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Commentaire de E-fred

sur Chasser le dragon en Afghanistan


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E-fred E-fred 29 novembre 2012 12:55
Choses vuespar Jimmy Kempfer

Même si tout le monde est d’accord pour dire que les choses n’évoluent pas assez vite en matière de drogues, à l’aune de la Conférence Internationale sur la réduction des risques, il est indéniable qu’un sacré bout de chemin a quand même été parcouru. Que d’événements depuis la première conférence de Liverpool en 90 à laquelle s’étaient rendus les premiers pionniers de la réduction des risques français.

Depuis 1927, le «  British system  » permettait aux médecins anglais de prescrire aux personnes dépendantes les drogues (héroïne, opium, cocaïne, amphétamines) dont elles avaient besoin. A la fin des années 60, le gouvernement commença à mettre fin à ce système et créa des cliniques spécialisées où l’on dispensait de la méthadone orale en doses dégressives avec comme objectif le sevrage.

La conférence, une idée british

Fin 70, pratiquement tout le pays s’était soumis à cette politique, sauf Liverpool où de très nombreux usagers d’héroïne bénéficiaient d’un traitement de maintenance à la méthadone et où le Dr Marks continuait à prescrire héroïne et cocaïne injectables à de nombreux patients, contribuant à maintenir un meilleur climat social que dans le reste du pays. Début 80, lorsque éclata l’épidémie du sida, seul environ 1 % des toxicomanes locaux furent touchés contre 10 % environ dans l’ensemble du pays et plus de 40 % à Glasgow et Edimbourg qui menaient les politiques les plus répressives en matière de drogues (1). En 87, le gouvernement Tchatcher recommanda une politique de réduction des risques inspirée des méthodes pratiquées à Liverpool qui devint ainsi un modèle national (2).

En 90, face à la catastrophe sanitaire à laquelle sont confrontés de nombreux pays, Pat O’Hare, le responsable de HIT, centre local spécialisé dans la prévention et l’information sur les drogues, a l’idée de promouvoir l’expérience et envoie des invitations en Angleterre et à l’étranger. La première Conférence internationale sur la réduction des risques liés aux drogues drainera un nombre élevé de professionnels enthousiastes, notamment américains. Devant le succès et l’intérêt de la rencontre, l’idée d’une conférence annuelle devint évidente.

Après Liverpool, il y eut l’Australie, la Hollande, le Canada, l’Italie, la Tasmanie, la France, le Brésil et cette année la Suisse. Confiné essentiellement au monde anglo-saxon où, dans certains pays, la réduction des risques était une politique évidente et pragmatique face à une situation alarmante, la conférence a vite su élargir son audience et drainer nombre d’intervenants travaillant dans le domaine des drogues. Depuis Toronto en 94, la participation de plus en plus importante des Français va de pair avec le développement de la politique de réduction des risques dans l’Hexagone. Une lauréate française en 95 (3) et la tenue de la conférence à Paris en 97 en sont la meilleure illustration. Cette année, une centaine de Français environ étaient présents.

En dix ans la conférence aura contribué à développer et maintenir de multiples réseaux internationaux débouchant souvent sur des évolutions politiques favorables. Les pays baltes, la Hongrie, la Pologne ont ainsi développé des programmes méthadone et parfois su faire évoluer leur législation.

Notons que la conférence n’a jamais pu avoir lieu aux USA qui jugent que les principales réponses face aux problèmes des drogues doivent être morales, répressives et politiquement payantes. La réduction des risques étant un concept inacceptable susceptible d’envoyer un «  mauvais message  » aux citoyens.

A travers la Conférence.

Cette année, la Suisse, avec sa politique de pointe en matière de drogues, fut sans contexte un lieu d’accueil symbolique majeur pour cette Xe Conférence. La position géographique et la réputation consensuelle de ce pays ont sans doute contribué à son succès.

Belle illustration des actions suisses en matière de réduction des risques, le BIPS (Bus Itinérant Prévention Sida) stationnait quotidiennement devant le centre de conférences. Ce grand camping car aménagé en bus d’échange de seringues en épata plus d’un par la qualité de son accueil et de son professionnalisme. En plus des seringues, eau stérile et tampons alcoolisés habituels, ils offrent : tampons secs, filtres divers, cuillères, acide citrique, crème cicatrisante, kits variés. et ont fait faire des stages de réanimation et de prévention des overdoses. Depuis 91, ils ont ainsi distribué près d’un million de seringues aux 50 à 80 usagers qu’ils rencontrent quotidiennement.

Autre objet d’un immense intérêt, la visite du programme de prescription d’héroïne. Si cette visite fut organisée en dehors des heures d’ouverture, un groupe d’auto-support danois put y retourner et filmer et interviewer quelques usagers genevois.

Quelques stands de fabricants de matériel de réduction des risques, tels que Braun Medical AG (4) à l’origine du très complet «  Safety Kit  » suisse et le fabriquant australien du «  Fitpack  », un nouveau récupérateur individuel sécurisé présentaient leurs créations à ceux qui s’intéressaient à cet aspect basique incontournable autour duquel s’articule tout le concept de la réduction des risques à savoir le shoot propre. Si la présence de stands «  à vocation commerciale  » effarouchèrent quelques âmes trop vertueuses, les autres purent apprécier le pragmatisme et l’ingéniosité suisse quand à l’élaboration des outils destinés aux injections. Leurs réponses sont précises et fonctionnelles comme leurs montres .

Autre succès auprès des aficionados de la réduction des risques : les nombreuses publications de HIT (5), notamment le «  Safer Injecting Briefing  », véritable manuel de haut niveau sur l’injection des drogues. Au sous-sol plus d’une centaine de posters offraient un échantillonnage varié sur les multiples aspects et questions liées aux drogues et à leur consommation.

Le stand allemand des «  Teststik  » Ontrak, des testeurs de drogues bon marché (60F) et facilement accessibles au grand public intrigua également beaucoup de monde. Certains furent pris de vertige à l’annonce de la sensibilité de ces tests susceptibles de détecter 1/25 milliardième de gramme de THC (6). D’après le responsable du stand, aux USA, près de 85 % des entreprises testent ainsi leur personnel. Il suffit d’avoir respiré accidentellement de la fumée de cannabis pour réagir positivement à ces tests durant plus de 15 jours. Ainsi, la main d’un non fumeur ayant serré la main d’un deuxième non fumeur qui, lui, a serré la main d’un troisième fumeur de cannabis peut être testée positive.

Les drogues cuisinées ou l’Auto production

Nouvelles drogues, nouveaux modes de consommation mais également nouvelles façons de préparer et fabriquer les drogues. Jean Paul Grund, lauréat du International Rolleston Award 99 et ethnographe hollandais ayant longtemps travaillé pour le Lindesmith Center (7), et Dave Burroughs, un spécialiste australien des développements de programme de réduction des risques, animèrent un atelier passionnant avec une vidéo très démonstratrice.

L’héroïne étant presque aussi chère qu’ici, les usagers de drogues russes se débrouillent : auto-production de pavot, extraction et transformation de la codéine en héroïne, fabrication de «  Vint  » amphétamine artisanale extraite de l’Ephédra, un arbrisseau. Dans cette vidéo, on voit un usager faire chauffer, avec une casserole tenue à l’aide d’une pince à linge, le goudronneux suc de pavot, expliquer pourquoi il dilue une pilule écrasée d’un antihistaminique, pour réduire les démangeaisons provoquées par le mélange, filtrer plusieurs fois, rajouter de l’anhydride acétique, précurseur, lequel fait l’objet d’un lucratif marché noir, et s’injecter rapidement, pour cause d’instabilité chimique, le «  Kompost  » (8) noir (9) Le tout en un peu plus d’une heure. Un autre fait chauffer une marmite avec une décoction de pavot (10). Il y verse de l’acétone et du vinaigre, transvase dans un bocal, secoue longuement puis explique que l’opiat est au fond et l’acide, qu’il récupère à l’aide d’une louche, au dessus. Après quelques autres manipulations, il récupère un film d’une substance noirâtre : de l’héroïne.

Un autre presse une grosse poignée de cotons noirs et s’injecte le jus. Sur un marché, de vieilles babas vendent un flacon de décoction (l’auto production de pavot supplante de plus en plus la culture du cannabis). D’autres vendent de grosses seringues pleines d’un liquide brun ou remplissent d’autres seringues avec (Backloading), quand ils ne vendent pas directement une seringue avec aiguille prête à l’usage.

Etranges pratiques que ces auto-productions ! Certains usagers russes manifestent une farouche volonté de produire des drogues à tout prix. Est-ce pour cela que ce ce pays vient d’adopter une loi plus répressive à l’encontre des usagers que des revendeurs ?

Forts de leur «  conviction amphétaminique  », les injecteurs de «  Vint  » russes pensent que le produit est «  antiseptique  » et détruit le virus du sida. Mais si ce «  Speed  » artisanal peut permettre de «  tenir  », elle ravage les dents et couvre les bras d’abcès. Apparemment, les usagers de «  Vint  » sembleraient plus touchés par le VIH. L’état général des usagers d’amphétamines se détériore bien plus vite. Ils sont donc plus rapidement obligés de s’adresser au système de soins.

En dehors de la Russie, d’autres pays ont une «  tradition  » d’extraction, de transformation et d’auto-production de drogues. Les usagers néo-zélandais connaissent tous l’héroïne obtenue depuis la codéine, elle-même extraite de comprimés vendus en pharmacie. Chaque année, la police démantèle des dizaines de petits labos individuels. En Angleterre les usagers les plus ingénieux utilisent les mêmes méthodes, quand aux USA, des centaines de petits labos clandestins sont découverts chaque mois. La fabrication de drogues de synthèse, amphétamines, opiacés est accessible à de plus en plus de personnes.

Les usagers français, pour l’instant, semblent se contenter du «  Rachacha  » cette décoction de pavots que certains vont chercher dans les champs de pavots assez nombreux dans notre pays. Le «  Rachacha  » est exclusivement saisonnier. On en trouve surtout en été, à la saison des festivals et des «  free-parties  » en plein air, juste après la maturité des plants de pavots, début juillet.


(1) En France, à cette époque, on estime à plus de 30 % les usagers de drogues contaminés par le virus du sida.
(2) Voir «  L’expérience de Liverpool  » aux éditions du Lezard.
(3) Chaque année durant la Conférence internationale sur la réduction des risques liés aux drogues, le Rolleston Award est décerné à une personnalité ayant apporté une contribution majeure dans le domaine de la réduction des risques liés à l’usage des drogues. Le Dr Rolleston, médecin anglais, joua un rôle important lors de la mise en place du «  British System  ». Chaque année est ainsi décerné un Rolleston Award international et national. (Ce dernier est attribué à une personnalité du pays où a lieu la conférence). En 95, le Rolleston Award international fut décerné à Anne Coppel et en 97, le lauréat du Rolleston Award national fut le Dr Alain Muchielli de Nice dont le réseau Option Vie s’est arrêté faute de financement.
(4) Braun Medical AG — Emmenbrücke 6020 — Suisse
(5) HIT, Cavern Court, 8 Mathew Street – Liverpool L2 GRE UK Tél 44 (0) 151 227 4012
(6) THC : tétrahydrocannabinol : principe psycho-actif du cannabis.
(7) Le Lindesmith Center à New York, financé par le milliardaire G. Soros, promeut et soutient de nombreux projets de réduction des risques à travers le monde et notamment dans les ex-pays de l’Europe de l’Est.
(8) Certains écrivent «  Compot  » ou «  Kompote  ».
(9) Cette préparation, dans laquelle entre de l’anhydride acétique, est censée faire baisser les overdoses. Le «  Flash  » est moins violent.
(10) Le pavot est traditionnellement cultivé en Ukraine et en Russie. Il est très utilisé dans l’alimentation.

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