Le clavier supplétif
La fin de l'écran blanc
Aujourd'hui je n'ai pas matière à écrire. Les idées ne me viennent pas, il n'est rien à attendre de mes macérations matutinales. L'actualité s'est mise en congé de disparition célèbre, d'incidents dramatiques, de saillies gouvernementales, d'effets de manches retroussées du grand guignol. Que vais-je déblatérer ainsi sur une toile qui après tout, n'a que faire de mon ratiocinage quotidien ?
J'ai déjà usé jusqu'à la trame des facilités langagières, de l'exploitation jusqu'à l'absurde des expressions obsolètes d'une langue française abandonnée par mes contemporains. Mes diatribes confinent à la diarrhée verbale, à la logorrhée nauséeuse. N'avoir rien à écrire me pousse à déballer mes entrailles et l'arrière-cour d'une conscience infréquentable.
Il me reste la possibilité de rafraîchir un billet ancien, de gommer les erreurs du débutant d'alors, de placer deux ou trois allusions qui évoqueraient une contemporanéité fictive. Tout cela ferait sans nul doute illusion, tant ce que je glisse ainsi sur la toile n'a strictement aucune importance.
Ne rien avoir à dire suppose cependant de l'écrire avec distinction, de soigner la prose, d'amuser la galerie de quelques pirouettes élégantes. Il convient surtout d'introduire de ci de là des allusions graveleuses, des propos de salle de garde à moins que distiller des rumeurs n'ouvre des perspectives intéressantes.
Mais tout ceci se refuse à moi. Mon rien n'est tout de même pas un pas grand-chose. Il conserve sa dignité, son souci de garder la tête haute. Quoique Petit rien, il n'entend pas qu'on le toise d'un regard condescendant. Il entend prendre de la hauteur, se parant d'un H qui lui évite de se prendre pour ce qu'il ne sera jamais.
Alors que faire pour remplir cet écran de mes réveils incertains ? On me glisse à l'oreille qu'il y a désormais un collaborateur zélé des plumes sèches, un valet d'encrier qui au pied levé prend par la main tous ceux qui n'ont plus rien à dire et à penser. Pour échapper aux remarques d'une pensée conforme, il ne s'agit nullement d'un nègre, le terme est désormais proscrit, banni de la langue écrite mais tout bonnement d'un algorithme magnifique.
Au demeurant, en écrivant ce terme savant, je découvre affligé que se privant d'un « Y » dans sa graphie, ce terme à la mode se plaît à nous avertir qu'il fera consciencieusement son labeur sans la moindre tentation de ce qui faisait jadis le charme de l'écrit, la petite musique intérieure du graphomane compulsif.
Ces logiciels qui sont sur le marché, qui se prennent les pieds de page dans la toile pour rédiger à votre place me font les yeux de Chimène. Ils se proposent de puiser dans l'immense réservoir de mes sornettes pour en rédiger de nouvelles sans que j’aie besoin de me casser la tête. J'avoue que cette proposition flatte ma cossardise, voilà belle manière de gagner une petite heure de sommeil, de laisser faire la machine pour remplir cet impératif absurde que je me suis fixé.
Soudain, je prends conscience que je me fourvoie totalement. Chacun pour peu qu'il existe encore des lecteurs attentifs, découvrira la falsification. Comment concilier l'Intelligence artificielle avec la production graphique d'un âne bâté, d'un être privé totalement de capacités intellectuelles. Le logiciel ne peut que se casser les dents sur cet écueil.
Je renonce à cette facilité, cette proposition qui une fois de plus, vise à spolier les capacités humaines pour finir par dominer cette espèce en décadence. Je laisse encore à nos tribuns des tribunes l'exploitation de la chose, il y a si longtemps qu'ils confient leurs discours à des scribouillards serviles, qu'ils ne s'apercevront pas de la différence.
Quoique n'ayant rien à dire, je n'entends pas ressembler à ces usagers compulsifs de la langue de bois et de la novlangue.
À contre-emploi
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