@Fanny
(suite)
Au plan militaire, c’est d’un
côté comme de l’autre une montée crescendo. On est encore loin du fortissimo,
heureusement.
Les Ukrainiens comme les
Russes auraient les moyens de frapper plus fort (rendre inutilisable le pont de
Kertch avec leurs missiles occidentaux, détruire tous les ponts de Kiev comme l’avait
fait l’OTAN à Belgrade quand l’UE (l’Allemagne d’abord) s’était lancée à la
conquête de la Yougoslavie. Or ils ne le font pas (pour le moment).
Il y a donc de part et d’autre
une retenue, un accord tacite de circonscrire l’affrontement plus ou moins à la
ligne de front. Tout débordement, comme l’attaque récente et délibérée contre des
civils à Belgorod (dizaines de civils russes tués, centaines de blessés),
provoque immédiatement une réplique d’intensité au moins égale, décourageant
toute récidive (pour un temps).
Des inégalités majeures
cependant, de part et d’autre : en faveur de la Russie qui est beaucoup plus
peuplée que l’Ukraine, et l’Occident interdit pour le moment de frapper la
Russie avec ses missiles longue portée, par crainte d’une escalade (cette
retenue est-elle durable ?). En faveur de l’Ukraine il y a ce soutien
massif par l’OTAN - 10 à 20 fois le budget militaire de la Russie – ainsi que
par les économies du G7 - des dizaines de fois le PIB de la Russie.
Au plan du moral des
combattants, on peut supposer un certain équilibre. Les Ukrainiens se battent
pour leur patrie, sans être bien certains que la Crimée en fasse partie, les
Russes se battent pour la Crimée russe sans être bien certains que l’est de
l’Ukraine est complètement et légitimement russe.
Un équilibre militaire semble
s’être établi, respectant certaines règles, dont le non recours aux armes les
plus destructrices dont les Russes disposent, et dont les Ukrainiens pourraient
aussi disposer dans une montée aux extrêmes de la confrontation Occident/Russie.
Si rien ne vient rompre cet
équilibre (rien de décisif en perspective), l’Ukraine ne peut manifestement pas
(cf. le bilan de l’année 2023) gagner cette guerre aussi longtemps que la
Russie tient debout. L’Occident le sait plus ou moins consciemment, d’où les
fantasmes d’un Bruno Lemaire de destruction de l’économie russe et ceux
médiatiques de maladies mortelles dont serait atteint Poutine (la Russie).
Cette guerre ne peut être
gagnée par l’Ukraine et l’Occident américain qu’en « tuant » la
Russie ou son économie, d’une façon ou d’une autre. Ce n’est pas gagné, bien
que la Russie, son histoire l’a montré, ne soit pas d’une solidité à toute
épreuve.
Pas facile à comprendre au
plan militaire, ce conflit est encore plus opaque au plan politique : comment
tout cela va se terminer ? Qu’espèrent les protagonistes de cette
guerre ? Cette configuration militaire « gelée » devrait
logiquement mettre en avant le politique, et donc conduire à la négociation. Or
curieusement il n’en n’est pas encore question, et c’est difficile à
comprendre.
On voit bien les bénéfices de
court terme que les USA engrangent (business as usual) à mesure que cette
guerre se prolonge, mais qu’en est-il de l’Europe, de l’Allemagne en
particulier ? Car chaque jour, des hommes, des Européens sont tués et un
pays très dégradé. Pour rien ? C’est ce que je crois. Ils meurent pour rien,
à cause de la faiblesse politique et de l’hubris des dirigeants des puissances
impliquées, grandes et petites.
Des dirigeants lucides et
forts auraient négocié et imposé une zone de grande autonomie à l’Est/sud de
l’Ukraine (Minsk), une entrée de l’Ukraine dans l’UE à terme (c’est engagé) mais
pas dans l’OTAN (ligne rouge russe que les USA veulent franchir en en faisant
payer le prix à d’autres), et une Crimée rattachée à la Russie (ou une formule
de référendum par l’ONU, ce qui reviendrait au même résultat).
On parviendra sans doute à ce
résultat, ou proche/équivalent, d’ici quelques mois ou années après des
milliers de victimes supplémentaires, voire pire (crescendo ?).
L’Histoire, c’est très bête, ça a toujours été comme ça, nos poilus l’avaient
appris à leurs dépens.
L’UE « c’est la paix »
est un acteur très engagé dans cette guerre, avec pour objectif l’adhésion à l’UE de
nouveaux membres, jusqu’en Asie Centrale. C’est un enjeu civilisationnel, du lourd. La guerre en Ukraine montre que ces
conquêtes de l’UE peuvent se payer au prix fort, au prix de la guerre. A l’origine des
deux guerres mondiales, il serait ironique que l’Europe, « l’UE c’est la paix », soit aussi finalement à l’origine de la troisième.