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Accueil du site > Actualités > Société > Un rachat venu de loin ?

Un rachat venu de loin ?

Ça s’est passé dans un coin de campagne avec jolie vue sur la Dordogne, tout près de Libourne. Située à flanc de coteau et entourée de vignes, une maison bourgeoise devait être vidée de tout ce qu’elle contenait, plus exactement vendu aux enchères. Il y avait là tout un bric-à-brac à disperser suite à une histoire de succession probablement… La vente concernait l’ensemble des meubles mais aussi tout un lot d’objets, datant surtout de la fin du XIXe siècle et accumulés là par une famille qui, apparemment, n’en voulait plus : livres reliés correspondant au contenu d’une bibliothèque, tableaux d’artistes locaux, pendules, cuivres, vases chinois, assiettes et couverts, etc... L’annonce du journal, avait en ce jour maussade de novembre, rameuté un grand nombre d’amateurs, collectionneurs de toutes sortes, passionnés d’arts ou simplement scrutateurs de bonnes affaires.

Les ventes aux enchères courantes sont un truc plaisant. On en revient rarement sans rien et les affaires y sont plutôt bonnes. Certes, il y est possible aussi de commettre des erreurs susceptibles de mettre à mal le portefeuille mais c’est la règle du jeu !
À l’attention de ceux qui n’ont pas mis les pieds depuis longtemps dans une vente aux enchères, je dois signaler cette évolution incontournable des temps modernes que représentent les téléphones portables. Grâce à eux, nous pouvons voir, magie du XXIe siècle, certaines personnes lever la main droite pour porter enchère, l’autre main tenant un téléphone portable collé à l’oreille gauche. Lorsqu’ils entrent en scène, ces individus dotés d’un armement supérieur écrasent les enchères... Malheur aux manchots ? Que nenni, c’est juste qu’il est maintenant possible de mandater un intermédiaire qui, à vos ordres par téléphone, enchérira pour vous. C’est ainsi que, lorsque certains lots intéressants signalés au catalogue sont mis en vente, nous pouvons voir s’agiter ces personnes aux deux bras valides qui, vous l’aviez comprit, n’enchérissent pas pour eux. Par ailleurs ceux qui se cachent à l’autre bout des ondes sont certainement des êtres assez spéciaux, différents du tout-un-chacun, assez singuliers en tout cas pour ne pas vouloir se mêler à la foule vulgaire inconfortablement entassée dans la salle. Là bas, on ne se déplace pas pour faire son affaire d’un lit à trente euros ou pour une poupée en porcelaine aux vêtements défraîchis... Là bas, on achète vraiment et quant les porteurs de téléphones font entrer en scène leurs acheteurs distants ceux qui sont présents sur place n’insistent guerre, généralement !

Dans les objets à vendre il y avait deux robes d’homme chinoises. Elles étaient en soie et assez belles avec leurs dragons dorés et autres broderies mais franchement que pouvait-on faire de ces trucs, à part les mettre dans une vitrine ? Et qui pouvait bien porter ce genre de machin ? Un voisin m’explique qu’il s’agit d’une robe de Mandarin. Bon... Mon ignorance de la Chine est insondable ! Il y avait une robe jaune et une robe bleue. Le commissaire proposa la robe jaune à 80 euros, je crois mais je ne suis pas sûr, ma tête étant un peu ailleurs... Dans la lune ou plutôt dans l’extrême orient… pour moi tout aussi lointain ! Mais quelque chose allait me ramener sur Terre ou plutôt en France. C’est arrivé assez-vite quand je perçu qu’un truc était en train de se passer, que du bazar nous passions aux choses sérieuses ou folles, comme vous voudrez, en tout cas peu banales. Quant les enchères dépassèrent mille euros nous étions encore dans le déjà vu. Là, je dois préciser à l’attention de ceux qui ne fréquentent jamais une salle de ventes, vous devez activer ce réflexe de sauvegarde apprit par l’expérience consistant à faire attention aux gestes malheureux susceptible d’être mal interprétés, attention surtout aux mains et bien suivre maintenant ce qui se passe ! Le temps passa très vite et sans le commissaire et les deux ou trois porteurs de téléphones qui poussaient les enchères nous n’aurions eu qu’un pesant silence. Ambiance rare, c’était aussi le bon moment pour constater que les enchères suivent une règle de progression exponentielle, particularité mathématique invisible d’habitude mais pas ce jour là… Les 10000 euro furent franchis aussi, puis 20000, 37000... Soit le prix de base d’un studio acquis ces temps derniers par ma pomme et sa moitié via une mission confiée à un avocat, l’immobilier étant une chose sérieuse ! Mais là rien, sinon cette situation irréelle par laquelle des gens s’engageaient sur des sommes folles, comme ça, à main levée ! Nous vivions maintenant une ambiance de suspense absolu ponctuée de courts mais lourds silences lorsque le commissaire priseur voulait bien attendre un peu et laisser ses clients "branchés" deviser au téléphone de la conduite à tenir… Bref, cette foutu robe parti à plus de 100000 euros (plus de 100 k€ ou 0,1 M€... !) D’ailleurs je ne sais plus la somme exacte puisque, grâce à une immobilité absolue tel un robot dont on aurait d’urgence débranché la prise, ce n’est pas moi qui paye ! Moment magique du coup de marteau, relâchement des nerfs de tous et applaudissements spontanés du public. Applaudissements pourquoi au fait ? Pour le commissaire-priseur et son équipe ou pour le pigeon gagnant ? J’ai suivi le mouvement sans trop comprendre quoique pour moi cela irait plutôt au commissaire et à son équipe qui sur ce coup là marque bien sa journée : 20% tout de même ! Juste après la robe bleue s’est bien vendue aussi mais pour une somme plus raisonnable.

La scène vécue laisse dubitatif. Qu’avait donc de spécial cette robe ? Certainement faudrait-il être chinois pour le savoir ! Qui est cette personne disposant de fortes liquidités immédiates qui a acheté la robe ? Un chinois peut-être ? L’hypothèse ne peut être exclue puisque le catalogue de la vente était téléchargeable sur Internet ! Les choses se bousculent dans ma tête… Après tout que font tous ces objets d’origine lointaine chez nous ? Ces restes d’une autre époque, celle des colonies ? La maison n’était pas remplie que d’objets exotiques mais il n’y en avait pas mal. Ceux-là avaient été apportés là de la fin du XIXe au début du XXe siècle en provenance d’extrême orient ou d’Afrique tel cette drôle de statue noire qui faisait aussi partie de la vente… Ces vases, ces assiettes et surtout ces robes... Pourquoi ? Est-ce là le résultat d’un commerce ou d’un pillage ? D’un commerce inéquitable comme il en résulte des contrastes entre civilisations ? La robe a aujourd’hui de la valeur au moins pour quelqu’un, c’est sûr ! Valeur peut-être relative, ce qui est beaucoup pour votre bourse n’est peut-être rien pour une autre, et inversement. Le commerce diffère du pillage en ce sens qu’un échange demeure, fût-il inéquitable et celui qui vend du travail est toujours celui qui s’enrichit fût-ce lentement. La richesse du pillard est, de son coté, souvent provisoire vue à l’échelle de l’Histoire. Par ailleurs les biens faciles ne sont pas forcément dérisoires et ceux qui procèdent d’un travail créateur reconnu retrouvent toute leur valeur un jour. Il se pourrait bien que nous en soyons là, la scène vécue posant ce constat désormais en présupposition.

La Chine surprend car elle bouscule de vieilles certitudes. Il suffit pourtant d’un regard à peine attentif pour que se révèle une grande nation, par son histoire notamment. Histoire qui n’est pas la notre, c’est vrai car l’Occident a longtemps ignoré l’existence même de l’Orient, et inversement ! Il est pourtant utile de savoir qu’aux époques antiques le premier Empereur de Chine était en mesure de mobiliser bien plus de soldats que les légions Romaines, que leurs pointes de flèches étaient fabriquées en série et qu’ils avaient des arbalètes ! Ils ne connaissaient pas l’acier mais chromaient le bronze… Bref, heureusement pour nous qu’ils ignoraient l’existence de l’Occident ! Heureusement aussi qu’ils aient aussi, quelques siècle plus tard, ignoré l’Amérique, ce riche continent que nous avons découvert avant eux - pour le plus grand malheur des amérindiens - simplement parce qu’un de leurs Empereurs avait fait le choix de ne plus chercher à conquérir les mers, un choix ensuite jamais remis en cause ! Il est maintenant utile, voire impératif, de réaliser que la Chine est une grande nation. D’abord parce qu’elle est constituée d’un tiers de l’humanité, ensuite parce qu’elle porte en elle une riche culture plusieurs fois millénaire et surtout parce que ses savoir-faire tout aussi anciens, un temps dépassés il est vrai, n’en constituent pas moins un socle que l’on aurait tord de sous-estimer.

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16 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 27 novembre 2010 10:35

    Bon, juste pour s’amuser et faire dans le complotisme, un jeu à la mode :

    imaginez qu’au bout du fil ce soit le propriétaire de ladite robe. Sa stratégie est simple : il fait monter les enchères de la robe jaune au maximum. Ensuite, la robe bleue sera vendue à un gogo 10 fois, 100 fois son prix. Facile, non ?

    Parce que je ne crois pas une seconde que le (ou les) vendeur aient pu être aussi ignorants au point de laisser faire une mise à prix de 80 euros pour un objet parti à 100 000 euros.


    • Croa Croa 27 novembre 2010 19:08

      Cette hypothèse ne fonctionne pas ! Il faut ajouter 20% de frais au prix de vente et la vente de la robe bleu ne les couvre pas. De plus il faut un minimum de deux acheteurs pour faire monter les enchère... Certes un arrangement entre compères reste possible mais reste difficile à croire !


    • Francis, agnotologue JL 28 novembre 2010 07:46

      Bah ! C’est peut-être le commissaire priseur lui-même qui a fait monter les enchères. Les 20% il ne les perd pas.


    • Croa Croa 28 novembre 2010 23:52

      Il y a une taxe dans ces frais....

      Merci pour le commentaire smiley


    • voxagora voxagora 27 novembre 2010 10:36

      .

      Excellent. 
      Très évocateur, en même temps du quotidien et de l’extraordinaire,
      merci beaucoup.

      • Croa Croa 27 novembre 2010 19:24


         smiley (tout confus) smiley

        C’est moi qui te remercie !

        L’extraordinaire recèle souvent quelque chose. Ce texte est donc, au delà de l’évocation, un questionnement.

        Ce soir je vais regarder Arte : il y a une émission sur l’histoire de la Chine . ça ne répondra pas à mes questions mais j’ai le sentiment que nous avons, ici, trop de lacunes à propos de ce pays.


      • LE CHAT LE CHAT 27 novembre 2010 23:22

        merci pour ce texte qui nous change des prises de tête habituelles sur agoravox  !
        des gens qui ont de tels moyens pour acheter ce genre de reliques , il y en a , et après tout c’est pas plus con d’acheter une robe de mandarin que de payer deux millions d’euro pour une croûte d’art moderne à prix snobo-spéculatif ! quand un footeux gagne 500 000 euros par mois , faut bien qu’il le claque quelque part ! et quand on a la fortune d’un Pierre Bergé ou d’une Bettencourt.... le Chirac collectionne bien lui de l’art premier.


        • Arunah Arunah 27 novembre 2010 23:44

          Pourquoi un tel prix pour la robe jaune ? Il me semble me souvenir que certaines couleurs étaient réservées à la famille impériale, le jaune, lui, étant porté exclusivement par l’empereur...
          Le peuple lui se contentait de toutes les nuances de grisouille et de beigeasse... code des couleurs repris par le régime maoïste qui ne tolérait que le gris et l’indigo dans toutes leurs nuances.


          • Croa Croa 28 novembre 2010 17:57

            Très vraisemblable en effet bien qu’un recoupement semble introuvable : Wikipédia ne signale notamment pas cette règle protocolaire. Toutefois les derniers empereurs sont tous en jaune sur leurs portraits !

            Il s’agirait donc d’une robe impériale,
             smiley Bravo Arunah smiley

            Je présume que les détenteurs n’en savaient rien !


          • Arunah Arunah 29 novembre 2010 00:21

            Bingo !!!! C’était bien une robe impériale !

            http://www.chine-informarions.com/guide/signification-de-la-couleur-jaune-dans-la-culture-traditionnelle_2083.html


            • Arunah Arunah 29 novembre 2010 00:24

              Pardon fausse manip’ !
              Googlez « Empereur de Chine couleur jaune »


              • Croa Croa 29 novembre 2010 19:59

                Le lien est presque bon, il y a juste une faute de frappe dans l’adresse de base : « r » à la place de « t ».

                Méthode recommandée avec Firefox et équivalents (Iceweasel... ) : Clic-droit pour copier les adresses de raccourcis smiley

                Une foi corrigé le lien fonctionne
                 smiley Apparemment il y avait quelques exceptions, certains moines avaient droit aussi au jaune. Toutefois avec les dragons brodés aucun doute n’est permis, il s’agit bien d’une robe impériale.


              • Arunah Arunah 1er décembre 2010 07:13

                Et il est permis de supposer que cette robe a été pillée lors du sac du Palais d’Eté par le Corps expéditionnaire français... Sinon, comment expliquer qu’une robe impériale se soit retrouvée en rase Dordogne ? Il semble évident que les propriétaires ignoraient sa provenance... on nepeut expliquer autrement une mise à prix aussi dérisoire...


              • Croa Croa 1er décembre 2010 22:49

                Cette hypothèse tient la route, en effet smiley

                Que la robe ait retrouvée sa véritable valeur est aussi un fait intéressant auquel la famille ayant demandé la vente ne s’attendait pas. Oublié la « mise à sac » et tout le reste, la culture chinoise est reconnue parce que la Chine s’est réveillée.

                Par ailleurs la vente n’était pas en Dordogne mais en Gironde, exactement à Fronsac (village à coté de Libourne.)


              • Arunah Arunah 2 décembre 2010 03:41

                Pardon pour la rase Dordogne... 

                Pendant la période communiste les antiquités chinoises était fort appréciées par les collectionneurs chinois de Hong-kong, Singapour et Taiwan... D’ailleurs les plus belles pièces de la Cité Interdite ont été exfiltrées par les Nationalistes et se trouvent dans les musées de Taiwan et non pas en Chine continentale... ce qui d’ailleurs agace considérablement les Chinois de Chine Pop’...
                Lors d’un voyage en Chine j’ai eu la chance de rencontrer dans le groupe un commissaire-priseur, non spécialiste de la Chine, qui a bien précisé qu’en Chine, la plupart des antiquités offertes aux touristes sont fausses, que le vrai marché se trouvait à Hong-Kong ( alors possession de la Couronne ) et qu’il valait mieux acheter à Paris ( ou en Occident ) où la cote est plus basse et où il y beaucoup moins de faux... 
                Donc, sur ce point, je me permets de ne pas être d’accord avec vous... La culture traditionnelle chinoise a toujours été reconnue ( discrètement en Chine Pop’ pour cause de révolution culturelle... il y avait toutefois brocantes et antiquaires privés en plus des magasins d’état ) mais à l’étranger, le marché des antiquités chinoises a toujours été actif. En ce moment, les prix montent en raison de l’afflux de nouveaux riches et millionnaires chinois mais les Chinois de la diaspora ont toujours collectionné... Il se trouve qu’en France il y a, depuis quelques années, une désaffection des antiquités au profit du design... Il s’agit là d’une offensive planifiée, concertée pour pousser à l’achat de meubles et objets neufs qui permettent une meilleure marge et font vivre industriels et designers et non plus seulement les antiquaires...
                Il me semble excessif de déclarer que « la culture chinoise est reconnue parce que la Chine s’est réveillée »... Certains Chinois ont maintenant un haut pouvoir d’achat ce qui leur permet d’acquérir des antiquités, mais à l’exception des Gardes Rouges qui étaient des fous furieux, il ne me semble pas que les Chinois dénigraient leur culture traditionnelle, bien au contraire... j’en veux pour preuve le florissant marché des fausses antiquités ( impossible sans l’accord tacite des autorités... ) et le style chinois qui se perpétue autant en Chine Pop’ qu’à l’étranger...


                • Croa Croa 2 décembre 2010 23:32

                  Dans mon esprit cette « reconnaissance » devait s’entendre : vue d’ici. Même en ce qui concerne les acheteurs « branchés » ils ne pouvaient être que français... éventuellement des marchands disposant de clients asiatiques, pourquoi pas ?

                  Merci pour ce commentaire constructif !

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