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Peut-on encore rêver aujourd’hui ?

Le rêve est indéniablement une des activités qui nous fait Homme. A tel point qu’il nous est difficile d’imaginer d’en être privé. Pourtant, la problématique de ce Café Citoyen pose la question de savoir si nous sommes aujourd’hui en mesure de pleinement rêver. Autrement dit : la société dans laquelle nous vivons nous laisse-t-elle suffisamment de temps, de disponibilité d’esprit, pour rêver ? Les interventions du débat ont judicieusement mêlé les deux aspects du rêve, individuels et collectifs, pour dévoiler la manière dont, de nos jours, nous abordons, ou pas, nos rêves.

Le rêve de Martin Luther King (dans son discours du 28 août 19631) et les rêves nocturnes n’ont pas la même teneur, ni les mêmes buts. Le premier espère et appelle à une vie meilleure, le second est un processus très personnel et quasiment incommunicable. Pour autant, il existe une nature commune aux deux songes : celle nous invitant à prendre de la distance avec le réel, à remettre en cause la réalité tangible.

On prête souvent aux poètes et aux philosophes ce talent de faire appel aux monde des rêves (ou à divers degrés de conscience). Y découvrant parfois le plus insondable comme le plus éthéré, ils tentent de nous transcrire par leurs mots ce qu’ils voient. Sont-ce là les seules portes permettant à l’imaginaire de pénétrer le réel ? Est-il insensé de penser que les rêves peuvent agir sur le monde ? Toujours est-il que l’on reconnaît dans le rêve un mystérieux mais efficace processus de maturation, voire d’incubation.

Beaucoup d’intervenants décrivent le rêve comme un formidable moteur, une source d’énergie. Il créé à la fois une plénitude et un sentiment de liberté tout comme il génère l’enthousiasme, parfois même la motivation pour entreprendre. Si certains dans la salle pensent qu’il leur est permis de rêver, d’autres, par contre, manifeste leur grande difficulté à concilier leurs rêves et leurs obligations sociales. Il est d’ailleurs particulièrement éclairant de s’apercevoir que les retraités et les jeunes semblent être en mesure de s’accorder plus de temps pour rêvasser, alors que ceux que l’on nomme « actifs » sont plus soumis aux contraintes de la réalité. La liberté d’imaginer une autre société est forcément conditionnée par la place accordée au travail dans notre société, et a fortiori aux moments propices à la réflexion et aux égarements « non productifs ».

Pour autant, la désillusion fait partie intégrante du processus onirique. En effet, comme on le rappelle dans l’assemblée, « un rêve « clef en main » perd tout son intérêt ». La quête vers le rêve est autant sinon plus importante que celui-ci. Et ce qui compte finalement n’est pas tant le rêve que la dynamique pour y tendre. La désillusion est donc un état nécessaire au renouvellement de cette dynamique.

Cette mécanique du rêve est d’ailleurs parfaitement entretenue par les règles de marketing utilisées dans notre société de sur-consommation. Les produits de consommation se parent bien souvent des atouts d’un rêve auquel on souhaite nous faire adhérer, un rêve imposé par le dogme d’une société d’accumulation de biens matériels. Les rêves sont planifiés, calculés, encadrés, empaquetés, mesurés, puis mis à portée de main, juste assez pour que l’effort justifie la course. Nous ne nous rendons pas compte que ces rêves sont fabriqués parce que leurs mécanismes nous dépassent. En effet, les besoins factices créés par la société de consommation, couplés au travail que nous produisons pour nous acheter nos mini-rêves, participent d’un tout. On cite dans la salle l’exemple de l’acheteur compulsif qui, jamais satisfait, se crée un autre besoin une fois son achat réalisé pour toujours avoir quelque chose à désirer.

Mais ces envies sont-ils des rêves ? En ont-ils la consistance ? Quelle est la différence entre ces désirs entretenus et les rêves ? « Avons-nous finalement de véritables rêves aujourd’hui ? » pose quelqu’un dans la salle. « Ne sommes-nous pas satisfaits de la façon dont nous vivons ? » Notre soif de liberté n’est peut-être pas encore suffisamment puissante pour nous rendre compte que les pseudo-rêves auxquels nous croyons ne sont que tromperies. A force de vivre dans une cage l’on n’en voit plus les barreaux. La résistance au changement existe en chacun de nous. Et oser nécessite alors un effort, en premier lieu sur soi-même.

Il est vrai que nous attendons beaucoup de nos politiques, et peut-être finalement peu de nous-mêmes. Mais quoi de plus légitime que d’espérer de nos élus qu’ils nous fassent rêver, ou, plus simplement, qu’ils nous dressent les plans d’une société française vers laquelle ils souhaitent nous emmener. Même à notre époque qui se veut démocratique, les discours prononcés ne sont souvent que de la poudre aux yeux. Et les promesses électorales, toujours plus insensées, font passer celui qui rêve pour un dupe. Force est de constater que le monde politique souffre aujourd’hui d’un manque évident d’imagination. Le personnel politique n’est plus capable de dessiner de nouveaux horizons, ni même d’esquisser un projet de société.

Nous pouvons nous consoler en nous rappelant, comme le fait un intervenant dans la salle, que « le rêve d’une société meilleure est aussi une question d’échelle de temps. Il ne faut pas restreindre les espérances à la brièveté de la vie d’un individu ». Le rêve nommé « démocratie », si bien esquissé chez les Grecs, a nécessité vingt-cinq siècles avant de mûrir. Mais ce n’est par pour autant qu’il faut renoncer à l’atteindre...
Rêver peut également avoir une conséquence malheureuse : celle de s’en contenter. Et si l’imagination permet de nous extraire d’une réalité parfois bien étouffante, le piège est de s’enfermer dans une sorte de petit monde réconfortant et de ne pas chercher à concrétiser. Se confronter à la réalité est certes une grande souffrance pour les rêveurs et les idéalistes qui ne voient dans la réalité qu’une sorte de brise-rêves. Pour autant, être responsable c’est aussi savoir faire des compromis sans perdre son but à atteindre, savoir tirer des bords sans perdre son cap. « Je vous apprendrai à désespérer et je vous apprendrai à vouloir » nous dit Sénèque.

Gardons-nous tout de même de considérer que les rêves, les utopies et les idéaux doivent primer sur la réalité. L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Et l’application des idéaux, sans souci d’adaptation à la réalité peut engendrer les pires abominations. Le rêve peut alors se transformer en cauchemar. Souvenons-nous de la période de Terreur qui a suivi la Révolution Française, des massacres commis au nom de l’idéal communiste, et des abominations engendrées par l’idéologie nazie.

Nous avons chacun notre rêve, un rêve tout à fait personnel. Le plus délicat est d’agencer tous les rêves des hommes. Pour cela, nul doute que chaque individu devra aliéner une part de soi-même pour aller vers l’autre et construire un projet commun. Cette disposition d’esprit, c’est la citoyenneté. Aujourd’hui, peut-être avons-nous tous plus besoin, plutôt que de persévérer dans la satisfaction de ses propres désirs, d’écouter et d’entendre les rêves des autres.

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2 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 2 mai 2007 13:02

    Votre article suscite de ma part de premières réfelxions :

    - La jeunesse a-t-elle encore le droit de rêver aujourd’hui ? J’ai tendance au pessimisme sur ce point : les jeunes sont confrontés à tant de difficultés dans leur vie courante que le réel les écrase (recherches d’emplois, de logement). Ils sont conditionnés très tôt pour ne pas rêver librement mais de la manière qu’on leur impose : désirer des produits (téléphone portable, ordinateur...), des marques. Désirer n’est pas rêver surtout lorque l’on ne prend pas le temps de laisser le désir grandir et que l’on se jette sur l’achat immédiat (ou le vol). D’autre part, le rêve est canalisé dans le virtuel des jeux et la fiction du cinéma. Enfin, la diatribe de Sarkozy contre mai 68 (ainsi que son incitation à travailer plus) annonce la fin de toute vélléité de rêve pour la jeunesse. Il plane une menace lourde : rêvez et vous verrez ce que vous verrez !

    - Les hommes et femmes pollitiques nous font-ils rêver ? Je dirai non, sauf en période de débauche médiatique. Mais les électeurs préfèrent des choix clairs sans rêve qu’un horizon plus riche d’espoir. Bayrou, qui élargissait l’horizon a été écarté parce que l’inconnu effraie, le rêve aussi ainsi que le changement des habitude. Le choix aujourd’hui est entre l’Etat providence et le marché dominateur : vous parlez d’un rêve !

    Aujourd’hui, pour rêver encore il faut résister à la domination de la société de consommation, à la télévision, au virtuel omniprésent, à l’envahissment de son espace mental et de son temps par toutes ces choses superficielles. Rêver c’est se détacher du réel, du superflu et du superficile. Rêver, c’est résister !


    • HOUSSAYE Marc HOUSSAYE Marc 2 mai 2007 21:26

      Je suis globalement d’accord avec vous cher poète de la taverne. En même temps, même si nous plongeons de plus en plus dans une réalité de plus en plus tangible et tragique, nous pouvons également penser que le rêve peut être un leurre.

      Je m’explique.

      Nous courrons vers des jours très difficiles (bouleversements climatiques (même si nous faisons de plus en plus pour protéger l’environnement), bouleversements économiques (dette de la France que le FMI va demander bientôt), bouleversements sociaux (immigrations suites aux bouleversements climatiques)). Nous nous heurterons à quelque chose que nous aurons jamais voulu imaginer. Pour autant, je crois aux pouvoir des hommes, et c’est des fois dans les plus grandes ténèbres que l’on trouve un chemin.

      Ne faut-il pas apprendre dès aujourd’hui à ne plus voir d’espoir ? Je veux dire plus d’espoir dans ce monde qui meurt.

      Avant d’imaginer un autre monde, avant de se réfugier dans une hypothétique arche, ne doit-on pas faire le deuil du système ? Je partage globalement votre point de vue sur Bayrou, j’irai plus loin : le vote Sarkozy/Royal est une persistance du système.

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