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Commentaire de Morpheus

sur Le syndrome de Babel


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Morpheus Morpheus 18 décembre 2011 14:07

@ zelectron

Mr Chouard[1] propose en effet, comme alternative à l’élection - dont on voit bien qu’elle installe non pas la démocratie, mais l’oligarchie - le tirage au sort. Votre réaction face au principe du tirage au sort est naturelle, et je ne vous en fait pas reproche (par ailleurs, ma réaction première face à cet énoncé a été identique). Cependant, j’ai tout de même fait le pas d’aller au delà de mon idée préconçue, afin de ne pas « rester coincé » par un bête a priori, car au fond, je ne connaissais pas la question. J’étais tout de même intrigué que pendant 200 ans, une cité-état grecque ait prospéré démocratiquement en utilisant pareil système, je voulais donc en savoir plus.

Donc, pour répondre à votre réaction, il faut d’abord savoir qui l’on tire au sort et pour quelle fonction. Et tout d’abord, savoir qu’il ne s’agit pas de tirer au sort des « gouvernants » (c’est-à-dire des personnes à qui on délègue le pouvoir, ce que désigne le mot « gouvernement »), mais bien des serviteurs, des personnes à qui sont confiées, pour une durée limitée dans le temps (mandat impératif, court et non renouvelable), la responsabilité d’organiser une branche de l’organisation politique, au service des citoyens ; en quelque sorte, des « hauts fonctionnaires » (à Athènes, on les appelait des « magistrats »). Ces « hauts fonctionnaires », redisons-le, n’ont pas de pouvoir décisionnel : ils vont élaborer et proposer des sujets (projets de lois, règlements, budget, etc.) à une assemblée populaire (c’est le cas à Athènes) ou au peuple, via referendum. L’ensemble des décisions sont donc toujours prisent par le peuple (dans le cas Athénien, tout citoyen peut se rendre quand il le veut à cette assemblée, pour autant qu’il reste de la place - il y avait 6000 place, pour une cité de 30 à 50 mille citoyens).

D’autre part, les Athéniens, eux aussi, tout comme vous et moi, avaient peur des incapables, des abrutis ou des affreux, ils ont donc encadré le principe général de tirage au sort afin de s’assurer que cela ne se produise pas. Il s’agit donc, avant de rejeter sans autre forme de procès le principe du tirage au sort, de voir si précisément on peut ou non se garder de cela. Cela dit, c’est tout de même curieux comme réflexion, parce qu’on voit tout de même bien que le suffrage ne nous garde en rien de la prise de pouvoir par les affreux, et même, que cela entraîne quasi inévitablement la présence dans les hauts postes du pouvoir, des voleurs de pouvoir et des affreux ...

Ensuite, on a tout de même l’expérience du tirage au sort dans le cadre de nos procédures judiciaires ; un jury d’assises est établi par tirage au sort, et personne ne trouve à y redire. De nombreux témoignages et études prouvent même que les personnes tirées au sort adoptent un comportement très responsable et très digne, et prennent vraiment à cœur la mission qu’on leur demande d’accomplir. J’ai personnellement constaté la même chose dans le cadre du dépouillement des votes, lors d’élections : les gens désignés arrivaient avec des pieds de plombs, mais - alors qu’ils n’y gagnaient rien - ils avaient à cœur de bien faire les choses.

Pour aborder l’autre aspect dont vous parlez, à savoir la représentativité, je ne crois pas qu’aucun parti soit « représentatif d’un courant de pensée », je crois que c’est exactement le contraire ! Si vous analyser comment fonctionne les rouages du système actuel, vous vous apercevez que l’opinion publique est fabriquée. Les partis fabriquent des opinions contradictoires, et biaisent complètement les véritables enjeux et questions de fond, en divisant les citoyens (principe du diviser pour régner, toujours très efficace pour voler le pouvoir). Les partis, par essence, sont les ennemis de l’idéal démocratique : aucune démocratie ne devrait avoir de parti (ils étaient interdit à Athènes, car les athéniens savaient tout le mal qu’ils faisaient).

Edward Bernays, le principal fondateur de la propagande et père de l’ingénierie du consentement a écrit : « L’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer. » – "The Engineering of Consent« , 1947. La »démocratie" dont il parle n’est évidement pas la démocratie : on est dans le parfait oxymore, puisque la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, et que l’affirmation de Bernays suppose qu’un groupe de personnes manipulent les opinions et croyances du peuple, en d’autres termes : une élite pensante et décidant de ce qui est bien ou pas. Cette citation est donc le summum de l’absurde ... ou du cynisme.

Je comprends que l’on ait des réserves à l’énoncé du tirage au sort comme alternative au suffrage, c’est parfaitement normal. Je vous invite cependant à dépasser vos a priori afin de bien étudier l’ensemble de la proposition, dans ses détails, afin de juger si cela n’en vaut pas la peine. Si comme moi vous êtes profondément indigné par la teneur que prennent les événements politiques, financiers et la couleur de plus en plus autoritaire que prennent nos gouvernements, alors je suis sûr que vous ne rejetterez pas d’un revers de main une proposition sans l’étudier. Allez voir le site de Chouard, écoutez ses conférences ou les débats qu’il fait (par exemple avec Mr Yvan Blot), disponibles sur le net (http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2011/10/28/155-debat-entre-etienne-chouard-et-yvan-blot-sur-la-democratie-reelle), franchement, cela en vaut la peine. Il ne s’agit pas nécessairement d’être d’accord avec les propositions, mais de les étudier pour en évaluer la pertinence : c’est cette démarche qui est cruciale en démocratie.

Le plus important, dans ce que Mr Chouard avance, c’est de comprendre ce qu’est une Constitution, à quoi cela sert, et comment on doit s’emparer de cela car ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles du pouvoir, et donc, les citoyens qui veulent une vraie démocratie devraient exiger une Assemblée Constituante tirée au sort.

Cordialement,

Morpheus


[1] En fait, on ne peut pas vraiment dire qu’il s’agit du « système Chouard » ; il a redécouvert, en faisant ses propres recherches d’une alternative au système, un exemple historique d’application de la démocratie différent du notre, et incidemment, il a découvert que les Anciens grecs avaient déjà rencontré tous les problèmes d’impuissance des peuples que nous connaissons à l’heure actuelle. Ce point est important, car cela remet notre propre vision en perspective. Je vous invite à approfondir le sujet, notamment au travers deux ouvrages très intéressants : « Principes du gouvernement représentatif », de Bernard MANIN et « La démocratie athénienne », de Morgens H. Hansen.


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