La
Sorcière est toujours là.
La
sublime Prêtresse qui chantait le cantique de la Nature, l’inspiratrice des
hommes, la grande consolatrice, Celle qui était la promesse et la miséricorde,
Celle qui était la science et guérissait toutes les blessures, a été chassée du
temple.
L’ignorance
a pris sa place et s’est faite orthodoxie. Alors, que va-t-elle devenir ?...
Qu’elle le veuille ou non, la voilà destinée à l’œuvre sourde des
conspirations.
« Humiliée
dans les petites occupations, elle qui avait vu par-dessus nos fronts, dit
Jules Bois, elle fut enfoncée dans les détails obscurs. La sibylle qu’elle
porte en elle fait semblant de dormir, mais s’éveille parfois.
« La
femme est en tête de l’hérésie. Chassée du temple, elle devint la sorcière.
Elle paya cette révolte du plus riche et du plus précieux de son sang. Les Albigeois
et les Gnostiques la glorifièrent. La sainte Sophia était pour eux la Déesse
invisible. C’est dans le massacre que fut noyée cette résurrection mystique de
la femme. Plus tard, quand les Bohémiens arrivent à Paris, ils disent obéir à
la sublime maîtresse du feu et du métal, prêtresse d’Isis, qui dans le dernier
de leurs chariots penche un front couronné de sequins sur les livres antiques.
Mais la pauvre sorcière du moyen âge est encore la plus dolente. On l’extermine
par hécatombes. »
Mais
il faut un prétexte pour l’exterminer.
On
l’accuse d’exercer un pouvoir magique, occulte et tout-puissant, pour nuire à
l’homme.
La
puissance donnée aux femmes sorcières était immense. Une d’elles, du pays de
Constance, qui n’avait pas été invitée aux noces de son village, à cause de sa
supériorité, se fit, dit-on, porter par le Diable sur une haute montagne, y
creusa une fosse dans laquelle elle répandit sa sécrétion urinaire, puis
prononça quelques mots magiques, et, aussitôt, un formidable orage éclata qui
dispersa la noce, les ménétriers et les danseurs. Tout cela prouve que le mal
qui arrivait lui était attribué : c’était sa vengeance qu’elle exerçait,
l’ancienne vengeance divine à laquelle on croyait toujours, quoiqu’elle ne fût
plus Déesse. Elle était devenue au moyen âge la Stryge, celle qui
s’envolait par les cheminées, se précipitait du haut des montagnes, devenait
une chatte, etc.
Et
cependant, malgré la persécution, elle travaille, elle écrit, son esprit toujours
actif se manifeste sous l’impulsion de sa plus brillante faculté, l’intuition ;
c’est ce qui fait dire à Jules Bois, dans Le Satanisme et la Magie (p. 43) : « Elle
se relève la nuit, écrit d’étranges pages, qui semblent ne jaillir ni de ses
souvenirs, ni de ses lectures, ni de ses conversations. D’où alors ? Autour
d’elle, on s’inquiète : comment croire à des fraudes ? On se récrie, on
résiste, puis d’épouvante on accepte tout. C’est que l’invisible devient
visible de plus en plus, il commande, il conseille, il investit la maison de sa
présence outrecuidante, utile cependant. Il gère les affaires, prophétise,
allonge dans la famille moderne l’ombre des vieux Dieux. »
La
Fée Mélusine, la femme savante et bonne, n’était-elle pas
représentée dans un corps qui finit en serpent par le Catholique qui la maudit
?
Après
ce massacre de la Femme, qu’allait-il rester de la société humaine ?
« La
Femme universelle, toujours refoulée par l’Eglise, la Mère étouffée par la
Vierge, la Femme vraie, sans fausse honte de sa nature et de ses dons »
(Jules Bois). En effet, il restait la Nature avec ses éternelles lois. Il
restait la Femme !.. Déesse sans autels, Reine sans royaume, qui n’ose avouer
sa royauté,... mais la prend quand même !
Mais
toutes n’étaient pas des femmes fortes, des sorcières. Il y avait aussi les
femmes faibles et amoureuses de l’homme perverti. Celles-là vont au prêtre, et
ce sont les riches, les joyeuses, les heureuses, celles qui plaisent aux
séducteurs par leurs complaisances ; elles lui apportent leurs amours et leur
or. Qui oserait critiquer la sainteté de leurs intentions ? Aussi les maris se
taisaient.
Ces
bons Pères ! on les comblait vraiment, on les traitait comme des dieux ; il n’y
avait pas assez de belles dentelles pour leurs surplis, pas assez d’or pour
leurs ornements, pas d’étoffe assez belle pour les vêtir,... les saints hommes
!
Des
mains princières travaillaient pour eux, filaient le fin lin de leur robe... Et
tout cela couvrait si bien leur boue, qu’on ne la voyait plus.
Mais
les femmes fortes allaient à l’homme maudit, à celui que, par un paradoxe
fréquent, le prêtre appelait « Satan », c’est-à-dire à l’homme vrai, grand et
droit. Elles allaient donc au diable, elles se donnaient au diable, modeste,
pauvre, déshérité comme elles.
Ce sont eux qu’on
appelle les bons hommes, on les prend en pitié parce qu’ils n’ont pas l’astuce
et l’hypocrisie des grands seigneurs de l’Église. Ces naïfs sont restés fidèles
à l’antique loi morale ; aussi, comme ils sont ridiculisés, avilis, meurtris,
les pauvres grands bons hommes, et hués par le peuple abruti ! Mais qu’importe
à ces hommes ce qu’on dit d’eux ? il leur reste la vraie femme, la grande,
c’est-à-dire tout, et c’est cela qui, finalement, les fera triompher.