Gibbons & Pepusch : les deux belles renaissances
Cette nouvelle chronique m’amène à vous présenter deux compositeurs peu exposés de la musique anglaise des 17è et 18è siècles : Christopher Gibbons (1615-1676) et Johann Christoph Pepusch (1667-1752). Deux personnages qui ont fait l’objet de deux disques en 2012, avec leurs points forts et leurs faiblesses, mais dont on doit retenir et souligner avant tout le courage éditorial. D’un côté pour Gibbons l’infatigable Academy of Ancient Music (Harmonia Mundi) et de l’autre un ensemble naissant de Londres au nom diablement british : The Harmonious Society of Tickle-Fiddle Gentlemen (Ramée/Outhere).
Si le nom de Gibbons est loin d’être inconnu des cercles de mélomanes, c’est grâce à Orlando Gibbons (1583-1625), bien servi à la discographie et qui n’est autre que le père de Christopher. Pourquoi cet oubli ? Car l’Academy of Ancient Music et son choeur font de ce disque une première mondiale, aucune oeuvre n’ayant été enregistrée auparavant. Il a fallu la curiosité, la recherche et la conviction de l’organiste Richard Egarr qui conduit ici la formation. Tout part d’une lecture du Journal de Samuel Pepys (1633-1703), haut fonctionnaire de l’Amirauté anglaise, où il côtoie un certain « Mr. Gibbons, maître des claviers », pour se terminer entre les étagères des bibliothèques d’Oxford et de Londres.
Gibbons fait le lien entre la musique d’avant le Common-wealth et le style baroque de la Restauration, autrement dit : entre William Lawes (1602-1645) et Henry Purcell (1659-1695). On pourrait caractériser sa musique entre lignes mélodiques chargées et dissonantes, tout en gardant une stabilité harmonique proche de Matthew Locke (1621-1677). Et si l’on doit trouver en partie une raison à la diffusion marginale de son oeuvre, on peut remettre en perspective le contexte historique de l’époque et le « règne » d’Oliver Cromwell qui interdit toute expression publique de la musique et du théâtre.
Ce disque aux couleurs chaleureuses présente des pièces d’orgue, des motets et anthems, et des oeuvres instrumentales en trio (deux violons, viole et orgue) sous forme de Fantasy-suite. En extraits plus bas, je vous propose tout d’abord l’anthem à double choeur et orgueNot unto us, composé pour The Oxford Act, cérémonie de remise des diplômes à l’université d’Oxford où Christopher Gibbons fut reçu Docteur en musique en 1664. Moment rare et révélateur d’une véritable personnalité musicale. Ensuite la Fantasy-suite en ré mineur et ses 2 mouvements de danse qui ont pour point commun de commencer chaque fois avec un motif ascendant de tierce, donnant une certaine impulsion. C’est le lien entre les Fantasy-suites de John Coprario (c.1570-1626) et les Sonates en trio de Purcell. Enfin le petit motet à trois voix (deux sopranes et basse) Ah, my Soul, why so dismayed qui laisse imaginer ce que le compositeur aurait pu composer pour la scène. Si l’oeuvre a une connotation religieuse, le traitement du texte et les gestes musicaux sont propres à l’expression théâtrale.
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Christopher Gibbons (1615-1676) :
II. Fantasy-suite in d (Fantasy-Allman-Galliard)
III. Ah, my Soul, why so dismayed
Academy of Ancient Music
Choir of the AAM
Richard Egarr, director & solo organ
Album “Gibbons : Motets, anthems, fantasias & voluntaries” 2012 Harmonia Mundi USA
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Johann Christoph Pepusch (1667-1752) fait partie de ces compositeurs allemands immigrants à Londres dont l’emblématique reste Georg Friedrich Handel. Que connait-on de Pepusch aujourd’hui ? Principalement sa contribution auBeggar’s Opera pour son ouverture et le continuo des chansons. Mais à l’époque c’était sa production de concertos qui était fort appréciée. Mentionnons que le concerto apparait en Angleterre sous sa forme italienne entre 1694 et 1697 et que tous ceux de Pepusch datent des deux premières décennies du XVIIIe siècle.
Outre l’ouverture citée ci-dessus et celle du masque Venus & Adonis composé en 1715 - très fleurie et qui voit s’élever deux hautbois et un basson - le disque présente une série de concertos aux formations différentes et jamais enregistrés auparavant : séduisant et luxuriant concerto pour hautbois - dont il faut souligner le son de velours du soliste Mark Baigent - deux concertos pour violon, un concerto grosso pour trompette et cordes, un autre concerto grosso pour violon, et enfin un surprenant et adorable concerto pour violoncelle, basson et cordes. Et lorsque l’on contemple la pochette, nos yeux s’arrêtent immédiatement sur le nom choisi par l’ensemble : « The harmonious society of tickle-fiddle gentlemen ». Une traduction possible est « une société harmonieuse de gentilshommes chatouillants leurs violons ». Dans un livret abondamment fouillé, Robert Rawson - le conducteur de l’ensemble - nous explique que c’est l’écrivain satirique Ned Ward (1667-1731) qui décrit ainsi ce groupe de musiciens qui jouait lors de concerts publics organisés par Thomas Britton dans la salle au-dessus de sa maison à Clerkenwell, au centre de Londres. Thomas Britton était un marchand de charbon (“Small-Coal-Man”) et un collectionneur de musique exceptionnel tant son inventaire est foisonnant.
Espérons que la redécouverte de Pepusch continue. Voici un disque qui doit faire date même si on peut regretter par moments un manque de folie (l’ouverture du Beggar’s Opera) et un timbre assez vert du violon solo. Cependant, à entendre le plaisir et l’amour évident que l’ensemble communique pour le compositeur, il serait dommage d’en rester là. En extraits ci-dessus, je vous propose le Concerto à 5 pour hautbois, cordes et basse continue, véritable pépite de l’album et tout droit porté vers l’Italie - rappelant Albinoni et Marcello - ; en complément avec l’ouverture du masque Venus and Adonis qui réserve elle aussi bien des surprises.
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Johann Christoph Pepusch (1667-1752) :
I. Concerto à 5 for oboe, strings, and basso continuo in G minor
Adagio - Allegro -Adagio - Allegro
II. Overture to “Venus and Adonis” in F Major
The Harmonious Society Of Tickle-Fiddle Gentlemen
Robert Rawson, direction
Album ” Pepusch : Concertos and Overtures for London”, 2012 Ramée (RAM 1109)
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