Certains analystes anglais et américains se sont étonnés de cette
poussée imprévue de méfiance sur l’Italie, un pays – ont-ils écrit,
comme par exemple Evans-Pritchard du Telegraph le 9 novembre 2011 – «
qui aura une primaire active en 2013 » (éloge posthume et involontaire à
Tremonti), une richesse de familles supérieure à celle de l’Allemagne
et une dette privée bien moindre que la moyenne des Européens. Comment
se fait-il qu’un pays qui a des fondamentaux aussi bons puisse être
considéré comme insolvable ?
Le fait est que la tempête sur l’euro s’est transformée en cyclone.
Les taux d’intérêt que l’Italie doit supporter sont devenus
véritablement insoutenables, proches de la banqueroute, pour le
troisième débiteur mondial et la troisième économie de l’UE. Du point de
vue de Goldman Sachs (et de ses affiliés américains), il faut
absolument empêcher que l’Italie ne fasse faillite ; s’il en est
autrement, les banksters américains devront honorer l’engagement pris,
en vendant leurs CDS, c’est-à-dire, en quelque sorte, en remboursant le
sinistre, avec leurs propres deniers, qui n’offrent même pas la
disponibilité nécessaire, et de loin.
Combien ?
Personne ne le sait exactement, vu que 85% du marché des dérivés se fait
over-the-counter (c’est-à-dire en dehors des marchés boursiers) sur
accords au cas par cas entre client et assureur, par conséquent sans
laisser de trace comptable à la vue des régulateurs (qui dorment). Il
existe en outre une quantité non définie de CDS nus (naked),
c’est-à-dire vendus à des gens qui ne possèdent pas les titres
d’assureur : ces non-possesseurs, eux aussi, devront rembourser si
l’Italie fait faillite.
Au jugé, on peut dire seulement ceci : que notre défaillance
vaporiserait instantanément les capitaux des banques d’affaires
américaines, et même plusieurs fois leurs capitaux et provoquerait
l’implosion complète du système bancaire supranational – qui est le
véritable insolvable dans cette affaire. Ce n’est pas par hasard si
Warren Buffett a qualifié les dérivés d’ « armes de destruction massive
».
C’est la raison pour laquelle Goldman Sachs ne permettra pas à l’Italie
de faire faillite ou de restructurer la dette : il en va de sa vie.
C’est pourquoi il a mis directement des hommes à lui au gouvernail des
points névralgiques européens qui comptent.
On en a vu la conséquence tout de suite : à peine avait-on appris le nom
de Monti comme administrateur délégué d’Italie que les marchés ont fait
descendre le spread sur les titres italiens. En réalité, il s’agissait
d’un ami de Mario Draghi qui a fait acheter par la BCE des fournées de
titres italiens pour faire voir que les marchés ont tellement confiance
en Monti.
La Grèce est maintenant sous administration contrôlée de
Goldman-Papademos, pour la même raison : une banqueroute involontaire
contraindrait les banques américaines trafiquantes de CDS à payer.
Soyons-en certains : Monti ne se limitera pas à imposer des impôts
financiers et patrimoniaux et des privatisations. La situation est
tellement dangereuse pour Goldman qu’il devra aussi chercher à jouer sur
la croissance du pays, parce que sans une croissance du PIB – les
banquiers le savent très bien – le service de la dette ne peut pas être
soutenu. Ils ont intérêt à nous étayer. Ils le feront avec toutes les
thérapies qu’ils connaissent, eux… Qui sont erronées (*).
D’où la vraie grande bonne nouvelle. La plus tragique : Monti – et la
douzaine d’experts européens et du Fonds monétaire qui sont venus à Rome
pour contrôler, les vrais ministres de son ministère – ne réussira pas à
redresser notre situation, et Draghi et Papademos ne réussiront pas non
plus. La défaillance est inéluctable.
C’est une simple question de mathématique. Il existe un rapport entre la
croissance du PIB et les intérêts sur la dette publique. L’Italie ne
peut pas payer 7% d’intérêts sur une dette de 1.900 milliards, sans une
croissance, disons, de 3% par an. Cette croissance qui tient du miracle
économique, il est impossible de l’atteindre : surtout avec la récession
qui menace l’Europe tout entière, qui se remarque par le ralentissement
des exportations allemandes.
Mais le facteur le plus dangereux est désormais le risque systémique. Le
système financier lui-même l’a cultivé et l’a fait augmenter, en se
lançant dans une interconnexion si enchevêtrée, si opaque et si
enchaînée que personne ne comprend plus où ni comment elle finira. Il
suffit de se rappeler que les banques italiennes et grecques sont
pleines de BOT nationaux : traditionnellement, c’était là un facteur de
stabilité financière, et une contribution importante de l’épargne
nationale au financement de la dette ; aujourd’hui, c’est devenu une
menace supplémentaire, qui impose aux Etats déjà extra-endettés de
soutenir leurs banques devenues insolvables par la baisse de la valeur
de leurs actifs.