Dans nos sociétés, la gentillesse est assimilée à de la
bêtise, et la méchanceté, c’est supposé être drôle selon certains. Je crois que
les gens qui rient aux blagues méchantes ou devant une action méchante envers autrui
sont des personnes insatisfaites de leur
vie, qu’ils en aient conscience ou pas, et qui se délectent de voir les autres
rabaissés, humiliés. C’est pour eux une
forme d’exutoire, car ils trouvent là une compensation, une forme de vengence,
à leur frustration. C’est triste comme attitude mais ce n’est pas irréversible.
« Le naturel, la sincérité n’ont plus leurs places.
L’individu doit devenir un fin calculateur, sans quoi il se fera dévorer par
les plus forts. »
Nos sociétés valorisent de plus en plus l’hypocrisie. La
sincérité est désormais considérée comme une faiblesse car elle traduit soit un
manque d’éducation et de politesse (où est la frontière entre la politesse et l’hypocrise ?
Elle est parfois bien mince) soit une incapacité chronique à manipuler son
environnement et son entourage pour obtenir ce que l’on veut. Et notamment, ce
que les hypocrites veulent, c’est préserver une bonne réputation. Ils sont près
à tous les mensonges, tous les léchages de bottes, pour mettre les gens dans
leur poche afin de soigner leur popularité, afin que leur image rayonne, car
elle doit leur servir à l’avenir.
« De plus, pour résister soi-même aux coups, il est
nécessaire de se forger une « carapace », cuire épais qui ne laisse
plus passer une once de sensibilité. »
« être encore en capacité d’être choqué par des
violences (physiques ou verbales) qui sont devenus banalités, »
Et c’est à quoi, il me semble, la société tout entière s’emploie.
On désensibilise progressivement la population (y compris les jeunes, de plus
en plus jeunes) à la violence, la guerre, la violence dans les rapports de
couple… par des doses homopathiques mais
quotidiennes de violence, de guerre… montrés à la télé de façon de plus en plus
crue, de plus en plus brutale. Ca me fait penser au procédés mis en œuvre pour
désensibiliser des gens aux allergènes comme les arachides, les acariens, le
pollen… On le fait par petites doses, car une dose massive injectée trop
brutalement provoquerait l’effet contraire.
Certaines images de la guerre du Vietnam, par exemple,
montrées à des gens du 19ème siècle auraient été jugées totalement
insoutenables. Nous avons été doucement, patiemment désensibilisés au fil du
temps, et de nos jours, nous sommes en mesure de les regarder sans ciller, ou
presque. On en est au point où l’on commence à nous montrer des corps
déchiquetés. En nous avertissant, bien
sûr. Ames sensibles, attention. Il ne faut pas comprendre cet avertissement par
« gens normaux, évitez de regarder car c’est immonde ce qu’on va vous
montrer » mais par « personnes faibles de caractère, même pas capable de
regarder en face la réalité, d’accepter et assumer l’existence de cette réalité,
barrez vous, car notre société veut ça, c’est normal, et vous êtes des inadaptés.
C’est vous qui êtes anormal, vous êtes des chochotes. » D’ici quelques années,
on ne nous avertira même plus. Ce sera un festival quotidien d’hémoglobine et
tout le monde s’en foutra royalement.
J’espère que votre excellent article contribuera à faire
enfin inverser la tendance, et à redonner leur place à ceux que l’on appelle
avec mépris, voire moquerie, les Bisounours, car, comme vous le dites si
justement : « celui-là qui est étiqueté de bisounours n’est rien
d’autre qu’un « être humain », ni plus ni moins »