J’ai eu l’occasion de lire plusieurs de vos écrits concernant le système éducatif français ces derniers temps. Cette fois, je vais prendre le temps de répondre.
Je
suis professeur de mathématiques, dans un collège ECLAIR. Je travaille
au quotidien pour essayer de faire réussir tous mes élèves sans en
laisser sur le bord de la route.
Si
on peut être d’accord avec certains points mathématiques que vous
soulevez, la philosophie de l’article en est bien le fond. Les exemples
que vous donnez servent votre vision. Et cette philosophie globale, je
n’y adhère pas … en fait elle me révulse. «
Sous prétexte qu’il existe des aveugles et des borgnes, doit-on crever
les yeux à tous les citoyens pour assurer un traitement égal à tous ? »
Vous
rendez-vous compte de la violence de cette phrase et de l’état d’esprit
qu’elle véhicule ? Comparer des élèves en difficulté scolaire à des
aveugles et des borgnes est profondément choquant. Cela renvoie à une
sorte de « sélection naturelle » qui me paraît très douteuse. Cela
suppose aussi qu’ils sont perdus à jamais ? Je crois en l’éducabilité
de tous, je n’ai pas le sentiment que ce soit votre cas en vous lisant.
«
C’est ce qui semble être fait dans l’enseignement où l’on choisit avec
entrain d’utiliser pour tous des méthodes et des progressions
construites pour des élèves en difficulté, en faisant attendre les
autres des années derrière leurs tables. »
Affirmation
fausse. Croyez moi, tout est bien calibré pour que les méthodes et les
progressions soient faites pour les meilleurs élèves, en faisant
attendre les autres … non pardon, en les faisant échouer, en les
décrochant et en ne leur offrant pas le bagage commun nécessaire. Nos
résultats aux enquêtes internationales sont frappantes : une élite très
performante et un gros groupe d’élèves décrochés. Et devinez quoi ?
C’est la reproduction sociale qui prévaut.
D’autant
que vous parlez du lycée … sachez que dans mon établissement, moins de
30 % des élèves accèdent au lycée général et moins de 3 % dans la
prestigieuse filière S. C’est le lot des collèges dit « difficiles ».
Les élèves dont vous parlez dans votre article ont déjà largement été
filtrés par la grande machine à sélectionner qu’est l’éducation
nationale française.
«
Il y aura toujours des élèves en difficulté, et il convient de leur
proposer des voies adaptées dans lesquelles ils pourront progresser et
s’épanouir. »
Le
retour des vieilles lunes … ou comment se donner bonne conscience en
invoquant l’épanouissement d’élèves dans des filières différentes, des
voies adaptées … blablabla ! C’est du tri, de la sélection, de la
ségrégation sociale organisée. Car soyons clair, ce sont bien les plus
fragiles socialement qui se retrouveront dans ces fameuses filières... à
14 ans ? (avec tout l’aspect « travail des enfants » qu’on oublie bien
vite). Mais
surtout, c’est se dédouaner d’une vraie réflexion sur la pédagogie.
Pourquoi l’école perd ces élèves fragiles ? Parce que tout est calibré
pour les bons. Parce que le cours « magistral » ou « descendant » ,
uniforme, s’adresse aux meilleurs. Jamais, ou si peu, les questions de
différenciation , de diversification ou de coopération ne sont posées. La
coopération, parlons en ! Connaissez vous le thèorème de Duru ? La
coopération serait extrêmement profitable à celui qui aide ? Peut être
même plus qu’à celui qui est aidé ? Et je ne parle pas des compétences
sociales développées. Eh oui ! Les discours simplistes ne tiennent pas
bien longtemps... Pourquoi
ne parle-t-on que si peu des réussites des classes Freinet dont la
philosophie est aux antipodes de la philosophie que vous portez pour
l’école ?
Il
faut aussi penser que l’école est là pour former les futurs citoyens et
non uniquement faire ingurgiter des masses de savoirs savants qui
servent à la poursuite d’étude et surtout à la sélection. Alors que des
définitions soient calibrées « grand public » ne me choque aucunement et
ne pénalise en rien ceux que vous voulez voir décrocher une place aux
concours des grandes écoles. Ne vous faîtes pas de soucis, pour eux,
tout va bien ! Pour les autres, le changement c’est maintenant ?
PS
1 : Je signale au passage que contrairement à une idée véhiculée par
certains polémistes réactionnaire, les IUFM ne sont pas remplis de ceux
qu’ils appellent les “pédagogistes” qui véhiculeraient une pensée
unique. Vous en êtes la preuve et vous n’êtes pas le seul. Vous formez
les futurs enseignants et les idées que vous véhiculez sont, à mon sens,
néfastes pour les élèves les plus fragiles.
PS 2 : Je passe sur les commentaires nauséabonds à la suite de l’article.