le reprocher à Marx, qui savait bien (on a des lettres) que son « oeuvre » n’était qu’une mystification.

    Rendre la société « plus juste » n’a aucun interet, une société n’ayant pas à etre juste ou pas, critére complétement irrationnel.

    Il faut la rendre plus riche.


    • ZEN zen 24 octobre 2006 09:34

      Cela paraît intéressant, mais on aurait aimé que l’auteur soit plus explicite (manque de temps pour tout lire), développe clairement la thèse de M.H. sous-jacente, précise ses présupposés et ses choix. Qu’est-ce qui fait l’unité de sa pensée ?...et qu’en pensez-vous vous-même ?

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