La principale grande difficulté de
l’amour, c’est la réciprocité. Tomber amoureux, c’est bien beau, mais rien ne
garantit que l’objet du sentiment amoureux appréciera cette attention
particulière et la ressentira à son tour. Le sentiment amoureux est difficile à
vivre à cause de la grande insécurité affective dont il s’accompagne. On peut
être foudroyé par quelqu’un que l’on laisse de marbre, mais, un peu comme
le chat de
Schrödinger (qui, en plus, bien échaudé, craint l’eau froide !), tant qu’on
n’a pas déclaré sa flamme, on vit dans l’incertitude la plus complète, à
collectionner les signes et les vides et à se demander s’ils sont significatifs
ou seulement la projection de nos désirs dans une réalité qui nous échappe.
Donc, oui, bien sûr, il faudrait toujours annoncer la couleur pour être
fixé, mais ça revient un peu à se jeter du haut d’une falaise à poil et sans
élastique : absolue ivresse de l’envol au départ et claquement mat de ta
tronche qui explose sur les caillasses à l’arrivée. Faut du bide pour se jeter
dans le vide et nous n’avons pas tous des vocations à ouvrir des annexes de
Jardiland avec notre collection de râteaux. Car le râteau fait aussi partie de
la vie amoureuse et un sale râteau dans la gueule nous enseigne qu’on devrait
apprendre à tomber amoureux de gens plus intelligents et sensibles, capables
d’éconduire gentiment celui ou celle qui n’a pourtant pas choisi de se fourrer
dans un tel traquenard.
Alors du coup, oui, pour éviter de se faire écorcher vif à chaque mauvaise
connexion, on préfère ne choisir que des partenaires auxquels on ne risque pas
de s’attacher, que des gens dont on n’en a rien cirer de savoir s’ils vous
apprécient au non, des petites saillies faciles et sans lendemain, sans
surprises, sans souffrances et sans promesses non plus. On vit alors un peu à
l’économie, on blinde notre épiderme de bébé derrière une armure de porc épic,
on est un peu comme ce voyageur qui traverse tous les pays en ne bouffant qu’au
Mac-Do : la bouffe est standard, on n’est jamais surpris, ni en bien, ni en
mal, on sait ce qu’on bouffera, on évite de penser aux expériences gustatives
que l’on rate forcément et qui, bonnes ou mauvaise, auraient mis du relief à
notre parcours et puis, tout doucement, on oublie qu’on avait un palais et
qu’on savait apprécier les bonnes choses...