Tempête sur l’intelligence économique Française
Adopté par l’Assemblée Nationale le 16 février 2010 et faisant actuellement la navette parlementaire en direction du Sénat, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure a introduit un encadrement peu médiatisé de la profession d’intelligence économique. Fruit d’une volonté de régulariser une activité protéiforme défrayant parfois la chronique par les agissements douteux de certaines officines. Ce faisant, et en raison du souci comme du zèle du législateur de ne rien laisser échapper, il est pertinent de se poser la question si ces dispositions législatives ne risquent pas de corseter inutilement cette profession en l’assortissant d’un poids administratif des plus conséquents.
La définition de l’activité étant décrite ainsi :
Pour la sauvegarde de l’ordre public, en particulier de la sécurité économique de la Nation et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique, sont soumises au présent titre les activités privées de sécurité consistant dans la recherche et le traitement d’informations sur l’environnement économique, commercial, industriel ou financier d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales, destinées soit à leur permettre de se protéger des risques pouvant menacer leur activité économique, leur patrimoine, leurs actifs immatériels ou leur réputation, soit à favoriser leur activité en influant sur l’évolution des affaires ou les décisions de personnes publiques ou privées.
Tout en excluant les officiers publics ou ministériels, auxiliaires de justice et entreprises de presse.
La définition retenue n’est toutefois pas l’élément principal lié à l’activité décrite (bien qu’il soit déjà en lui même sujet à discussion de par son très grand spectre), l’essentiel tenant à l’autorisation d’exercer celle-ci et qui risque de faire couler beaucoup d’encre :
Nul ne peut exercer à titre individuel, ni diriger, gérer ou être l’associé d’une personne morale exerçant une activité visée à l’article 33-1, s’il n’est titulaire d’un agrément délivré par le ministre de l’intérieur. De même que l’exercice d’une activité mentionnée à l’article 33-1 est subordonné à une autorisation délivrée par le ministre de l’intérieur en ce qui concerne les personnes morales.
Et le texte d’énumérer les conditions d’octroi de cet agrément.
Et le législateur de préciser les peines encourues, particulièrement lourdes et rédhibitoires : Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait, sauf pour les personnes établies dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un autre des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, d’exercer à titre individuel, de diriger, de gérer ou d’être l’associé d’une personne morale exerçant pour autrui, à titre professionnel, une activité visée à l’article 33-1 sans être immatriculé au registre du commerce et des sociétés ; le fait d’exercer à titre individuel, de diriger, de gérer ou d’être l’associé d’une personne morale exerçant une activité visée à l’article 33-1 sans être titulaire de l’agrément prévu à l’article 33-2 ou de continuer à exercer l’une de ces activités alors que l’agrément est suspendu ou retiré ; le fait d’exercer l’une des activités mentionnées à l’article 33-1 alors que l’autorisation prévue à l’article 33-3 n’a pas été délivrée ou de continuer à exercer l’une de ces activités alors que cette autorisation est suspendue ou retirée.
Premier bémol au vu des dispositions : un expert en intelligence économique établi dans un pays tiers devra se conformer aux dispositions légales du pays d’accueil/d’enregistrement mais sans aucune nécessité de bénéficier l’agrément du Ministère de l’Intérieur Français.
Si cela est logiquement conforme au respect du droit communautaire quant à la liberté d’exercer sa profession en chaque pays de l’Union Européenne voire de l’Espace Economique Européen, on ne peut s’empêcher de souligner de suite la première limite d’une telle législation. En outre, ne leste-t-on pas administrativement et inutilement les sociétés Françaises vis-à-vis de firmes concurrentes anglo-saxonnes (ou autres) n’étant pas assujetties à de telles contraintes de certification en leur propre pays (la dématérialisation de l’activité n’obligeant pas à une implantation physique dans le pays cible, en l’espèce la France) ?
La deuxième étant relative à l’appréciation de l’activité elle-même : quid d’une entreprise bénéficiant de son propre service d’intelligence économique mais ne l’exerçant pas à titre principal ? Doit-elle agréer les salariés du service visé ou doit-elle se faire agréer elle-même ? Et que dire des sociétés d’assurances, des cabinets d’audit, des cabinets d’avocats (hors avocats qui sont auxiliaires de justice) etc. qui peu ou prou tombent le coup de la déclaration obligatoire en raison de la qualité intrinsèque de l’intelligence économique fondamentalement transverse ?
En corollaire la définition est tellement large qu’elle obligerait nombre d’experts à recueillir cet agrément quand bien même leur activité ne serait pas fondamentalement et prioritairement focalisée sur l’intelligence économique. Ce que l’on appelle par exemple le management ou gestion des risques tomberait tout à fait dans l’obligation de disposer de l’agrément ministériel.
Dernier point, les qualifications professionnelles requises (ex. nécessité d’un diplôme spécifique ou d’un niveau d’études atteint) sont totalement absentes du projet de loi, la décision finale de délivrer l’agrément étant laissée à la discrétion de l’administration qui aura diligenté une enquête pour vérifier la probité du candidat. Adieu les Vidocq du XXIème siècle...
L’intelligence économique en France risque fort de se trouver à un tournant de son existence si le projet de loi se devait d’être adopté dans sa forme actuelle.
Je vous recommande la lecture du blog de Patrick Cuenot qui revient sur ce bouleversement professionnel en gestation en y apportant de substantiels éclairages au sein de son billet intitulé Le chargé de veille : un métier menacé ?
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