II y a en effet un malentendu,
mais pas nécessairement tel que décrit. Disons plutôt, en simplifiant, que de
part et d’autre l’objectif attendu de l’adhésion était bien plus politique
qu’économique.
Certes, l’UE a de tout temps été un projet se voulant pragmatique,
d’harmonisation et coordination économique. Mais une Europe se définissant
comme telle et s’espérant projet politique pouvait-elle se faire sans la
Grèce ? Ajoutons que l’entrée
de la Grèce permettait de louvoyer avec la Turquie, qui déjà était « en
attente ». A mon sens, le malentendu consiste à une contradiction
fondamentale entre un projet économique et les velléités politiques,
historiques, géopolitiques et
culturelles qu’il met en avant.
C’est cette contradiction qui est à la source de l’élargissement à
l’Europe de l’est, et c’est cet élargissement qui a abouti à une double
impasse : tandis que le cas grec était gérable et assimilable vu la taille
du pays et de son économie, l’entrée massive de l’ensemble des pays de l’est
(eux aussi ne répondant que très peu aux critères économiques), a gonflé le
problème de l’harmonisation économique, mais parallèlement souligné les
problèmes de gouvernance de ses outils institutionnels. S’en est suivi un paroxysme de cette
contradiction, une fuite en avant d’une gestion économiste très libérale, et un
discours politique intégrationniste qui occultait cette gestion. D’autant plus
que la partie est de l’Europe intégrée s’adonnait à un libéralisme sauvage, et
considérait l’Union comme une entité du plus petit dénominateur commun,
bloquant toute velléité de gouvernance politique.
Quand à la Grèce elle-même, elle voyait de l’Europe un facteur de stabilité
politique, lui permettant d’en finir avec la spirale des coups d’Etats et de
pronunciamientos qu’ils soient royaux ou militaires. Mais elle voyait aussi une
sorte de continuation des politiques interventionnistes qui remontent à sa
propre création. En ce sens, il ne faut pas l’oublier, le PASOK était contre
l’adhésion, et une fois ce parti au pouvoir, si l’adhésion elle même n’a pas
été remise en question, les termes et les procédures d’harmonisation l’ont
été.
Le paroxysme de l’emprunt n’est
pas un tropisme grec. Il est la conséquence directe des reformes
institutionnelles qui déconnectent les outils classiques de la gestion des
Etats des Etats eux-mêmes. Les
accords de Maastricht et de Lisbonne entérinent cette politique qui transforme
les Etats en clients emprunteurs, leur enlevant aussi bien le monopole régalien
de la monnaie que celui de leurs banques centrales. C’est à partir de là que
les fameux 3% et 80% sont fragilisés en tant qu’indicateurs et sanctionnés par
le marché. La situation devient la
même, aussi bien pour les ménages, les entreprises que les Etats :
production, consommation, salaires et politiques de développement sont
désormais remplacés ou gérés par
l’emprunt à tiers. S’en suit une dégradation des politiques publiques, des
services de la fonction publique, des salaires et de l’outil industriel, tous
victimes de l’immédiateté du « retour sur emprunt ». C’est la que se niche le dernier
malentendu : la paupérisation de l’Etat et le fléchissement de l’outil
productif est montré comme une réforme inéluctable et le remplacement du
salaire par l’emprunt comme la solution pour avoir une consommation
robuste. Or, comment paupériser
l’Etat et en même temps le « moderniser » ? Comment renforcer le
contrôle fiscal en licenciant les fonctionnaires du fisc ? En Grèce, l’Etat n’avait déjà pas les
moyens pour contrôler quoi que ce soit (en cela les politiques publiques sont
historiquement responsables). Mais il l’est bien d’avantage avec les mesures
prises ces deux dernières années, et cela c’est la responsabilité de l’UE qui
exige tout et son contraire.
Le
problème n’étant plus comptable
(marché) mais de justice sociale (projet politique). Ne soyons pas hypocrites : le moteur premier de
l’économie (et créateur de monnaie) est désormais l’emprunt. C’est très réducteur d’en vouloir aux
emprunteurs… Tant que tout projet politique aura comme objectif suprême de pouvoir emprunter aux
meilleurs des taux, qu’il sera
donc dépendant du marché et déconnecté du bien commun, nous ne pourrons sortir de cette spirale, et
chercherons cancres et les bons
élèves de l’emprunt pour cacher notre incompétence.