Productivité 2.0
L’invention qui se situe à l’origine de la révolution informationnelle du XXIe siècle - j’ai cité, le web - était destinée à produire une automatisation à grande échelle des tâches de recherche, de tri et d’organisation de l’information. Vannevar Bush rêvait déjà en 1945 d’un monde qui laisserait à l’être humain davantage de temps à la pensée créative, à une forme de pause dans le flux ininterrompu de nos activités, de nos pensées, propre à faciliter l’émergence de nouvelles idées. Pour David M. Levy, docteur en science informatique de l’université de Stanford et chercheur au centre de recherche de Xerox (PARC) pendant plus de quinze ans, il paraît évident que c’est bel et bien l’opposé qui s’est produit.
Dans une excellente conférence donnée dans le cadre des Google Tech Talk, rendez-vous obligé des universitaires et ingénieurs de la vallée de Palo Alto (Californie, Etats-Unis), David M. Levy fait le constat que les avancées technologiques ont produit une telle quantité d’informations que nous sommes contraints à une rationalisation permanente et qu’aucun répit ne nous est laissé pour nous permettre de rêver et d’inventer.
L’utilisateur au centre du dispositif
En effet, il semble que nous venions de passer, entre 2004 et 2007, un authentique point de bascule dans l’usage des technologies de l’information. Ce qui paraissait une invention pratique et amusante au milieu des années 90, et qui s’est ensuite transformée en phénomène de foire au début des années 2000 (... le recul aidant, la bulle internet de 2001 ressemble maintenant davantage à un miroir aux alouettes qu’à une ruée vers l’or) est en passe de secouer, voire de transformer la société sur plusieurs générations.
L’usage des technologies de l’information a connu à la fois un phénomène de croissance et d’évolution depuis 2004. Le web de première génération était formé d’ensembles de documents et de services dont le fonctionnement était basé sur des modèles connus : celui des médias, de l’édition et du commerce traditionnel. Le web de seconde génération a renversé le dispositif traditionnel : l’utilisateur se retrouve producteur et marchand. La cause et la conséquence de cette mutation des usages et des technologies est une démultiplication des échanges via les outils de mise en relation (blogs, réseaux sociaux, partage de vidéos, etc.) Une rapide étude comparative, réalisée sur l’outil statistique Alexa [3], du taux de clics sur les sites Wikipedia et NewYorkTimes.com depuis cinq ans nous éclaire immédiatement à ce sujet. Entre 2003 et 2005, le site du NYT se situe à 1 point sur une échelle allant de 0 à 10, alors que Wikipedia dépasse difficilement les 0,3 points. A partir de 2005, alors que le site du NYT atteint au mieux les 1,5 points (et connaît même un sérieux ralentissement depuis début 2007), Wikipedia ne cesse de grimper pour atteindre les 9,5 points au cours du premier trimestre 2008.
Nouvelle génération et nouveaux usages numériques
L’utilisateur a changé aussi vite que la technologie. Ceci est plus particulièrement vrai pour la nouvelle génération pour qui l’information et la communication sont devenues un modus vivendi. Selon une étude commandée par la Commission européenne sur la Société de l’information et des médias [4], et conduite de janvier 2005 à juin 2006, six jeunes Français sur dix estiment important d’être connectés en permanence avec ses amis et plus de 60 % des jeunes Européens téléchargent régulièrement des fichiers musicaux, vidéos et logiciels. Tandis que la jeune génération se concentre sur les usages liés à l’immédiateté de l’information et de la communication, une enquête Ipsos de janvier 2006 [5] montre que les utilisateurs plus âgés se répartissent selon un spectre plus équilibré : utilisation des moteurs de recherche (68 %), des comparateurs de prix (51,2 %), des sites de petites annonces d’emploi (31 %), des sites d’enchères (22 %), de jeux en ligne (20 %), etc. Enfin, une autre étude Ipsos datant de 2005 montre que 64 % des internautes recherche quotidiennement des informations liées à l’actualité (voir sources en fin d’article).
Gérer son écosystème numérique personnel
Ces chiffres nous indiquent que la recherche, le tri, l’organisation, la réception, le traitement, la validation de données sont autant de tâches qui font à présent entièrement partie de notre quotidien et que nous entrons dans l’ère informationnelle avec avidité. Le constat que porte David M. Levy sur la présence massive et croissante des technologies de l’information dans nos vies, c’est que celles-ci n’ont pas (ou du moins pas encore) permis à l’être humain de libérer de l’espace pour les loisirs (au sens noble) ou pour la pensée créative.
Mais il se trouve qu’en même temps ces mêmes réseaux d’information, qui nous submergent chaque jour de données, nous fournissent également des pistes de réflexion pour parvenir à ce que l’on pourrait appeler une forme d’écologie du travail via une meilleure gestion de notre écosystème numérique personnel. Par écosystème numérique personnel, j’entends l’ensemble des activités qui sont axés sur le traitement d’information à usage personnel et professionnel ainsi que la communication entre pairs : SMS, chat, messagerie instantanée, email, moteur de recherche, flux RSS, podcast, bookmarking, réseaux sociaux, crowdsourcing, production et partage de photo et vidéos, partage de documents, téléchargement, sites de discussions et d’opinions, mash-ups, blogs, twitter, gestion de carrière en ligne, outils statistiques, etc.
Mettre ses affaires en ordre
David Allen [6], concepteur de la méthode “Getting Things Done” (GTD) [7], propose une approche à la fois pragmatique et inspirante, basée sur le constat que ce que nous ressentons comme une sensation de stress n’est pas due à une surcharge d’information, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord. Dans une conférence également organisée au sein du Google Tech Talk, David Allen explique avec humour et enthousiasme que lorsque nous nous promenons dans la forêt, des quantités proprement astronomiques d’informations sensorielles sont déversées en flot dans notre cerveau. Et pourtant, nous nous sentons bien. Ce qui produit la sensation de stress, c’est la surcharge de significations potentielles. Pour reprendre l’exemple de David Allen, c’est un peu comme si chaque élément de la forêt était susceptible de nous attaquer à tout moment.
Ainsi que l’explique son inventeur, la méthode GTD se pratique un peu chaque jour, comme un art martial. La pratique venant, on acquiert une plus grande capacité à gérer l’imprévisible. Le stress au travail vient de l’écart ressenti entre ce que l’on attend de nous et les moyens qui sont mis à notre disposition. En situation de stress, notre horizon de perspective se rétrécit et nous ne possédons plus de marge de manœuvre pour initier une pensée créative. Selon David Allen, notre esprit est perpétuellement encombré de pensées qui ne nous quittent que lorsqu’elles ont trouvé une résolution : “je dois appeler cette personne”, “je dois envoyer ce document”, “je dois passer à la banque”, “je dois acheter ce produit”, etc. Pour David Allen, la seule façon se faire taire ses pensées, c’est d’accomplir les tâches que nous sommes censés faire et cesser de repousser leur résolution.
Des outils de productivité personnelle
Le web regorge de solutions permettant d’organiser son travail et sa vie quotidienne. A titre d’exemples, et en guise de conclusion, je listerai 5 solutions qui m’ont séduit par leur simplicité d’usage et leurs fonctionnalités. Il revient à chacun de trouver la méthode qui lui est le plus adaptée pour organiser son propre écosystème numérique.
- Todoist : un petit service en ligne d’organisation de tâches, gratuit et efficace.
Site web : http://www.todoist.com - Midnightbeep : un logiciel de gestion des tâches très élaboré et peu cher.
Site web : http://www.midnightbeep.com - Mindmeister : un outil collaboratif de schématisation d’idées.
Site web : http://www.mindmeister.com - Google Notebook : une fonctionnalité de Firefox permettant de prendre des notes directement dans le navigateur.
Site web : http://www.google.com/noteboo - Carnets de réunion “Action Method” : des carnets très bien conçus pour prendre des notes en réunion et en ressortir avec une liste précise d’actions à mener.
Site web : http://www.actionmethod.com/Products
Les technologies du Web 2.0 et leurs usages apportent à la société des perspectives profondément renouvelées. Face à l’extraordinaire révolution informationnelle qui s’amorce, les outils issus directement de ces technologies ou simplement de l’esprit collaboration, de pragmatisme et d’efficacité qui en découle, nous donnent les moyens d’entrevoir d’autres modes de fonctionnement dans le monde du travail et dans la société en général. Ce que nous montre David Allen, c’est que la mise en œuvre de la société informationnelle commence par soi, par son propre bureau, par son propre écosystème numérique.
Références :
- Vannevar Bush sur Wikipedia : No Time to Think. http://fr.wikipedia.org/wiki/Vannevar_Bush
- Conférence de D.M. Levy : http://fr.youtube.com/watch?v=KHGcvj3JiGA&feature=user
- Site de statistiques comparées : http://www.alexa.com
- Etude de la Commission européenne : http://www.clemi.org/international/mediappro/Mediappro_b.pdf
- Etude Ipsos sur le Journal du net : http://www.journaldunet.com/cc/01_internautes/inter_usage_fr.shtml
- Conférence de David Allen : Getting Things Done. http://fr.youtube.com/watch?v=Qo7vUdKTlh
- Article de Wikipedia sur la méthode Getting Things Done (GTD) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Getting_Things_Done
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