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Commentaire de Morpheus

sur Commuer le vote blanc en « députés citoyens » tirés au sort


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Morpheus Morpheus 14 juillet 2012 18:30

@ Scual

1. Vous n’avez démonté aucun de mes arguments, au contraire vous les avez systématiquement contournés, voir ignorés. Vous avez également ignoré tous mes contre-arguments.

2. Le catéchisme définit le credo entendu d’une religion bien établie ; je ne sache pas que les idées démocratiques que je défend constituent une religion, moins encore une religion établie et largement représentée. Bien au contraire, ces idées ont été (trop) longtemps étouffées, ignorées et se trouvent hélas encore peu répandues. Votre accusation est donc à front renversé, car c’est bien vous qui persévérez dans un argumentaire aristocratique largement dit et répété depuis l’établissement de nos gouvernements prétendument représentatif, appelé par tromperie « démocraties ».

3. J’ai très bien compris ce que vous dites, mais admettons qu’il y ait un malentendu (j’en doute, mais sait-on jamais). Je vais reprendre de manière différente, ce sujet valant largement la peine d’y consacrer temps et patience.


A. De la différence majeure entre le « gouvernement représentatif » et la démocratie.

Dans son essai Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin explique :
« Les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie. L’usage nomme ’démocratie représentative’ les régimes démocratiques actuels. »

> Notons que l’usage de l’expression ’démocratie représentative’ constitue en elle-même un oxymore (une opposition de termes ayant un sens contradictoire) : en effet, la démocratie exclu, par elle-même, l’idée que le peuple soit représenté étant donné que ce qui définit une démocratie, c’est le pouvoir par le peuple. De la même manière, l’expression ’démocratie directe’ est un pléonasme : la démocratie, par essence, est nécessairement directe. Mais l’usage, devenu courant, de ces expressions, n’est ni anodin, ni innocent : il entraîne l’idée fausse que nous sommes en démocratie et nous enlève donc la possibilité de nommer la solution à notre problème, qui est l’impuissance des peuples à influer sur leur sort via les institutions politiques.

Manin poursuit :
(...) « Or ces institutions n’ont nullement été perçues, à leurs débuts, comme une variété de la démocratie ou une forme de gouvernement par le peuple. »

(...) « Rousseau voyait une immense distance entre un peuple libre se donnant à lui-même sa loi et un peuple élisant des représentants pour faire la loi à sa place. »

(...) « Pour Sieyès, comme pour Madison, le gouvernement représentatif n’était pas une modalité de la démocratie, c’était une forme de gouvernement essentiellement différente et, de surcroît, préférable. »

(...) « Un gouvernement organisé selon les principes représentatifs était donc considéré, à la fin du XVIIIe siècle, comme radicalement différent de la démocratie alors qu’il passe aujourd’hui pour une de ses formes. »

> Ainsi, la croyance largement répandue que les révolutions américaine, française et anglaise du XVIIIe siècle furent à l’origine de l’instauration de gouvernements démocratiques est fausse. De la même manière, l’idée que nos gouvernements actuels souffrent d’une « crise de la démocratie », sous entendu que nos institutions sont bonnes, ce serait simplement certaines circonstances exogènes qui causent les dysfonctionnements que l’on voit, est fausse également. Nos gouvernements, contrairement au mythe exercé depuis plus de deux cent ans, n’ont jamais été des démocraties.

B. De la compétence en politique.
Manin :
(...) « Concernant le tirage au sort, il n’est pas évident que le danger de gouvernants incapables soit l’ULTIMA RATIO. On ne peut pas déclarer ce mode de sélection défectueux et voué, par principe, à la disparition avant d’avoir analysé avec quelque soin la façon dont il était mis en œuvre à Athènes et les justifications qu’en donnaient les démocrates. »

> l’argument de la compétence - ou de l’incompétence de représentants tirés au sort plutôt qu’élus (c’est de cela qu’il s’agit, j’insiste sur ce point) - n’est pas nouveau, et nous allons donc voir qu’il est bien moins pertinent qu’il n’y parait de prime abord.

(...) « Une étude du tirage au sort à Athènes s’impose à double titre. Non seulement l’emploi du sort est l’un des traits distinctif de la démocratie dite directe, mais encore, comme les Athéniens utilisaient parallèlement l’élection et le sort, leurs institutions constituent un terrain privilégié pour comparer les deux méthodes de sélection. »

(...) « Les magistrats en général, qu’ils fussent élus ou tirés au sort, n’exerçaient pas un pouvoir politique majeur ; ils étaient avant tout des administrateurs et des exécutants. Ils instruisaient les dossiers, convoquaient et présidaient les instances qui décidaient, puis mettaient leurs décisions à exécutions. Mais ils ne détenaient pas ce qui est considéré comme le pouvoir suprême : ils n’opéraient pas les choix politiques décisifs. Ce pouvoir était dévolu à l’Assemblée et aux tribunaux. Le contraste avec les représentants modernes est, à cet égard, flagrant. »

> Ce qui dissipe un malentendu largement répandu lorsque l’on parle, de nos jours, de tirage au sort : il ne s’agit pas de remplacer les élections par le tirage au sort, de sorte que le gouvernement sera constitué par les tirés au sort ; en fait, les tirés au sort n’ont qu’un pouvoir d’administration et d’exécution, pas de décision : c’est l’Assemblée du peuple qui prend les décisions politiques. Le suffrage universel prend, dans cette configuration, tout son sens, car le peuple décide de façon directe, après débats et délibérés.

(...) « Pour comprendre le lien que les Athéniens établissaient entre le tirage au sort et la démocratie, il faut tout d’abord faire intervenir un principe capital de la culture démocratique grecque : le principe de la rotation des charges. (...) Le principe cardinal de la démocratie n’était pas que le peuple devait être à la fois gouverné et gouvernant, mais que tout citoyen devait pouvoir occuper tour à tour l’une et l’autre position. (...) L’alternance du commandement et de l’obéissance formaient même, selon Aristote, la vertu ou l’excellence du citoyen.

> Notons au passage qu’Aristote, comme beaucoup de philosophes de l’époque, étaient des opposants à la démocratie, et défendaient le plus souvent des formes de gouvernement aristocratiques, s’estimant eux-mêmes meilleurs que leurs concitoyens.

(...) » L’alternance du commandement et de l’obéissance était aussi un mécanisme producteur de bon gouvernement. Elle visait à engendrer des décisions politiques conformes à un certain type de justice, la justice démocratique. Dans la mesure où ceux qui commandaient un jour avaient obéi auparavant, ils avaient la possibilité de prendre en compte, dans leurs décisions, le point de vue de ceux à qui ces décisions s’imposaient. Ils pouvaient se représenter comment leurs commandements allaient affecter les gouvernés, parce qu’ils savaient, pour l’avoir expérimenté eux-mêmes, ce que c’est que d’être gouverné et d’avoir à obéir. Mieux encore, les gouvernants avaient une incitation à tenir compte du point de vue des gouvernés : celui qui commandait un jour était dissuadé de tyranniser ses subordonnés, parce qu’il savait qu’il devrait, un autre jour, leur obéir.« 

> La vertu du tirage au sort est ainsi simple à comprendre : elle est le produit naturel de cette situation où le citoyen se voit tour à tour mis en position de gouverner et d’être gouverné, ce qui établit, par construction, une égalité politique de fait entre tous : compétent et incompétent, vertueux et vicieux, homme et femme, ouvrier et patron, jeune et vieux, riche et pauvre, ... tous ont les mêmes probabilité d’être tiré au sort pour exercer, pendant un temps déterminé (court) une parcelle de pouvoir et de responsabilité. Et c’est justement ce procédé qui assure l’égalité en pratique, ainsi que la représentativité réelle de la société (par la loi des grands nombres).

(...) Les Athéniens reconnaissaient la nécessité de compétences spécialisées dans certains cas, mais la présomption générale allait en sens inverse : on estimait que toute fonction politique pouvait être exercée par des non-spécialistes, sauf s’il y avait des raisons manifestes de penser le contraire. On supposait en effet que si des professionnels intervenaient dans le gouvernement, ils y exerceraient de fait une influence dominante. Les Athéniens avaient sans doute l’intuition que dans une structure d’action collective la détention, par certains acteurs, d’un savoir ou d’une compétence que les autres ne possèdent pas constitue par elle-même une source de pouvoir et qu’elle confère à ceux qui sont compétents un avantage sur ceux qui ne le sont pas, quelle que soit par ailleurs la définition formelle de leurs pouvoirs respectifs. (...) La sélection par le sort garantissait donc que les individus exerçant les fonctions de magistrat ne disposaient pas du pouvoir supplémentaire que confère une compétence particulière. »

C. De la vertu d’un peuple directement concerné par l’exercice du pouvoir.
J’arrête ici les citations pour vous faire ma propre argumentation. Vous considérez que 99% de la population est incapable de s’occuper de questions de politique et incapable de gouverner, qu’ils ne sont ni intéressés, ni motivés, ni ne disposent des ressources intellectuelles et culturelles pour exercer leur fonction de citoyen. Vous omettez de chercher les raisons qui font qu’apparemment, les gens se fichent de ces questions trop sérieuses pour eux. Ils n’ont pas la volonté de se mêler de politique, pensez-vous, mais pourquoi ? Le VOULOIR est à mon avis tributaire du POUVOIR, ou de façon plus subtile, du SENTIMENT de pouvoir agir.

C’est lorsque nous avons le sentiment de pouvoir changer les choses que le processus du vouloir se met en mouvement. A contrario, lorsque nous avons le sentiment de ne pas pouvoir, lorsque nous ressentons un sentiment d’impuissance, la volonté est anesthésiée. Il s’agit d’un processus psychique facile à observer et à démontrer.

Ce n’est pas un hasard si les principes de l’industrie du consentement, qui sont au cœur du système des gouvernements prétendument représentatifs, ont pour résultat de diffuser un fort sentiment d’impuissance dans la conscience collective. L’idée est de maintenir l’esprit des peuples dans un état psychologique dit « enfant », afin que nous nous tournions inconsciemment vers ceux que nous identifions à des « parents », ou leur équivalent collectif : les gouvernants.

La conséquence tragique de cette saloperie qu’est l’industrie du consentement, c’est qu’on en arrive à vouloir que ce soit le gouvernement qui règle nos problèmes, et surtout pas nous-mêmes ! (de la même façon que, enfants, nous nous tournions vers nos parents pour résoudre les problèmes qui nous semblaient insurmontables). Nous sommes persuadés que nous sommes incompétents, incapables de prendre notre destin collectif en main, incapables de gérer la chose publique (la république).

Qui plus est, nous avons bien conscience que la politique, telle que nous l’observons à travers le prisme des gouvernements prétendument représentatifs, ne consiste qu’en une perpétuelle lutte pour le pouvoir, faite de vilénies, de tromperies, de trahisons, de corruptions diverses et variées. Nous n’en voulons pas, car instinctivement, nous savons cela destructeur : nous en arrivons à la conclusion que "mieux vaut ça pour ceux qui veulent le pouvoir que pour moi". Et ainsi, nous acceptons le status quo, qui a l’immense avantage de nous permettre de râler, de nous plaindre, de trouver des boucs émissaires, bref, tels des gosses immatures, nous préférons râler sur nos parents de substitution que sont les élus plutôt que nous émanciper d’eux.

En rendant son pouvoir au peuple, en le responsabilisant, on contribue à inverser la tendance, et cela d’autant plus que, directement concerné par les sujets qu’ils auront à prendre en charge, ils y mettrons toute leur volonté et toutes leurs capacités, se rendant, par nécessité, compétents. Je trouverai toujours curieux et suspect l’idée qu’il est préférable de déléguer son pouvoir et sa responsabilité à une minorité de gens prétendument compétents, plutôt que de faire en sorte que tous se montrent compétents, et ait directement intérêt à l’être ou à le devenir. Aucune société humaine ne peut progresser sans responsabilisation de tous ses acteurs.

Il y a encore plus à en dire, mais j’ai déjà été assez long.

Morpheus


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