Depuis fin 2009, la grogne s’amplifie chez les informaticiens de l’Education Nationale, population habituellement plutôt discrète dont une bonne partie du pays ignore jusqu’à l’existence.
La raison de ce mécontentement est le nouveau Schéma Directeur des Infrastructures (SDI) qui semble faire l’unanimité contre lui.
Jusqu’alors, chaque académie gérait de façon autonome les applications nationales sur ses structures informatiques. Cette organisation combinait souplesse, proximité et robustesse.
Souplesse de l’organisation décentralisée.
Proximité par rapport aux gestionnaires, enseignants ou établissements scolaires.
Robustesse grâce en partie à la bonne volonté des informaticiens locaux, y compris sur leur temps libre.
Ceux-ci étaient répartis entre des relais de proximité d’assistance en établissement, les inspections académiques et le rectorat. Leur compétence et leur polyvalence ne peut souffrir de discussion, certains d’entre eux étant parfois cités ou rédigeant des articles dans des
magazines spécialisés sérieux.
Mais le Service des technologies et des systèmes d’information (
STSI) du ministère vient de sortir une version dite finalisée, la version 7, d’un nouveau Schéma Directeur.
Ce SDI se fonde sur l’axiome du bénéfice de la centralisation applicative et depuis ce point de départ bouleverse complètement une organisation actuelle plutôt performante, le tout revêtu des habits très tendance de l’adaptation nécessaire à l’évolution des techniques et des métiers.
Il a été élaboré dans la plus totale opacité, les différents volets étant présentés petit à petit aux responsables académiques sous couvert de concertation.
Les Directions des Systèmes d’Information (
DSI) en académie, soit l’équivalent des services informatiques académiques actuels, se retrouveraient dans ce schéma dépouillées de la plus grande partie de leurs missions actuelles et uniquement invitées de façon assez nébuleuse à plus de collaboration avec les collectivités locales. Des agents en inspections académiques nulle mention et pour cause, le dispositif
OFIA (organisation de la fonction informatique académique) vise déjà à leur disparition (voir
ici en page 19)
Seules certaines académies tireraient leur épingle du jeu en se retrouvant CES (Centre d’Exploitation et de Services) ou CRT (Centre de ressources techniques). Ces centres seraient renforcés au niveau ressources humaines, contraignant ainsi de facto à la mobilité les personnels des académies défavorisées, parfois situées à l’autre extrémité du pays.
L’enseignant contacte une plateforme d’assistance téléphonique locale qui prend en charge l’appel, essaie de diagnostiquer le problème et de le résoudre (niveaux 0/1 d’assistance). Si elle n’y parvient pas, le niveau 2 d’assistance est sollicité. Il s’agit d’informaticiens de l’académie de Nantes ayant une connaissance fine du produit et son environnement technique. Si le problème n’est pas soluble à l’échelon local (bug applicatif), il remonte à un niveau de diffusion nationale qui contacte s’il y a lieu les développeurs de l’application afin de renvoyer au plus vite un patch correctif ou une nouvelle version.
Donc un échelon local et un échelon national uniquement.
Le même cas post-SDI :
L’enseignant appelle la plateforme d’assistance qui ne peut résoudre le problème et qui le fait remonter.
A qui ? Là, ça devient plus compliqué. Seront alors impliqués dans le processus :
- La DSI académique, de Nantes donc, qui est sensée fournir un support de niveau 2 mais qui en réalité, faute d’informations suffisantes, ne fera que transmettre l’incident.
- Le CRT réseau prévu à Clermont-Ferrand. Est-ce un problème réseau ? Si oui, local ? National ?
- Le CES SIRHEN (future application de l’ensemble des Systèmes d’Information des Ressources Humaines de l’Education Nationale) de Versailles chargé du suivi applicatif.
- Le CRT hébergement des données, celui-là carrément externalisé dans des locaux privés (le prof va être réjoui de savoir que son dossier est stocké hors E.N., voire même en dehors de France)
- Pour consultation, le CRT supervision (Nancy) qui doit surveiller l’ensemble du dispositif informatique. Il est prévu de faire appel au privé pour l’assister dans les situations ayant des "contraintes de délais et de charge non compatibles avec les ressources internes disponibles".
Bref un magnifique labyrinthe qui va bien évidemment rallonger considérablement les temps de traitement des incidents. Sans compter qu’actuellement si par malheur l’académie de Versailles est coupée du monde ça n’impacte qu’elle, mais post-SDI toute la France sera touchée.
Les informaticiens ont bien conscience que derrière tout ça se profilent des suppressions de postes -y compris pour les gestionnaires, impactés par la refonte des applications de gestion- et le déploiement de la
RGPP. Les emplois devant être redistribués, ils craignent la mobilité forcée.
Tout cela pour améliorer le système ? Eh bien non, les premières expériences de centralisation applicative (
CHORUS, GAIA, GOSPEL, etc.) se soldent par un surcroît de travail pour les gestionnaires, une augmentation sensible des dysfonctionnements et une hausse des temps d’indisponibilité des applications. Sans compter le coût matériel. Mais pour des raisons dogmatiques, ne vaut-il pas mieux dégraisser des effectifs déjà en baisse constante et transférer des missions de service public vers le privé comme c’est déjà le cas pour la gestion des déplacements temporaires, externalisée auprès de
Ulysse Travel pour une somme pas vraiment modique (voir
ici en page 5), dans laquelle les coordonnées bancaires des agents sont stockées hors éducation nationale ?
Mais si dans l’organisation actuelle il est très difficile de céder des pans du dispositif au privé, qu’est-ce qui empêchera de vendre à un prestataire extérieur l’activité du CRT de supervision -par exemple- après l’application du SDI ? Si je veux me débarrasser de mon chien, je prétends qu’il a la rage...
L’intersyndicale, après plusieurs audiences infructueuses, appelait à la grève mardi 30 mars. Elle a été très largement suivie dans la plupart des académies. Une manifestation nationale a été organisée à Paris, qui rassemblait une centaine de personnes (pour une population d’environ 2500 agents) venues de toute la France. Cette manifestation n’a même pas pu accéder comme il était prévu à la rue de Grenelle, le ministre recevant à la même heure de façon bien plus médiatisée les syndicats enseignants
avec le succès que l’on sait.
Une délégation qui souhaitait être reçue par le cabinet du ministre n’a été autorisée qu’à rencontrer M. Fournier, chef du STSI à l’origine du projet de SDI qui n’a bien naturellement pu donner suite aux revendications de retrait et de renégociation du projet.
On se dirige tout droit vers un durcissement du mouvement alors que le baccalauréat se profile à l’horizon des prochaines semaines.
Un conflit très symptomatique de la volonté de dépouiller au maximum le service public, le conduisant de façon perverse à l’inefficacité pour mieux pouvoir le blâmer. Mais aussi du dogmatisme et de l’autisme qui règne dans les plus hautes sphères de l’Etat. Et un sens de la com (ou de l’humour ?) très prononcé comme en témoigne l’en-tête du paragraphe 1.4 de la version 7 du SDI :
"Une démarche largement participative et transparente."
C’est plus facile de résister au début qu’à la fin. (Léonard de Vinci)