Espace, frontière européenne
Quelques jours après le premier anniversaire du lancement de Venus Express, revenons un peu sur l’exploration spatiale et l’implication de l’Europe dans cette aventure humaine. Que faisons-nous ? Comment le faisons-nous ? Qu’en attendons-nous ?
En ces temps de campagne présidentielle bien franco-française, j’éprouve le besoin, de loin en loin, de prendre un peu de champ. Non pas que la politique m’indiffère, loin de là. Mais lever les yeux de son nombril est utile. Et ça fait un bien fou. Prenons un peu d’altitude, voulez-vous ? Laissez-moi vous emmener dans l’espace. Oh, pas bien loin. Nous ne franchirons pas la limite de notre système solaire. Un petit tour du pâté de maisons, grosso modo.
Nous sommes à l’heure actuelle tous locataires du même immeuble. Je sais que la copropriété a tendance à trouver que cet immeuble est bien vaste, bien confortable et surtout, qu’elle a le droit le plus strict d’y faire tout ce qu’elle veut, mais regardez bien, l’oeil à l’échelle du système solaire. La Terre est toute petite. Minuscule. Vous vous en éloignez un petit peu - quelques millions de kilomètres - et tout de suite, elle n’est plus qu’une étincelle aux reflets bleutés dans la nuit éternelle de notre univers. Même vue de Mars, notre bonne vieille planète n’est pas un objet très spectaculaire.
De cet immeuble, nous ne sommes sortis que très peu. Quelques balades sur le palier, en orbite basse. A ce stade, on peut difficilement imaginer qu’on a ne serait-ce que posé un pied sur le trottoir. Nous sommes aussi allés - un peu - sur la Lune. A cette échelle, c’est quoi, la lune ? Aller jusqu’au kiosque à journaux juste en face de la porte d’entrée ? Peut-être même pas.
Cela dit, nous avons quand même commencé à explorer notre petit pâté de maisons. Le quartier galactique, on se contente de le regarder de loin. La ville entière ? Ouah, notre galaxie est trop grande, trop vaste. On est encore à faire des suppositions sur sa taille, sur le nombre d’étoiles qui la composent, la nature de ce qui se trouve en son centre. Mais, bouclés dans notre chez-nous, nous regardons. Nous observons. Et nous commençons à envoyer de petites machines fureter dans les environs.
Je
vais rester européen, juste un moment. Bien sûr, il se passe
des choses extrêmement intéressantes dans l’appartement
d’à côté, mais nous jouons aussi notre petite
partition. Et, à défaut d’être souvent
spectaculaire, elle est intelligente et pleine de subtilité.
Ces derniers temps, nous avons écrit quelques belles pages de
ce début d’histoire spatiale.
Entre la mission Cassini-Huygens, où une sonde européenne s’est posée sur Titan, nous envoyant les premières images d’un monde incroyable, Mars Express qui, depuis presque trois ans, révolutionne le regard que nous portons sur la planète rouge, la cartographie et cherche de l’eau dans les sous-sols, Smart-1 qui a démontré les capacités et l’intérêt de la propulsion ionique, nous avons à notre actif quelques belles réussites. Bien évidement, toutes ces sondes ont permis de ramasser une moisson de données scientifiques de la plus grande valeur.
Voici que ces derniers jours, la petite dernière a enfin rejoint son poste de travail. Soeur de la sonde martienne, Venus Express va faire un travail un peu différent, fortement axé sur l’étude de l’atmosphère. Les instruments scientifiques embarqués vont permettre d’en savoir plus sur cette planète, presque jumelle de notre Terre et pourtant si différente, soumise à un puissant effet de serre. Souhaitons à notre ambassadrice robotique bonne chance et une grande longévité. Nul doute que les données récoltées seront utiles ici, alors que nous sommes confrontés au début d’un changement climatique.
Désormais,
nous explorons les immeubles voisins, mais cette fois-ci, depuis le
pas de leur porte. Et les données scientifiques sont
incroyables. Ainsi que les vues. Je vous invite à aller sur le site de l’ESA, et même à y
retourner. Les clichés de Mars sont extraordinaires dans leur
précision, leur qualité et par-dessus tout,
éblouissants de beauté.
Tout ce travail nous amène à ouvrir les yeux. Notre vision de l’espace a changé. Là où nos ancêtres voyaient des points brillants, certains bougeant de manière incompréhensible, se déroule maintenant devant nous un cortège de planètes, de lunes, d’astéroïdes. Et je ne vous parle pas de nos découvertes plus lointaines, d’étoiles exotiques ou effrayantes, d’exoplanètes, de trous noirs. L’espace est là, infini, varié. Et tellement beau.
Pourtant, malgré ces succès, l’aventure spatiale européenne me laisse insatisfait, frustré, presque déçu. Certes, nous privilégions les programmes scientifiques, nous mettons un maximum d’intelligence pour compenser le peu de moyens financiers que nous y consacrons. Mais je ne sens pas de réelle volonté politique, pour ne pas parler d’enthousiasme. Quel politique a les yeux qui pétillent à l’évocation de l’espace ? Où est l’élan ?
A l’heure où les Américains parlent de retourner sur la lune, où les Chinois affichent ostensiblement un programme spatial de plus en plus musclé, où d’autres puissances émergentes, comme l’Inde, tournent leur regard vers le ciel, l’Europe reste étrangement timorée. Aucune communication sur l’espace, pas de programme ambitieux, peu de moyens financiers. L’espace nous indiffère. Pourtant, nous ne manquons ni de capacités, ni d’atouts. Nos sondes spatiales ne sont pas fabriquées hors d’Europe. La société européenne Arianespace est le leader mondial dans le domaine des lanceurs.
Il est peut-être temps de rappeler aux décideurs que la course spatiale des années 1960 a permis à l’industrie américaine de faire un bond technologique fantastique. L’informatique, les télécommunications, les matériaux composites, et j’en oublie, sont des dérivés de cette volonté d’aller plus loin, plus haut. L’économie US tient encore en partie sa suprématie de cet effort constant des pouvoirs politiques.
Devons-nous continuer à nous battre pour préserver la fabrication de bouilloires dans des usines françaises ? Avons-nous la moindre chance de gagner une guerre économique en affrontant les économies négligeant les protections sociales et n’offrant que des salaires aussi maigres que les temps de travail sont élevés et les cadences effrénées ?
Nous avons une main-d’oeuvre de mieux en mieux formée, souvent très qualifiée et capable de faire des produits de très haute qualité. Il n’est pas encore à la portée de n’importe quelle économie de maîtriser les technologies nécessaires à un programme spatial ambitieux. Il est évident que les investissements publics dans ce domaine seront largement remboursés par les retombées en termes de recherche-développement conduisant à de nouvelles découvertes, de nouvelles technologies, de nouveaux produits.
Osons le pari de l’espace. Osons le pari de la hardiesse. Outre les retombées immédiates, ce pari fera évoluer les mentalités. Nos succès nous donneront une assurance, une envie d’aller de l’avant, une fierté - pour dire enfin le mot - que l’Europe a perdues dans la première moitié du XXe siècle. Nous sommes la première économie au monde, mais il nous manque un moteur, un facteur d’enthousiasme. Je pense que l’espace peut nous apporter cet élan.
D’une manière plus générale, il temps de comprendre que nous ne pourrons pas retrouver le chemin du plein-emploi en Europe sans massivement investir dans l’avenir. L’espace, les industries du retraitement des déchets, les nouvelles énergies, les métiers d’intelligence et de haute technicité sont notre quotidien futur. Si nous ratons cela, si nos politiques se battent sur des combats d’un siècle passé, nous risquons fort un jour de ne plus être autre chose qu’une destination touristique, le continent d’une culture qui fut brillante.
Voilà,
je vous ai ramené sur Terre, à la politique. Fin de l’échappée, retour au quotidien. Mais la politique est aussi là pour
nous donner les moyens de concrétiser nos rêves. Encore faut-il en parler, exprimer nos envies, faire connaître nos aspirations. Et quel meilleur moment pour cela que le début d’une campagne présidentielle ?
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