Et la mythologie grecque alors ?
Tout ceci est rigoureusement exact ...

Le poids de la sous- culture.
Je vous épargnerai les folies journalières de l'extraordinaire classe de quatrième. Rien n'est jamais acquis avec eux et tout est toujours possible. Ils épuisent mon énergie, mobilisent mes préoccupations, phagocytent mes pensées. Véritable obsession, j'en perds l'envie de m'investir et la motivation nécessaire pour tenir le cap.
Quand je me retrouve face à une classe tenable après avoir cherché à tenir le coup durant trois heures avec ces monstres, je ne suis certainement pas en état de répondre parfaitement aux défis qui se présentent à moi. Le dernier en date m'a totalement pris au dépourvu ; j'étais vidé et n'ai pu trouver une parade pour sortir d'un piège auquel je n'avais jamais été confronté.
Je faisais un cours d'histoire avec une gentille classe de sixième . Il était question des croyances antiques, des polythéismes, sujet glissant désormais tant la religion s'est revêtue des habits de l'intolérance et du refus des différences. Je marchais sur des œufs quand, pour prendre un peu de hauteur, j'usai de la formule « La mythologie grecque ... ». Et là, le panthéon m'est tombé sur la tête.
« Grec monsieur ? Mais c'est un sandwich ! » L'élève qui avait fait cette réflexion saugrenue ne rigolait pas du tout. Son expression attestait de son incompréhension la plus totale. Que venait faire le Kébab au milieu d'un cours ? Comprenant bien vite que j'étais face à un de ces blocages que la sous-culture nous impose désormais, je m'armai de mon reste de patience pour sortir de ce piège linguistique.
J'usai d'autres termes, expliquai qu'on disait Grec à propos de ce sandwich simplement parce que son origine était le pays éponyme. Mais rien n'y fit ; le Grec était exclusivement cette prouesse culinaire et la Grèce malgré son histoire et son actualité, n'avait rien à faire au milieu de cette évidence culinaire. Avec des frites et un peu de salade, on pouvait effacer toute notre culture classique !
Ne pensez pas que je me moque. Pendant dix minutes au moins, j'ai cherché à convaincre non seulement ce garçon mais encore deux ou trois autres camarades qu'ils faisaient erreur, qu'il y avait une vie en dehors de la restauration rapide, qu'une civilisation était née sur les rives de la Méditerranée ; je tournais en rond pour revenir immanquablement à la question : avec ou sans mayonnaise le Grec ?
Ces enfants, non seulement ont des difficultés cognitives qui expliquent leur placement en Segpa mais sont en plus confrontés à une pauvreté culturelle qui les a fait glisser de l'autre côté des mots. Pour eux, derrière un terme, il ne peut y avoir qu'une idée, celle qu'ils connaissent. Pire, je me trouvais face à des enfants pour lesquels la parole de l'enseignant est suspecte car il ne vient pas de leur monde. Ils peuvent remettre en cause ce qu'il dit sans aucune difficulté. Je ne réclame pas le droit à l'infaillibilité mais dans le cas présent, simplement celui de pouvoir transmettre un savoir bien inoffensif.
J'en étais là de mes vaines agitations quand je compris que le pauvre gamin avait entendu « Mytho » et que pour lui, ce préfixe, qui plus est latin- j'échappais à la salade- ne pouvait signifier autre chose que « Menteur ». Les mythes n'avaient qu'à aller se faire voir ailleurs, chez les Grecs ou encore les Romains ! J'avais dit ce mot qui faisait de moi un affabulateur ; je ne pouvais donc pas donner une parole de vérité !
Je vous promets que je vous restitue le plus honnêtement du monde une situation que je viens de vivre. J'avais face à moi, trois enfants issus d'immigrations récentes, venant de milieux particulièrement dépourvus et qui se retrouvent dans un environnement où la seule culture vient de la rue. L'école a perdu une grande partie de sa faculté de transmettre tant le conflit de valeurs est manifeste, tant l'enfant refuse la moindre difficulté ou la plus petite remarque. Tout ce qui vient déstabiliser des convictions établies sur du sable ou des superstitions, est immédiatement repoussé aux calendes grecques.
Il y a des jours où j'en viens à me demander vraiment à quoi je peux bien servir. C''était le cas aujourd'hui. J'avoue avoir le sentiment d'avoir usurpé la confiance qu'une institution porte en ma corporation. Tout juste bon à garder des fauves dans un enclos le temps où j'en avais la charge , je n'ai plus été en mesure d'apporter une connaissance essentielle pour moi à de gentils moutons venus renforcer leurs préjugés.
J'espère que demain sera un autre jour et que je pourrai au moins faire œuvre utile:apprendre une règle de grammaire ou ne serait-ce qu'un mot nouveau. L'ambition de changer le monde par le savoir tombe en poussière ; nous sommes impuissants face au rouleau compresseur des médias nouveaux, des communautés qui se renferment sur elles mêmes et de la rue qui se structure autour d'une contre -culture destructrice.
Une fois encore, vous allez penser que j'exagère ! Vous n'êtes pas loin de me ranger dans la catégorie des mythomanes. Mes élucubrations vous semblent dénuées de vérité. Il est vrai que je suis dans une chambre d'amplification des phénomènes et des tendances sociétales. La déficience intellectuelle est paradoxalement une caisse de résonance où seul se répand le redoutable fracas de l'échec …
Mythologiquement leur.
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