Robert Edwards « couronné » plus de trente ans après le premier bébé éprouvette
Le Nobel de Médecine 2010 vient de récompenser le père de la fécondation in vitro.
Le biologiste et physiologiste Robert Geffrey Edwards (85 ans) vient de recevoir, ce 4 octobre 2010, le Prix Nobel de Médecine 2010. La plus haute distinction scientifique récompense la performance de Robert Edwards et de Patrick Steptoe du 25 juillet 1978 à 23h47 : la naissance de Louise Brown, le premier "bébé éprouvette" de l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, il était possible de "forcer" la conception d’un être humain hors de l’utérus.
Le projet (qui date de 1968) s’était déroulé très complémentairement entre le physiologiste récompensé et le gynécologue Patrick Steptoe qui a disparu le 21 mars 1988 et qui, sans doute, aurait été également récompensé aujourd’hui pour sa contribution décisive.
L’objectif était de recueillir les ovaires de femmes stériles et d’essayer de faire une fécondation en éprouvette (in vitro). Robert Edwards s’occupait surtout de la partie analyse en laboratoire.
Après beaucoup de tentatives et d’échecs, Louise Joy Brown est née il y a trente-deux ans et a appris sa particularité à l’âge de quatre ans. Sa sœur Natalie Brown est née également dans les mêmes conditions et a elle-même donné naissance à un enfant (de manière naturelle).
Pour Louise Brown, Robert Edwards fait partie de la famille depuis toujours et les deux se voient régulièrement.
Un mécano de la procréation
Les deux médecins furent critiqués fréquemment, ce qui était prévisible sur le plan éthique : eux ont été les mécanos de la vie, mais ils ont laissé de côté un nombre très important de questions éthiques qui a encouragé un chercheur comme Jacques Testard à renoncer à la poursuite de ses travaux.
Malgré les contestations, la méthode fonctionne (avec un taux de réussite de 20% cependant) et a été utilisée un très grand nombre de fois partout dans le monde (il existerait entre trois et quatre millions de "personnes éprouvettes" dans le monde). Le 24 février 1982, c’était au tour de la France d’avoir son premier bébé éprouvette, Amandine grâce aux efforts conjugués de Jacques Testard, René Frydman et Émile Papiernik.
Parmi les problèmes éthiques, le principal est très concret : pour réussir un "bébé éprouvette", il est nécessaire de "fabriquer" de nombreux embryons et seulement un ou quelques uns (dans le cas de jumeaux, triplets etc.) sont utilisés. Les autres sont conservés et n’ont ni existence juridique ni avenir. Que faire de ces embryons ? Les détruire au risque de détruire une vie en devenir ? Les conserver au froid et dans quel but ? Les utiliser comme matière première organique pour d’autres êtres humains avec le risque d’instrumentaliser des êtres au profit d’autres êtres ?
Technologie versus éthique ?
C’est tout le problème de la science qui se concentre sur la capacité à parfaire une technologie sans forcément répondre à des questions plus existentielles qui appartiennent, elles, à tout le monde, y compris aux non scientifiques et principalement au législateur. C’est le principe d’ailleurs des lois sur la bioéthique qui ont été conçues, en France, dans un esprit de relatif consensus.
La réponse qu’avait faite Robert Edwards le 31 janvier 2007 sur l’éthique était la suivante : « Pour ma part, je ne crois plus en l’existence d’un dieu depuis l’âge de neuf ans. Disons que je savais que l’Église catholique condamnait et ne cesserait de condamner mes recherches puisqu’elle s’opposait à la manipulation des cellules sexuelles de l’espèce humaine. On m’a aussi reproché de ne pas avoir travaillé sur des singes avant de mener des recherches sur l’homme, alors même que les ovaires de guenon sont minuscules et très difficiles à ponctionner. ». Robert Edwards avait commencé ses travaux en 1955 sur les souris.
Et Robert Edwards ajoutait : « Il ne devrait pas y avoir de limites aux recherches scientifiques rigoureuses et honnêtes sur l’embryon. (…) De ce point de vue, je ne partage absolument pas la conception française qui entend réfléchir a priori sur ce qui est ou non autorisé. Ce n’est absolument pas constructif. Vous réfléchissez quand nous agissons. J’observe d’autre part que lorsque l’on interdit à un jeune chercheur de travailler, il va ailleurs. En outre, il existe en Inde, en Chine ou au Japon des scientifiques qui vont très vite, très loin. Nous risquons fort d’être dépassés. ».
Évidemment, ce qui est valable pour la recherche sur les embryons pourraient l’être aussi sur les OGM ou sur tout sujet qui comporte un certain nombre de risques à la fois éthiques et environnementaux.
René Frydman a rappelé le 25 juillet 2008 que la naissance d’Amandine en France a engendré une prise de conscience des problèmes éthiques par les pouvoirs publics et la mise en place du Comité constatif national d’éthique en 1983. René Frydman a aussi raconté qu’étant conseiller de Bernard Kouchner, Ministre de la Santé en 1992, il a participé à l’élaboration de la première loi de bioéthique et lors de la première réunion interministérielle, le conseiller du Premier Ministre Pierre Bérégovoy lui a lancé à la figure : « Vous êtes complètement fous, vous voulez faire chuter le gouvernement ! ». La loi fut finalement adoptée en 1994 et a interdit toute recherche invasive sur l’embryon en France.
Un prix bien tardif
L’attribution du Prix Nobel reste toujours sujet à caution. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’honorer une performance scientifique. En 2008 déjà, la découverte du virus du sida avait été également reconnue avec beaucoup de retard.
Aujourd’hui, le comité Nobel, qui a expliqué à Stockholm son choix : « Ses contributions représentent une étape importante dans le développement de la médecine moderne. », a déclaré que Robert Edwards était trop fatigué pour commenter l’annonce de sa récompense.
Étrangement, Robert Edwards n’a pas encore de fiche Wikipédia (mais ça ne va pas tarder) et on pourra lire son CV ici.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (4 octobre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Trente ans de fécondation in vitro.
Interview de Robert Edwards le 31 janvier 2007.
Interview de René Frydman le 25 juillet 2008.
Prix Nobel.
CV de Robert Edwards.
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