@ zelectron
Mr Chouard[1]
propose en effet, comme alternative à l’élection - dont on voit bien qu’elle
installe non pas la démocratie, mais l’oligarchie - le tirage au sort. Votre réaction face au principe du tirage au
sort est naturelle, et je ne vous en fait pas reproche (par ailleurs, ma
réaction première face à cet énoncé a été identique). Cependant, j’ai tout de
même fait le pas d’aller au delà de mon idée préconçue, afin de ne pas
« rester coincé » par un bête a priori, car au fond, je ne connaissais
pas la question. J’étais tout de même intrigué que pendant 200 ans, une
cité-état grecque ait prospéré démocratiquement en utilisant pareil système, je
voulais donc en savoir plus.
Donc, pour répondre à votre réaction, il faut
d’abord savoir qui l’on tire
au sort et pour quelle fonction.
Et tout d’abord, savoir qu’il ne s’agit pas de tirer au sort des
« gouvernants » (c’est-à-dire des personnes à qui on délègue le
pouvoir, ce que désigne le mot « gouvernement »), mais bien des serviteurs, des personnes à qui sont
confiées, pour une durée limitée dans le
temps (mandat impératif, court et non renouvelable), la responsabilité
d’organiser une branche de l’organisation politique, au service des citoyens ;
en quelque sorte, des « hauts fonctionnaires » (à Athènes, on les
appelait des « magistrats »). Ces « hauts fonctionnaires »,
redisons-le, n’ont pas de pouvoir décisionnel : ils vont élaborer et
proposer des sujets (projets de lois, règlements, budget, etc.) à une assemblée
populaire (c’est le cas à Athènes) ou au peuple, via referendum. L’ensemble des décisions sont donc toujours
prisent par le peuple (dans le cas Athénien, tout citoyen peut se rendre
quand il le veut à cette assemblée, pour autant qu’il reste de la place - il y
avait 6000 place, pour une cité de 30 à 50 mille citoyens).
D’autre part, les Athéniens, eux aussi, tout
comme vous et moi, avaient peur des incapables, des abrutis ou des affreux, ils
ont donc encadré le principe général de
tirage au sort afin de s’assurer que cela ne se produise pas. Il s’agit
donc, avant de rejeter sans autre forme de procès le principe du tirage au
sort, de voir si précisément on peut ou non se garder de cela. Cela dit, c’est
tout de même curieux comme réflexion, parce qu’on voit tout de même bien que le
suffrage ne nous garde en rien de la prise de pouvoir par les affreux, et même,
que cela entraîne quasi inévitablement la présence dans les hauts postes du
pouvoir, des voleurs de pouvoir et des affreux ...
Ensuite, on a tout de même l’expérience du
tirage au sort dans le cadre de nos procédures judiciaires ; un jury d’assises
est établi par tirage au sort, et personne ne trouve à y redire. De nombreux
témoignages et études prouvent même que les personnes tirées au sort adoptent
un comportement très responsable et très digne, et prennent vraiment à cœur la
mission qu’on leur demande d’accomplir. J’ai personnellement constaté la même
chose dans le cadre du dépouillement des votes, lors d’élections : les gens
désignés arrivaient avec des pieds de plombs, mais - alors qu’ils n’y gagnaient
rien - ils avaient à cœur de bien faire les choses.
Pour aborder l’autre aspect dont vous parlez,
à savoir la représentativité, je ne crois pas qu’aucun parti soit
« représentatif d’un courant de pensée », je crois que c’est exactement
le contraire ! Si vous analyser comment fonctionne les rouages du système
actuel, vous vous apercevez que l’opinion
publique est fabriquée. Les partis fabriquent des opinions contradictoires,
et biaisent complètement les véritables enjeux et questions de fond, en
divisant les citoyens (principe du diviser pour régner, toujours très efficace
pour voler le pouvoir). Les partis, par essence, sont les ennemis de l’idéal
démocratique : aucune démocratie ne devrait avoir de parti (ils étaient
interdit à Athènes, car les athéniens savaient tout le mal qu’ils faisaient).
Edward Bernays, le
principal fondateur de la propagande et père de l’ingénierie du consentement a
écrit : « L’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie,
la liberté de persuader et de suggérer. » – "The Engineering of
Consent« , 1947. La »démocratie" dont il parle n’est évidement
pas la démocratie : on est dans le parfait oxymore, puisque la démocratie est
le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, et que l’affirmation de
Bernays suppose qu’un groupe de personnes manipulent les opinions et croyances
du peuple, en d’autres termes : une élite pensante et décidant de ce qui
est bien ou pas. Cette citation est donc le summum de l’absurde ... ou du cynisme.
Je comprends que
l’on ait des réserves à l’énoncé du tirage au sort comme alternative au
suffrage, c’est parfaitement normal. Je vous invite cependant à dépasser
vos a
priori afin de bien étudier l’ensemble de la proposition, dans ses
détails, afin
de juger si cela n’en vaut pas la peine. Si comme moi vous êtes
profondément
indigné par la teneur que prennent les événements politiques, financiers
et la
couleur de plus en plus autoritaire que prennent nos gouvernements,
alors je
suis sûr que vous ne rejetterez pas d’un revers de main une proposition
sans
l’étudier. Allez voir le site de Chouard, écoutez ses conférences ou les
débats
qu’il fait (par exemple avec Mr Yvan Blot), disponibles sur le net
(http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2011/10/28/155-debat-entre-etienne-chouard-et-yvan-blot-sur-la-democratie-reelle),
franchement,
cela en vaut la peine. Il ne s’agit pas nécessairement d’être
d’accord avec les propositions, mais de les étudier pour en évaluer la
pertinence : c’est cette démarche qui est cruciale en démocratie.
Le plus important,
dans ce que Mr Chouard avance, c’est de comprendre ce qu’est une Constitution,
à quoi cela sert, et comment on doit s’emparer de cela car ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles du pouvoir,
et donc, les citoyens qui veulent une vraie démocratie devraient exiger une
Assemblée Constituante tirée au sort.
Cordialement,
Morpheus
[1] En fait, on ne peut pas
vraiment dire qu’il s’agit du « système Chouard » ; il a redécouvert,
en faisant ses propres recherches d’une alternative au système, un exemple
historique d’application de la démocratie différent du notre, et incidemment,
il a découvert que les Anciens grecs avaient déjà rencontré tous les problèmes
d’impuissance des peuples que nous connaissons à l’heure actuelle. Ce point est
important, car cela remet notre propre vision en perspective. Je vous invite à
approfondir le sujet, notamment au travers deux ouvrages très intéressants :
« Principes du gouvernement représentatif », de Bernard MANIN et
« La démocratie athénienne », de Morgens H. Hansen.