Un grand moment de honte national
<De son côté, l’Europe a vu la quantité et le niveau des armements
implantés sur son sol ou pointés vers elle s’élever. La supériorité
conventionnelle soviétique et l’implantation, déjà ancienne, de missiles
nucléaires à moyenne portée avaient entrainé le perfectionnement
d’avions américains stationnés en Europe, appelés pour cette raison
« systèmes avancés ». L’Union soviétique en a pris argument pour
installer de nouveaux missiles mobiles à trois têtes ’missiles SS 20’,
avec 5000 km de portée et une précision accrue. 5000 km de portée,
assez pour atteindre l’Europe, pas assez pour atteindre le continent
américain.
- Les pays membres du commandement militaire intégré de
l’OTAN, ont alors répondu par ce que l’on appelle communément la "double
décision" qui prévoyait d’entamer une négociation sur les armes
nucléaires à moyenne portée sur le continent européen, négociation dont
dépendra le niveau de déploiement des nouveaux missiles américains à
partir de décembre 1983 ’fusées Pershing II’. Je rappelle ces faits,
vous les connaissez, mais nous nous adressons à nos peuples et il
convient de connaître le cheminement de ces actes pour tenter
d’approcher les solutions d’aujourd’hui.
Mesdames et messieurs, nos peuples haïssent la guerre, ils en ont trop
souffert et les autres peuples d’Europe avec eux. Une idée simple
gouverne la pensée de la France : il faut que la guerre demeure
impossible et que ceux qui y songeraient en soient dissuadés.
- Notre
analyse et notre conviction, celle de la France, sont que l’arme
nucléaire, instrument de dissuasion, qu’on le souhaite ou qu’on le
déplore, demeure la garantie de la paix, des lors qu’il existe
l’équilibre des forces. Seul cet équilibre, au demeurant, peut conduire
à de bonnes relations avec les pays de l’Est, nos voisins et
partenaires historiques. Il a été la base saine de ce que l’on a appelé
la détente. Il vous a permis de mettre en oeuvre votre « ost-politik ».
Il a rendu possible les accords d’Helsinki.
- Mais le maintien de
cet équilibre implique à mes yeux que des régions entières d’Europe ne
soient pas dépourvues de parade fâce à des armes nucléaires
spécifiquement dirigées contre elles. Quiconque ferait le pari sue le
« découplage » entre le continent européen et le continent américain
méttrait, selon nous, en cause l’équilibre des forces et donc le
maintien de la paix. Je pense et je le dis que ce « découplage » est en
soi dangereux et je souhaite ardemment que les négociations de Genève
permettent d’écarter un danger qui pèse singulièrement sur les
partenaires européens non détenteurs de l’arme nucléaire.
- C’est
pourquoi la détermination commune des membres de l’Alliance atlantique
et leur solidarité doivent être clairement confirmées pour que la
négociation aboutisse - aboutisse, condition nécessaire à la non
installation des armes prévues par la « double décision » de décembre 1979
’fusées Pershing II’.
- ... Ce que nous voulons d’abord, mais vous
aussi, c’est la paix. La paix n’est possible que par la négociation.
Il dépend de ceux qui négocient de préparer les chemins de l’harmonie
indispensable. Il suffit que l’un des partenaires, quand ils ne sont
pas deux, s’y refuse pour que l’accord ne puisse se faire. Il faut donc
que demeurent les conditions de l’équilibre nécessaire dans
l’assurance, pour les peuples intéressés, qu’ils ne seront pas sous le
poids d’une éventuelle domination extérieure. De cette solidarité, la
France est, croyez-moi, consciente lorsqu’elle maintient en République
fédérale allemande une part importante de la première armée française
dont elle étudie précisément l’accroîssement de la mobilité et de la
puissance de feu. Et, à Berlin en particulier, la France confirme
qu’elle assume et assumera toutes ses responsabilités. Ainsi
concevons-nous la défense de notre territoire et de nos intérêts vitaux,
tout en nous affirmant le partenaire loyal de l’Alliance atlantique et
l’ami fidèle, connaissant ses obligations, de la République fédérale
d’Allemagne.
Mais que l’on me comprenne bien, et c’est là
l’expression de nos situations différentes qui découlent de l’histoire,
dont nous ne sommes pas les auteurs. La France, qui ne participe pas et
ne participera pas aux discussions de Genève, entend laisser les
négociateurs libres de leur conduite. A chacun de discerner ce qu’il y a
de bon ou d’insuffisant dans les dernières propositions émises.
Intéressée comme vous-mêmes par l’aboutissement des négociations, la
France se réfère pour en juger à quelques données simples que je me
permettrai de rappeler ici brievement.
- Primo, on ne peut comparer
que ce qui est comparable : types d’armements, puissance de feu,
précision, portée. Secundo, entre deux pays qui ont la possibilité de
se détruire, si j’ose dire, plusieurs fois, ce qui est le cas des
Etats-Unis d’Amérique et de l’Union soviétique, des pays comme le mien,
dont la possibilité majeure est d’interdire à un agresseur éventuel
d’espérer tirer avantage d’une guerre, la marge est immense : il y a une
différence de -nature... J’exprimerai cela plus concrétement en disant
que si l’une des deux plus grandes puissances détruisait tous ses
missiles à moyennes portée, il lui resterait encore des milliers de
fusées, alors que la France y perdrait un élément déterminant de sa
capacité dissuasive, et donc la garantie de sa sécurité qui n’existerait
plus au-dessous d’un certain seuil. Tercio, la force nucléaire
française est et demeurera indépendante. Cette indépendance, avec tout
ce qui en découle, n’est pas seulement un principe essentiel de notre
souveraineté - c’est sur le Président de la République française, et sur
lui seul, que repose la responsabilité de la décision - elle accroît
également, je vous demande d’y réfléchir, elle accroît également
l’incertitude pour un agresseur éventuel et seulement pour lui. Elle
rend du coup plus effective la dissuasion t par la même, je le répète
l’impossibilité de la guerre. >
http://discours.vie-publique.fr/notices/847900500.html