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Simone

Tranche de vie

Simone — ce n'est pas son vrai prénom mais tu vas comprendre — c'est une grand-mère comme tu en connais des douzaines — bon, pas vraiment grand-mère mais tu vas comprendre — qui est à la retraite après avoir travaillé toute sa vie. Son boulot ? Elle a élevé sept-huit gosses. Pas les siens, je viens de te dire que Simone n'est pas vraiment grand-mère, mais des "gosses de l'Assistance." L'Assistance publique est devenue la DDASS et puis c'est le Conseil général qui a pris la suite. Simone a connu toutes ces étapes administratives qui n'ont pas changé grand-chose ni pour elle, ni pour les gamins qui ont eu la chance de tomber entre ses pattes.

Simone, avec ses petites mains et son cœur gros comme un camion, elle a bercé les petiots, torché les fesses, chassé à grands coups de bisous les cauchemars de la nuit, mouché les nez morveux, essuyé les joues couvertes de larmes, mis du Mercurochrome sur les genoux écorchés, chanté Compère Guilleri, fait réciter les leçons, raconté des histoires avant de dormir, fait faire des dictées aux rétifs à ces subtilités de l'orthographe française, lu les livres de la bibliothèque municipale, reprisé les vêtements déchirés, lavé les culottes, consolé les premiers chagrins d'amour, cuisiné le riz au lait et la tarte aux pommes et le poulet-patates.

Simone, elle a reçu des bébés qu'elle a rendu à l'administration concernée quand ils étaient devenus adultes. Elle a connu les tracas des parents qui passent des nuits difficiles quand les gosses sortent des dents, font une mauvaise angine ou deviennent adeptes de l'école buissonnière. Simone, elle a aussi reçu des gosses plus âgés. Des paquets de nerfs vrillés par un court passé bien lourd qui démolissaient tout, qui la laissaient parfois un peu désemparée mais qu'elle n'a jamais lâchés.

Des jeunes chiens fous comme Jean-Claude qui avait quelque chose comme huit ans quand il a débarqué chez Simone. Il avait épuisé plusieurs familles d'accueil, dévasté quelques maisons d'enfants et ravagé un foyer pour "cas difficiles". L'Assistance commençait à se demander où diable on allait pouvoir le mettre, ce petiot avec des grenades dégoupillées plein la tête qui avait les poings bien durs même pour des éducateurs bien musclés. Quand on a pensé à Simone. Bon, on ne va pas dire que ce fut un chemin de roses sans épines. Mais Jean-Claude est resté chez Simone jusqu'à sa majorité. Il vit aujourd'hui dans un autre bout de la France et revient deux fois par an chez "sa nounou". Avec la régularité d'un métronome depuis qu'il a cessé de picoler, de se droguer, de casser tout, de boxer chaque keuf rencontré et de collectionner les courtes peines afférentes à sa révolte viscérale.

Simone, aujourd'hui, elle est âgée. Elle vit seule. Avec le minimum vieillesse. Ben oui, avec le minimum vieillesse ! Simone a bossé toute sa vie mais cela ne lui ouvre pas droit à une retraite. La loi est ainsi faite ! Simone a élevé des gosses dont personne ne voulait. Simone a eu une utilité sociale que personne ne conteste. Mais Simone n'a pas droit à une retraite d'ancien travailleur ! Et la loi, dans sa grande mansuétude, ne lui accorde que ce minimum pour surnager.

Tiens, je vais te causer comme un technicien caritatif. Simone, "elle a un reste à vivre de deux cents euros mensuels". Pour manger, se vêtir, se chauffer, pour boucler parce qu'on ne peut pas vivre avec deux cents euros par mois même si on est très frugal, Simone, elle va faire la queue devant les guichets des associations caritatives. Avec la honte au ventre. Avec la boue au fond du cœur.

Simone, je la connais pourtant bien. Mais c'est Anne, sa vieille amie, qui m'a raconté comment elle (sur)vivait et la honte, la honte, la honte ! qu'elle en éprouvait. La honte de devoir mendier auprès des associations caritatives.

C'est pour toutes les Simone que je râle encore et toujours. La cinquième puissance économique de la planète a les moyens de prendre soin de ses vieux.

Ah oui, que je méprise tous ceux qui tordent du cul en caquetant "cas particulier". Qu'ils crèvent noyés dans leur égoïsme ! Nous sommes des partageux ! Pas des coupeurs de cheveux en quatre qui comptent cent grammes de nouilles à Simone des fois qu'elle grossirait.

http://partageux.blogspot.fr


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11 réactions à cet article    


  • Aiane Aiane 31 mai 2012 10:35

    Votre billet m’a profondément émue, bien qu’il me laisse une boule de tristesse au fond de la gorge.

    Quel dommage que l’humain ne soit pas rémunéré à la réelle hauteur de ses qualités et de ses engagements, Simone n’aurait pas de souci d’argent, comme bien d’autres.


    • chapoutier 31 mai 2012 11:11

      bonjour le ’’ partageux’’

      votre texte est plein d’humanité, l’humanité des vrais gens , notre classe sociale !


      • miha 31 mai 2012 11:22

        Merci ; le partageux.


        • reprendrelamain reprendrelamain 31 mai 2012 11:34

           Cette société gérée par les notables, les nantis, les planqués, les privilégiés, les possédants, les fachos, les réacs donne envie de vomir tous les jours un peu plus, le minimum vieillesse et la soupe populaire permettent à tous ces enfoirés de continuer à bien dormir la nuit et à chercher à payer moins d’impôt le jour…merci pour votre article.


          • alain_àààé 31 mai 2012 15:24

            je suis tres ému malgré mes 63 ans ou j ai aussi cotoyé la misére du monde a travers mes déplacements en europe et je suis heureux que des gens comme vous nous rapelle la réalités mais malheureusement il faudrait une révolution pour mettre le peuple aux affaires.bel article


            • c.d.g. 31 mai 2012 16:48

              c est vrai que c est triste et qu il serait souhaitable que ce type de service a la societe soit mieux reconnu. On pourrait par exemple ponctionner un peu les plus hautes retraites pour remonter les plus basses. ca fera moins de CA a costa croisiere mais bon...

              Par contre, pour etre plus pratique. comment se fait elle qu une femme qui se soit occupe d autant d enfants soit laissee comme ca ?
              Les enfants en question ne voient pas son denuement ou ils ne veulent pas payer (triste a dire, mais ca existe aussi. ca me fait penser a je ne sais plus quel footballeur qui refuse de payer pour sa grand mere meme s il touche des millions)


              • Richard Schneider Richard Schneider 31 mai 2012 17:41

                Bonjour l’auteur,

                J’ai lu avec émotion votre beau texte sur la vie de votre héroïne.
                On ne ne peut qu’être révolté devant la triste fin de vie de Simone - qui a tant donné sans n’avoir rien reçu en retour.
                En tout cas, félicitations pour votre article plein d’humanité.
                Amicalement,
                RS

                • TyRex TyRex 31 mai 2012 20:15
                  @l’auteur

                  Bravo !
                  Pour la plume et surtout pour votre grand coeur !
                  Belle preuve d’humanité.

                  Bonne continuation.

                  • panpan 31 mai 2012 22:31

                    Oh oui ! Bravo pour la plume et pour ce bel article !

                    Et Simone alors ? Qu’elle crève ?
                    Personne ne suggère de demander son adresse pour lui envoyer un colis et un p’tit billet ?

                    Ben non : sur AV, on n’aime que la littérature .... Réaliste si possible : ça émeut... cinq minutes...


                    • HELIOS HELIOS 1er juin 2012 09:49

                      Merci Simone... que peut on rajouter ?

                      Mais le resultat d’aujourd’hui, ce n’est pas l’egoïsme, même s’il est present, ni le front de gauche, le FN, le PS ou l’UMP... ce n’est pas la mairie, la prefecture, la DDASS ou quiconque d’autre... ce n’est pas plus le facho ou le comunard du coin... helas, car si c’etait un de tout cela, on pourrait corriger le tir, l’accuser comme le font certains dans les commentaires plus haut... et revenir a une solution plus huamaine.

                      Non, le coupable, c’est vous et moi, qui au fil de notre science et de notre technique n’accordent plus aucun « jeu dans les rouages ». Le reglement, c’est le reglement. !!
                      Voila pourquoi Simone n’a plus que dalle pour vivre, se gele probablement dans son HLM ou le pavillon delabré qui lui reste et qui sera encherisé pour un promoteur de logement « sociaux ».

                      Tiens, c’est comme au supermarché du coin, qui ne sait plus vendre une salade fletrie a moitié prix.. parcequ’il n’y a pas de code a la caisse pour la faire payer... et que le trou du c... chef de rayon doit chiffrer dans sa demarque pour la balancer dans le container avec du chlore ou du petrole dessus pour etre sur qu’elle ne sera pas bouffée par un pauvre qui ne pourra en acheter une fraiche le lendemain.

                      L’administration, c’est pareil... le code pour la retraite, il n’existe pas dans le magnifique systeme informatique tout frais lui aussi, où les vrais pros de la conception ont ete virés et remplacés par de simple employés au smic... oui, oui, le RAD, Rapid Application Design qu’ils disent... pour faire plus vite et plus mal sans penser a ce qui va arriver...

                      Du plus petit des travailleurs, ou pas... il n’y a plus de responsables que pour dire NON, puisque c’est pas prevu dans l’ecran. La pêche, la prune ou la patate doivent faire 50 mm plus ou moins 2mm et point barre. les plus petites servent parfois a la confiture et les plus grosses ne partent même pas chez les cochons, ils n’ont plus le droit qu’au tourtaux de soja transgenique OGM avec antibiotiques.

                      Alors, Simone, toi non plus, ton numero secu, ton code a barre et a vie, n’est pas dans le nouveau systeme qui dispense les retraites et la dignité. Personne ne peut plus rien pour toi, si ce n’est s’indigner avant de retourner bosser... la pose, planifiée et quantifiée est achevée il reste encore 2 heures de boulot avant le repas.

                      Bonne journée à tous


                      • Ruut Ruut 1er juin 2012 11:13

                        Son travail n’était pas déclaré ?
                        Etait-ce un service rendu sans contract ?

                        Je sent surtout que simone est victime d’une arnaque.
                        Les bons sentiments n’ont jamais payés, ni nourris leurs maitres, contrairement aux fables.

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