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Commentaire de simplesanstete

sur Raoul Vaneigem, le visionnaire oublié


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simplesanstete 3 septembre 2013 00:05

Petit extrait
 34. À bas le prolétariat !

 Ce qui désole le sénile, imbécile et universitaire Marcuse, nous réjouit : le prolétariat a enfin disparu de la scène de l’histoire. Le prolétariat spectaculaire a disparu. Merde pour le prolétariat spectaculaire. Merde pour le spectacle du prolétariat. Mais de toute façon, à bas le prolétariat réel, à bas les conditions qui sont faites par ce monde aux prolétaires. À bas le monde. Qui peut bien avoir intérêt à se demander où sont passés les prolétaires, sinon quelque manipulateur en chômage qui désespère de mettre la main dessus afin de leur apprendre à vivre à la russe ou à la chinoise dans quelque « période de transition », ou bien encore quelque fonctionnaire du ministère de la police. Les prolétaires sont entrés en clandestinité. Ils sont de ce fait, essentiellement anti-spectaculaires, ils sont ce qui ne paraît pas. Ils sont définitivement à l’abri de toute représentation, de tout spectacle et de toute police. D’aucuns regrettent le bon vieux temps du prolétariat spectaculaire. Et ce progrès est le fait du spectacle lui-même. Le but du spectacle est la suppression spectaculaire du prolétariat. I1 n’est parvenu qu’à supprimer le spectacle du prolétariat. Le spectacle triomphant de la satisfaction a scié la branche sur laquelle il était assis. Maintenant, tous les pouvoirs, amis et admirateurs des pouvoirs, se démènent comme de beaux diables pour remplacer ce regretté disparu par le spectacle de l’insatisfaction. L’I.S. a fini de ruiner le spectacle du prolétariat. Elle fut la première à déceler la clandestinité des prolétaires modernes, et à y voir leur force nouvelle. Le prolétariat comme classe est le spectacle du prolétariat. Le prolétariat n’est pas une classe. De même que l’herbe est la condition d’existence des herbivores, le prolétariat est la condition d’existence des prolétaires. Un prolétaire est un homme qui se nourrit uniquement de marchandises, c’est-à-dire un homme qui n’a pas d’autre activité que le portage de marchandises. La marchandise est la condition d’existence des prolétaires modernes. La condition d’existence des prolétaires modernes est la privation achevée d’humanité, c’est-à-dire la privation achevée de toute existence sociale. Le prolétariat ne saurait donc être une classe, puisque la classe est encore un mode d’existence sociale. La classe est le mode d’existence sociale de la bourgeoisie, des hommes qui pratiquent le commerce, des hommes qui veulent — chacun pour soi — réaliser l’argent sans le supprimer, des hommes qui pratiquent la suppression universelle du travail d’autrui, des hommes qui accaparent toute la fonction sociale de l’échange, des hommes qui parlent pour les autres. La dissociation de l’échange en achat et vente, moments indifférents l’un à l’autre, crée la possibilité d’acheter sans vendre (accumulation de marchandises) et de vendre sans acheter (accumulation d’argent). Elle permet la spéculation, l’accumulation, c’est-à-dire le pillage marchand. Elle fait de l’échange une affaire particulière, un métier, bref, elle crée la classe des marchands. La classe est le mode d’existence sociale des hommes qui font de l’échange (qui font de la pratique de l’humanité) leur métier. La classe n’est pas un mot creux de la taxinomie. On ne peut l’entendre comme la classe des bourgeois, la classe des prolétaires, la classe des invertébrés, un sac de billes blanches, un sac de billes noires, c’est-à-dire comme classe qui existe seulement pour un autre. Une existence sociale qui n’est pas un pur mot creux de la taxinomie est une existence pratique. La classe en tant qu’être social des bourgeois est aussi bien un rapport des bourgeois entre eux qu’un rapport de tous les bourgeois à ce qui n’est pas eux. La conscience de classe est le moment essentiel de la classe, ce qui lui donne sa consistance, non pas seulement la conscience individuelle du bourgeois mais tous les moyens pratiques que se donnent les bourgeois pour combattre ce qui est extérieur à leur classe. La conscience de classe est la conscience typique du commerçant. Non seulement la seule classe possible est la classe des commerçants, mais la seule conscience qui soit une conscience de classe est la conscience des commerçants. La conscience de classe c’est la conscience de gens qui sont concurrents entre eux, qui se combattent ; mais qui se serrent les coudes face à l’extérieur, face à ce qui n’est pas leur classe. La conscience de classe est ce qui unit les bourgeois comme bourgeois séparés pratiquement et unis idéalement, unis en pensée. La classe est l’union des concurrents dont l’intérêt général est identique et les intérêts particuliers opposés. C’est la guerre de tous les bourgeois contre tous les bourgeois mais la guerre de tous les bourgeois contre tout le reste. La classe a ceci de particulier par rapport à toute autre existence sociale, qu’elle est constituée contre un extérieur par des gens qui sont eux-mêmes extérieurs les uns aux autres. La classe, comme formation sociale unique dans l’histoire est l’extériorité absolue. Extérieure à tout, elle est extérieure à elle-même. Contrairement à la hiérarchie, c’est-à-dire à l’État, à la féodalité, la classe est composée de pairs, d’égaux. Marchands riches et marchands moins riches ne sont pas moins égaux, et ce, parce que, l’argent ne développant aucune qualité individuelle, l’argent pouvant être trouvé ou perdu, l’individu qui le porte demeure inaltéré dans sa nullité, égal à lui-même et aux autres. Ensuite, contrairement à l’État et à la féodalité, la classe est ce qui tolère un extérieur. L’État, de même que la philosophie hégélienne, ne tolère aucun extérieur, il veut tout englober dans sa grande pyramide. Dès l’origine, la classe des marchands se définit contre le reste du monde. L’argent occasionnant la ruine des sociétés qu’il touche, il est haï, craint et rejeté. Les marchands, ces pratiquants de l’universel, se trouvent rejetés par les communautés et sillonnent le monde, ce qui est d’ailleurs nécessité par leurs affaires. Quand le commerce s’empare de l’exploitation il est toujours la sphère qui pratique la suppression du travail, la sphère de l’échange social, face aux prolétaires, face aux salariés dont il supprime le travail. Enfin, il est faux que la lutte de classe soit une lutte entre plusieurs classes. La lutte de classe est la lutte de la seule classe qui ait jamais existé pour dominer et maintenir sa domination. I1 n’y a de lutte de classe que la lutte des commerçants pour dominer et pour maintenir leur domination une fois qu’ils ont déclenché le processus catastrophique du salariat. La bourgeoisie est prométhéenne. Elle arrache aux hommes leur humanité pour la restituer, inaccessible mais universelle. Sa domination et les catastrophes qu’elle déchaîne a quelque chose d’une malédiction : ce n’est pas à elle qu’il appartiendra de réaliser ce qu’elle a dérobé à la particularité pour en faire quelque chose de chimérique mais d’universel. Bien entendu, la lutte de classe est aussi la lutte des propriétaires du prolétariat, de ceux qui font du prolétariat une classe, un spectacle, la lutte de tous les Staline et de tous les Mao pour maintenir une domination qu’ils ont chèrement payée. Le prolétariat comme classe est un spectacle du prolétariat organisé par les propriétaires de ce nouveau Bolchoï, et tous les petits impresarii gauchistes et leurs maigres troupes de bateleurs faméliques. Le prolétariat moderne a ceci de particulier qu’il ne constitue pas une classe et ne peut en constituer une. Les prolétaires ne peuvent se combattre entre eux et ne peuvent combattre un extérieur. Ils sont absolument séparés et cette séparation ne laisse rien à l’extérieur d’elle-même. Quand les prolétaires combattent, ils ne combattent pas un extérieur, une autre classe, ils combattent cette séparation, ils combattent le prolétariat. La classe dominante lutte, elle, pour qu’ils n’y parviennent pas car elle est propriétaire de cette séparation, elle est propriétaire du prolétariat. Le vœu le plus cher de la classe dominante est que les prolétaires combattent sur son propre terrain : le terrain de la lutte de classe et de l’État. L’État et la bourgeoisie redoutent par-dessus tout qu’un jour ou l’autre, les prolétaires les plantent là où ils sont, dans les poubelles de l’histoire, dans le musée des horreurs préhistoriques, et vaquent paisiblement à leurs propres affaires. Mais la lutte de la classe bourgeoise pour dominer coûte que coûte, produisant une aliénation croissante, contraint les prolétaires à s’en prendre enfin au prolétariat et non plus à la bourgeoisie. Voilà le vrai malheur de la bourgeoisie. Déjà des gouvernements se mettent en grève, ils boudent comme de mauvais garnements qui estimeraient que l’on ne prête pas assez d’attention à leurs grossièretés.


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