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Le code de l’épissage et l’hypothèse de la sémantique épigénétique

Pendant longtemps, le gène a été au centre de la génétique, jusqu’à ce que le vaste domaine de l’épigénétique se dessine comme dispositif de traitement de l’information nucléique et protéique. Il n’y a plus de ligne directe entre la séquence d’un gène et sa traduction en protéine. D’innombrables mécanismes interfèrent depuis l’ARN transcrit depuis le gène vers l’expression définitive sous forme de protéine. Plusieurs catégories d’ARN non codant, de tailles diverses, interfèrent avec les ARN codants qui en fait, sont soumis à un mécanisme connu comme épissage alternatif. Imaginez une phrase de dix mots, après l’épissage, il n’en reste plus que cinq ou six. Les mots qui restent sont appelés exons et les mots coupés sont nommés introns. Si on part d’un transcrit brut contenant une dizaine d’exons et qu’on effectue une combinaison de sept ou huit de ses exons, on comprend que le nombre d’ARN résultant peut s’avérer très élevé. Le record en la matière est détenu pour l’instant par le gène Dscam de la Drosophile avec ses nombreuses séquences exoniques pouvant générer un total de 38 000 ARN disponibles pour la traduction. 38 000, c’est bien plus que le nombre de mots qu’un individu moyen, même lettré, utilise en lecture et écriture. Les protéines générées à partir du gène Dscam sont impliquées dans diverses fonctions, notamment la synaptogenèse, les connexions membranaires et les agrégations cellulaires. Nul ne sait si cette modularité des produits de Dscam a un lien avec les possibilités élevées d’épissage. Peut-être que cette question n’a pas d’intérêt pour l’instant car la logique de toute cette mécanique moléculaire nous échappe. Une tendance se dessine, celle visant à comprendre le vivant comme un ensemble de dispositifs de perception, communication, cognition. Aussi peut-on essayer de traquer et de déchiffrer ces dispositifs.

Depuis quelques années, les généticiens soupçonnent l’épissage d’être doté d’un code, autrement dit d’un ensemble de règles, à l’instar de notre langage et sa grammaire. 95 % des gènes humains sont soumis à l’épissage et ce processus serait à l’origine de nombreuses pathologies lorsqu’ils dysfonctionne à l’occasion de mutations du génome portant sur les zones altérant le processus. Un hypothétique code de l’épissage aurait été découvert selon les résultats novateurs de chercheurs canadiens (Y. Barash et al. Nature, 465, 53-59, 2010). Ces travaux sont d’une complexité rédhibitoire pour le profane. Ils associent les cartographies d’ARN réalisées avec les puces à ADN et les méthodes informatiques les plus sophistiquées. Au final, des motifs séquentiels ont été trouvés et permettent de prédire avec une bonne fiabilité le spectre d’épissage alternatif dans différents tissus, nerveux, musculaire, digestif et pour finir les cellules embryonnaires. Chaque type tissulaire lit de manière spécifique le « code d’épissage ». Ce qui n’a rien d’étonnant puisque le phénotype cellulaire dépend directement des protéines synthétisées à partir des ARN épissés et disponibles pour la machinerie ribosomale. Autre fait marquant, la présence d’exons pouvant insérer des PTC, autrement dit des codons de terminaison prématurés. Ce qui modifie notablement la séquence traduite et influe sur l’expression des gènes en la restreignant. Ces exons sont « contournés » dans les tissus embryonnaires, ce qui est cohérent avec ce que l’on sait de l’expression des gènes qui est accentuée dans le développement pour ensuite diminuer dans les tissus de l’organisme adulte. Il existe donc une classe d’exons dont le rôle est de réguler distinctement l’épissage dans les tissus embryonnaires et les tissus achevés de l’organisme mature.

Les découvreurs du code d’épissage prévoient des développements à venir, notamment pour comprendre la genèse du transcriptome dans les différents tissus et le développement de l’organisme. Des applications dans la compréhension des pathologies dégénératives sont aussi envisageables. Par contre, il manque à cette étude des réflexions plus générale sur l’existence de ce code avec de multiples motifs qui en fait, intervient comme une lecture très spécifique de l’information génomique servant de mise en forme d’un kit expressif dont la traduction finale fera intervenir le code génétique universel avec ses codons composés de trois bases. Néanmoins, cette découverte n’est pas passée inaperçue si l’on se réfère aux commentaires comme celui de J.R. Tecedor et J.Valcarcel publié conjointement dans Nature. Une vision globale consiste à penser qu’à partir d’un livre unique, celui du génome, chaque phénotype cellulaire élabore son propre livre, avec ses instructions pour que la cellule puisse se doter d’un protéome fonctionnant en réseau et concourant à réaliser la fonction tissulaire qui lui est assignée. Néanmoins, l’élaboration du livre reste indéchiffrée. Les travaux de Barash et ses collaborateurs ont montré que la recherche d’un code de l’épissage est possible mais le cryptage est très complexe et les motifs présidant au processus sont parsemés à la fois dans les introns et les exons. Il s’agit donc d’une vision très parcellaire de ce que semble constituer cette pierre de rosette épigénétique qui a pour autre nom le spliceosome.

J’aurais envie de dire, une pierre de plus car d’autres codes pourraient bien aussi interférer entre le livre génomique et le protéome. Par exemple les ceARN dont on a parlé précédemment. Ces ARN de petite taille seraient impliqué fortement dans la modulation négative du transcriptome et leur mode opératoire pourrait être interprété avec l’archétype de la pierre de rosette. D’autres ARN interférant de grande taille sont aussi des modulateurs de l’expression. Les ribonucléoprotéines interviennent également, en amont au niveau de l’épissage dans le noyau (snRNP) et en aval, au niveau du ribosome, en empêchant parfois la traduction d’un ARN en protéine. A cela s’ajoutent tous les mécanismes présents dans le noyau avec les histones qui modifient la structure de l’ADN nucléaire, rendant accessible ou non les séquences génétiques. Tous ces éléments se combinent pour faire émerger la vision d’un système vivant dont la cartographie complète est hors de portée mais dont on peut dévoiler quelques indices forts présidant à l’élaboration d’un nouveau paradigme. A noter un élément très important. Le rôle très restreignant et limitant des processus présidant à l’expression. Constat pouvant aller dans l’hypothèse que j’ai proposée, celle d’un génome dont la dynamique est analogue à celle de l’inconscient, mais un génome hyperstructuré ; comme un langage se demanderait Lacan ? Cette hypothèse me fascine et me gêne. Je ne saurais vous dire pourquoi.

S’il y a tant de codes, c’est que le système épigénétique fonctionne comme un système cognitif capable de générer son propre langage moléculaire et de l’interpréter. Depuis notre position d’observateur externe, nous accédons à quelques bribes de ce langage grâce à la combinaison des technologies d’analyse génétiques les plus poussées et des programmes informatiques seuls capables de fouiller dans cet amas de données séquentielles et de réseaux interactifs. Derrière toute cette « sémantique moléculaire » se dessine le spectre des calculateurs quantiques, qu’on peut supposer par extrapolation spéculative. Un supercode cohérent dont dériverait le code sémantique du vivant auquel nous n’accédons que de manière très parcellaire pour l’instant et qui devrait rester hors de portée pendant bien longtemps. Mais en nous approchant de ces codes sémantiques, une nouvelle vision du vivant se forge, et notamment de la substance organisée dont l’essence est résolument cognitive. Les molécules génétiques et protéiques ont un langage qui leur permet d’organiser la vie cellulaire, les fonctionnements, les transformations, les adaptations, les réactions aux perturbations. Ces dispositions sémantiques et cognitives du vivant à l’échelle moléculaire, nous les retrouverons à travers d’autres études que les scientifiques vont publier.


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2 réactions à cet article    


  • Greenman Greenman 5 avril 2013 16:36

    Bonjour !

    A lire ce texte présenté ainsi, l’épigénétique me fait quand même plus que vaguement penser à la déduplication dans les systèmes de fichier type ZFS ou BTRFS !
    Mais c’est un parallèle probablement abusif de ma part...

    Merci pour cet article intéressant :)


    • bluemartini 6 avril 2013 09:34

      Bonjour l’auteur, 


      article original et intéressant, merci. 
      Néanmoins, cet article montre ce que je regrette dans les analyses a l’échelle des génomes : la non exhaustivité des facteurs explicatifs. Du fait de la difficulté que cela représente bien entendu, mais isoler un facteur comme cela se fait habituellement me rend sceptique quant aux résultats obtenus. 
      Par exemple est ce que le spectre des épissages n’est pas à mettre en relation directe avec l’ensemble des interactions physiques-chimiques autour de la chromatine ? Dans ce cas que penser du moindre bouleversement chez l’individu sur ce spectre ? Il me semble que cette question est importante dans le cadre d’une recherche à visée médicale ou même pour la recherche fondamentale.
      De plus, les techniques de capture des niveaux d’expression des gènes reposant sur le séquençage ne me semblent pas dénués de défauts non maîtrisés et impliquant des erreurs. Détail souvent mis de cote par les chercheurs.

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