Chronologie :

En décembre 2006, la société Spock.com lève 7 millions de dollars, pour comme de bien entendu, développer son activité. Le modèle économique, tel qu’annoncé par son directeur est la publicité.

En point de départ, pour mon étude, apparaît une interview effectuée en juin à San Francisco par Isabelle Boucq, une journaliste indépendante, avec Jaideep Singh, le directeur de Spock. Celui-ci pose déjà astucieusement les bases des éléments qui vont être l’objet de toutes les remarques et critiques dans les semaines qui vont venir. (Lire l’interview dans 01)

L’interview est reprise apparemment par l’AFP début août et relayée par plus de 500 articles (en anglais pour l’essentiel) dans le monde. L’ouverture du site lui-même n’étant prévu que le 9 août, le moteur ne peut être testé, et donc l’essentiel de ce qui est dit dans l’interview de départ par le directeur constitue la base de ce qui va être repris dans ces articles. On retrouve ainsi essentiellement les phrases "30 % des recherches sur Internet ont pour objet une personne", "100 millions de profils d’individus indexés".

A l’approche de l’ouverture, notons que 26 articles (en français) ont déjà été écrits sur le sujet, sans que ces personnes n’aient pu tester le moteur. Rien qu’à la lecture des titres (frisant l’irrationnel), il est possible de ressentir l’essentiel des craintes qui sont exacerbées par ce moteur de recherche.

  • "Six milliards d’êtres humains bientôt indexés" (www.lexpress.ch)
  • "Comment rassembler des données privées" (www.top-logiciel.net)
  • "Tout le monde référencé sur le Web" (www.infos-du-net.com)
  • "Spock et votre vie privée devient publique" (blog.x-prime.com)
  • "Méfiance autour de la mise en ligne de Spock" (www.radiofrance.fr, France info)
  • "Spock connaît tout le monde" (techno.branchez-vous.com)
  • "Spock.com, moteur de recherche fichant les internautes" (www.generation-nt.com)
  • "Spock : le moteur de recherche qui étale votre vie privée au grand jour" (blog.choc.fr)

Après son ouverture, le site provoque peu de réactions, l’essentiel des rédactions ayant déjà rédigé un article. Pour terminer, un article/sondage du Journal du net du 18 août pose la question : "Spock : le buzz est-il justifié ?", à laquelle cet article tente de fournir quelques éléments de réponse.

Voici un graphique montrant la répartition des articles concernant ce sujet qui ont pu être identifiés :

Analyse technologique :

Spock n’amène rien de révolutionnaire. D’autres sites l’ont déjà fait et d’autres le feront. Notons en particulier le moteur Wink, qui est cité fréquemment, et dont l’apparence est assez proche. A mon avis, 99 % des résultats fournis par Spock sont obtenus par moins d’une vingtaine de sites, astucieusement recoupés par le moteur. Pour rechercher une personne de votre entourage, faites sur Google la restriction "site:linkedin.com" et pour une personne connue "site:wikipedia.org" et vous verrez que les résultats ressemblent énormément à ce que vous fournira Spock. Notons aussi que le moteur était saturé dès le 9 août, jour de son ouverture, et qu’il ne gérait pas les accentués dans les noms (corrigé depuis) ni les erreurs dans l’orthographe des noms (aucune approximation n’est proposée, même si aucun résultat n’est obtenu). Des tags, mis en place par un système "Web 2.0" avec identification et votes, permettent d’ajouter des mots-clefs significatifs (voir plus loin) sur les individus de votre choix.

Quelques concurrents :

PeekYou, Pipl, ZoomInfo et Wink sont déjà connus. Même l’annuaire whitespages.com propose maintenant des informations complémentaires sur certaines personnes. L’argument essentiel de ce qui semble être la force de Spock de ce côté-là réside dans ce fameux chiffre (invérifiable) de 100 millions de personnes indexées, nettement supérieur à ceux annoncés par les concurrents.

La peur de Big Brother :

En quelque sorte, Spock n’est que le révélateur de nos craintes. C’est principalement en cela que cette société a réussi partiellement son "coup".

Quelques mots-clefs (ici concepts) vont ressortir de ces articles et me semblent représentatifs des thèmes abordés :

Notons que "Vie privée" revient dans presque un article sur trois. Pourtant, tout le monde sait (ou devrait savoir) que tout ce qu’il "pose" sur Internet risque potentiellement de laisser une trace qu’il pourra regretter par la suite. Cette "trace" est quasiment indélébile et les cabinets de recrutement, les employeurs eux-mêmes pratiquent la fameuse recherche Google sur les individus qu’ils veulent embaucher (ne l’avez vous jamais fait ?). (Lire "Les DRH utilisent Internet pour pister leurs futurs employés" ). Notons à ce propos que l’expression "To google someone" est entré dans l’Oxford English Dictionnary depuis plus d’un an (lire).

Donc, et ce n’est pas nouveau : il vaut mieux que vous preniez garde à tout ce que vous écrivez sur Internet. Tout ce que vous pourrez dire pourra se retourner contre vous...

Toutefois, et c’est relativement clair, Spock n’indexe en théorie que ce qui est public. Il met principalement en avant les fiches établies par les individus eux-mêmes, sur les fameux "réseaux sociaux". Il n’est à mon avis pas (encore ?) assez puissant pour extraire ce qu’un humain pourra établir par croisement d’après les résultats de quelques requêtes sur Google.

Un côté "people" :

Une fois que vous avez essayé votre nom et celui de vos proches sur ce moteur, histoire de tester, vous êtes rapidement tenté de saisir des "célébrités". Et là, à mon avis le moteur montre ce qui va engendrer l’essentiel de ses visites, c’est-à-dire des photos, des commentaires et des tags. Photos accrocheuses (dans le cas de Paris Hilton, par exemple, l’a-t-elle choisi ?), plus officielles apparemment dans le cas des hommes politiques. On peut constater que les résumés sont issus de Wikipédia dans la plupart des cas, ce qui devrait, selon l’usage établi, garantir une certaine impartialité (?).

Le problème des tags :

Mais ce que les personnes connues et moins connues ont le plus à craindre sont sans doute ces tags. Mis en place arbitrairement, ils sont censés s’autoréguler par un système de vote qui devrait "équilibrer" le système et éliminer les aberrations. Ils peuvent sembler anodins, au premier abord, mais ils peuvent, si plusieurs personnes se concertent, vous associer à une étiquette qui ne vous conviendra pas forcément. Pour ce que j’ai pu constater (ils ont pu être changés depuis), cela peut donner quelques résultats étranges, que l’on peut aisément tester par un clic sur un tag ou bien en tapant directement l’expression correspondant à un tag dans le champ de la requête.

Ainsi, "drunk driver" donne Paris Hilton en 1, George W. Bush en 2 et d’autres "people". "Antisémite" donne en premier Mel Gibson, qualificatif issu d’une controverse (selon Wikipédia). Cette même requête sur le moteur concurrent Wink semble nettement plus pertinente et fournit une liste d’hommes politiques d’extrême-droite dont le discours ne prête pas à confusion !

Tapez "scientologist" et vous verrez que Tom Cruise et Katie Holmes emportent la palme, devant Ron Hubbard ! On peut remarquer aussi l’étrange "FBI-Most-Wanted" présente sur la page d’accueil, et je laisse au lecteur le soin de mesurer l’intérêt d’un tel lien sur la page d’accueil de ce site.

Concernant les hommes politiques français, on peut s’étonner aussi d’un étrange tag "prout" pour Nicolas Sarkozy, d’un "abracadabrantesque" pour Jacques Chirac, d’un "socialist" pour François Bayrou et d’un gracieux "pain in the ass" pour Ségolène Royal. Eric Besson est quant à lui qualifié de "whistleblower" (lire en anglais), terme que j’ai appris pour l’occasion, et qui dénote une volonté humoristique (à mon sens) de présenter le personnage. François Hollande est pour sa part associé à Valérie Trierweiler (ne désirant pas ajouter à la polémique en cours, je vous laisse cherchez vous-mêmes qui elle est !).

Pour finir Nicolas Sarkozy, dès le départ, faisait l’objet d’une discussion, quand le tag "Anne Fulda" disparut au bout de quelques jours (lire).

Comme on peut aisément l’imaginer, aucune des personnes concernées ne doit être particulièrement ravie de voir ces tags associés à son nom. Imaginez alors votre tête quand un de vos collègues, ami ou ennemi vous aura collé une étiquette humoristique ou dégradante.

Le directeur de Spock s’en prévient dès son interview en prétendant que toute fiche peut être enlevée à la demande.

Conclusion :

Chacun pourra tirer aisément ses propres conclusions sur ce moteur lui-même, sur les peurs justifiées ou non que l’on peut ressentir sur l’utilisation des données sur Internet, aussi sur comment engendrer un buzz sur Internet (auquel je contribue) avec les trois ficelles qu’a utilisées le directeur de Spock, et pour finir, on pourra s’interroger sur la justification de certains articles sur Internet, quand ils n’ont pas pu tester l’objet de leur article. Mais ça, c’est un autre débat.

Pour vous faire une opinion sur le moteur : www.spock.com