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Commentaire de easy

sur Nos larmes pour le Japon


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easy easy 13 mars 2011 09:33

Bonjour Ariane,


Je prends acte que ça fait bien la cinquième fois qu’une femme me dit à peu près ça.


D’expérience, je n’ai jamais, absolument jamais vu des gens pleurer avec de vraies larmes (car sinon je ne sais pas ce que veut dire pleurer) autour de la mort d’inconnus. Et encore moins en masse.

Inversement, j’ai vu des gens pleurer en masse, avec de vraies larmes donc, autour d’une dépouille qu’ils connaissaient (leur père, leur enfant, leur roi, leur parrain, leur dictateur...)

En raison de ce vécu, apparemment insuffisant, les appels ou les récits de pleurs massifs autour de la mort d’inconnus, me semblent devoir être interprétés, et non pris au premier degré. Alors j’interprète et à chaque fois, on me dit que je me plante.


Il y a une exception de taille à ce que je viens de dire. J’ai vu des pleurs massifs, j’y ai participé, autour de la mort d’inconnus torturés, donc autour de la torture, autour de la cruauté plus exactement. J’interprète et je pense que les larmes, l’envie de vomir, la colère, traduisent le deuil qu’on se trouve forcé de faire de la gentillesse des gens. Face à des preuves ou des témoignages de torture on doit enterrer notre « voisin qu’on croyait gentil »


Par ailleurs, dans les églises ou les mosquées, quand il y a une prière adressée à des victimes de catastrophes, je vois des gens se recueillir sans pleurer. Ne pleurent que quelques personnes que je considère comme ayant des proches au nombre des victimes.

Les larmes en masse, au fond, c’est si rare que même pour des morts de proches, il faut payer des pleureuses pour en obtenir. Ce qui signale au passage que les femmes sont plus facilement productives de larmes que les hommes.

Je fais mon garçon dites-vous.

Ouais, forcément.

Fondamentalement, je n’ai jamais vu une femme verser la moindre larme par amour ou compassion ou pitié pour moi. Par contre je me suis vu pleurer mille fois sous les coups de rotin que mon père assénait de son initiative ou sur la demande de ma mère.
Une fois, une seule fois j’ai vu un de mes parents pleurer d’amour sur un de ses 4 enfants. C’était mon père, c’était sur sa fille de 2 ans et c’était parce qu’elle était partie en France et qu’il ne la reverrait plus.

Le fait d’avoir vu au moins une fois dans ma vie, mon père pleurer d’amour pour quelqu’un, en l’occurrence sa fille, a été capital pour moi. De là, je pleure très facilement d’amour pour ma fille. Et par extension laborieuse, pour mes fils aussi. Pour personne d’autre.

Ma mère pleurait souvent, sur son sort. Elle hystérisait à la vue des serpents, crapauds et autres grouillants asiatiques. Et elle me chargeait de les tuer. Très jeune, ma mission consistait à voler au secours des femmes qui pleuraient ou hurlaient pour occire quelque « sale bête ». Très tôt je devenais donc logisticien et je voyais dans les larmes des femmes une charge, une accusation et une condamnation de ma petite personne, du garçon que j’étais.

Depuis, quand il y a un drame, j’interviens, je ne pleure pas ; je ne dois surtout pas pleurer pour rester efficace, pour avoir la vue nette. Une tempête ravage ma ville, je charge ma camionnette de matériel de secours et je maraude dans la ville. Et le soir, épuisé, un ami jouant une gnossienne ou gymnopédie de Satie, loin de ma fille, je pleure, le visage à ras de la vitre et tourné vers le parc.
Je pleure seul et l’essentiel de mes larmes vont à ma fille.

Et moi, à votre place, là-bas en Indonésie, rappelé par sa catastrophe, interpellé par celle du Japon, j’aurais ma fille sur cette île à l’envers, je serais dépité d’être loin de mes échelles, de mes pelles et de mes cordes, je pleurerais d’amour pour elle et je pense que ça se verrait au travers de mes posts.

Voilà comment je suis devenu, comment je fais mon garçon.


Mais pour vous, il en va donc tout autrement. Je suis désolé de m’être trompé.








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