« Electre des Bas-Fonds » Simon Abkarian en Majesté au Théâtre du Soleil
Si, après avoir mis les pieds à l’étrier du jeune comédien Simon Abkarian en formation durant huit années auprès de la troupe du Soleil, Ariane Mnouchkine l’accueille, de nouveau à La Cartoucherie, d’une année sur l’autre, avec sa Compagnie des 5 Roues d’abord pour son diptyque « Au-delà des ténèbres » et maintenant pour « Electre des bas-fonds », c’est bel et bien que l’illustre fondatrice non seulement soutient ces réalisations mais, sans doute aussi, y voit-elle un fort lien de filiation, de transmission et peut-être même imagine-t-elle, qui sait, un potentiel futur passage de relais pour le Théâtre du Soleil créé par elle en 1964.
Si le souffle épique soulevant et emportant les créations d’Ariane ont influé depuis plus d’un(e) artiste, tous n’ont pas pu ou su relever le défi de s’en émanciper identitairement tout en restant au plus près de l’esprit qui nourrit et agit de l’intérieur ces grandes fresques mythologiques à la fois cyclopéennes et homériques se révélant dans un même élan scénographique, transcendantes et métaphoriques de notre époque, celle-ci étant plus que jamais en quête de repères signifiants.
En effet, si par exemple les mondes imaginaires de Philippe Caubère et Simon Abkarian ont été, tour à tour, profondément marqués et déterminés par le travail ontologique auquel a notamment contribué, en ces ateliers du Soleil, Hélène Cixous, l’un a pris son envol en adoptant la quête autobiographique dans sa dimension anthropologique, l’autre semble projeter son propre univers fantasmagorique dans une perception intemporelle du patrimoine théâtral.
A chacun donc son art et sa manière, éclairés fort opportunément par la passionnante perspective d’une prochaine reprise au Soleil de « Une Chambre en Inde » en alternance avec « Notre petit Mahabharata » initiés collectivement par Ariane.
Et voici qu’en prémices à cet hommage duel à la culture orientale, l’élève à hauteur du Maître propose et dispose des lieux légendaires durant plus d’un mois, pour y relater une fable de son crû à la manière, excusez du peu, d’Euripide, de Sophocle et d’Eschyle unis pour la cause.
Electre y est toujours, bien sûr, la sœur d’Oreste et Agamemnon y reste leur père assassiné par Egisthe, amant de Clytemnestre, leur mère désormais maudite.
Mais si Simon a voulu, là également, s’affranchir d’une référence plus précisément dédiée à l’un de ces fameux auteurs antiques, c’est pour mieux leur être fidèle à eux trois en esprit tout en ayant la faculté et l’indépendance d’adapter son propre récit en phase avec la musique Rock and Soul ainsi qu’avec un style chorégraphique asiatique en pleine inventivité.
Par ailleurs, en se délivrant des contraintes du genre, imaginer Oreste sous une apparence féminine à y méprendre successivement sa sœur et sa mère, l’auteur-réalisateur en conçoit une sorte de transgression absolue où aucune limite contingente ne serait en mesure d’arrêter le processus atavique de vengeance filiale d’un frère et d’une sœur désespérés d’avoir été spoliés du sens de leurs existences respectives.
Alors effectivement au cœur d’une véritable épopée « Mnouchkinienne », Simon Abkarian engouffre sa troupe de 14 comédiennes-danseuses et 6 comédiens-danseurs dans les bas-fonds d’Argos à la veille d’une luxuriante fête des morts où certains « bons vivants » devront payer le prix fort afin de rendre leurs comptes ultimes à la conscience collective ne pouvant se résoudre à la soumission et à la servilité.
Par essence sous forme de théâtre musical et chorégraphique, ce spectacle ne craint pas l’emphase et la récurrence, pourvu que le ressentiment interne puisse s’y exprimer selon tous les pores de la peau, celle des artistes sur scène, avec l’objectif chevillé jusqu’à la lie de trucider la corruption criminelle dûment identifiée.
Ce spectacle est un manifeste régal tout ouïe face à la faramineuse vision d’un monde masculin-féminin à dominante noir et blanc en proie aux démons du pouvoir indubitablement mal maîtrisés. Longue vie au Soleil !…
photos 1 à 4 © Antoine AGOUDJIAN
photos 5 & 6 © Theothea.com
ELECTRE DES BAS-FONDS - ***. Theothea.com - de & mise en scène Simon Abkarian - musique trio des Howlin’ Jaws - avec Maral Abkarian, Chouchane Agoudjian, Anaïs Ancel, Maud Brethenoux, Aurore Frémont, Christina Galstian Agoudjian, Georgia Ives (en alternance), Rafaela Jirkovsky, Nathalie Le Boucher, Nedjma Merahi, Manon Pélissier, Annie Rumani, Catherine Schaub Abkarian, Suzana Thomaz, Frédérique Voruz, Simon Abkarian, Assaad Bouab, Laurent Clauwaert, Victor Fradet, Eliot Maurel & Olivier Mansard - Théâtre du Soleil (Cartoucherie de Vincennes)
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