• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La vie sexuelle de Robinson Crusoë

La vie sexuelle de Robinson Crusoë

Absence de femmes, embarras causé par l’homosexualité de nécessité, masturbation, zoophilie, érotisme de substitution, voilà des thèmes peu traités en littérature insulaire et totalement occultés par Daniel Defoe. Le Robinson initial semble penser à tout sauf à son sexe. Cet imaginatif bricoleur, infatigable et inventif, escamote totalement ses besoins sexuels, alors qu’il arrive sur « son » île dans la force de l’âge, il n’a que 28 ans ! Le Capitaine Woodes Rodgers dans sa narration sur les mésaventures d’Alexandre Selkirk, qui servit de modèle au roman de Defoe, aborde cependant le cas des chèvres qui ne lui servaient pas uniquement de nourriture.

Michel Tournier, dans Vendredi où les limbes du Pacifique, 1967, n’est pas le premier à aborder le sujet, mais par son livre, il fait cependant figure de novateur car il touche à un tabou qui était respecté jusque là dans une littérature ciblant avant tout les adolescents. Rituel de la fécondation de la terre, repris de traditions africaines, sexualité sublimée, tout le domaine sexuel est largement évoqué. Le passage à l’acte homosexuel entre Robinson et Vendredi n’est pas explicite dans le roman, mais fortement suggéré, mais quand on connait les préoccupations existentielles de Tournier, cela n’a qu’une importance relative.

Dans la relation de faits réels, le récit des évènements étant survenus lors de l’exploitation des phosphates sur Juan de Nova, dans les Îles Eparses, de 1952 à 1968 décrit avec détail des abus sexuels, commis par des Européens exploitant l’île, sur des ouvriers importés des pays riverains de l’Océan Indien. Il s’agit d’un des rares cas, si ce n’est le seul, ayant débouché sur une enquête judiciaire circonstanciée et des plaintes devant la justice française. Tout cela, bien avant le procès pour viol à Pitcairn en septembre 2004 où l’un des descendants de Fletcher Christian était impliqué. Et, enfin, on se souviendra que Napoléon à Sainte-Hélène ne passa pas uniquement son séjour à rédiger ses mémoires pour entrer éternellement dans l’Histoire en se morfondant et rongeant son frein. L’infortuné Montholon est bien placé pour en avoir fait les frais. Certains accusent même ce présumé cocu d’avoir « aidé » l’Empereur à ne pas s’éterniser sur son île par le recours d’arsenic présent dans la mort-aux-rats. Ce qui de plus arrangeait fort les Anglais qui commençaient à considérer que le séjour de leur hôte forcé allait leur coûter très cher s’il s’y éternisait jusqu’à un âge avancé.

Au niveau de la création littéraire, bien avant le Vendredi de Michel Tournier, le livre de Michel Gall, La vie sexuelle de Robinson Crusoë, développe le thème de l’onanisme et de la zoophilie de nécessité, comparant le naufragé à un prisonnier incarcéré ayant recours à une sexualité de substitution. Sa version anglaise antérieurement traduite du français fut éditée en 1955 sous le pseudonyme d’Humphrey Richardson, puis de nouveau publié en français sous plusieurs versions illustrées et corrigées. Vendredi devient dans cette optique une aubaine pour le solitaire qui transforme le « primitif » en objet sexuel à sa merci. Vendredi, déjà prototype du colonisé devient de facto celui de l’esclave sexuel. L’auteur ayant écrit sa première version à une époque où il existait encore des colonies, ne s’est pas posé outre-mesure la question de la relation maitre/esclave, ni celle de la soumission forcée comme l’aurait fait de manière compulsive un auteur actuel. Il nomme aussi son nouveau compagnon Vendredi et éduque son sauvage, il lui apprend l’anglais à coups de badine pimentés de caresses érotiques. Par contre, ce Vendredi a eu une existence avant d’arriver sur l’île et il en fait profiter en détails Robinson.

Après avoir expérimenté les goyaves mures qu’il creuse de cylindres adaptés à sa taille pour se soulager, comme en pays arabe, certains adolescents utilisent les pastèques, le Robinson de Gall se satisfait d’abord de chèvres qu’il travestit avec des sous-vêtements féminins trouvés sur l’épave de son navire, pour les rendre affriolantes et ranimer son désir. Il expérimente aussi des pratiques au début hasardeuses avec des animaux aussi divers que variés, mêlant rêves, souvenirs et fantasmes avec une faune improbable dont une chatte sauvage, un perroquet, un singe et même un loir dressé à devenir un fellateur particulièrement doué et fiable après un entrainement intensif sur des bananes enduites de miel ! On sent déjà poindre les délires sexuels de Tournier sous la plume de Gall ! Et ce Robinson fait aussi des rêves érotiques peuplés de femmes d’abord ayant partagé sa vie en Angleterre, puis de créatures inventées dont à la longue, il oublie ce qu’elles sont réellement et à quoi elles peuvent ressembler dans le monde concret. Ces créations oniriques occupent d’ailleurs une grande partie de l’ouvrage avec de longues descriptions des songes du héros qui le laissent dans un état proche de l’hypnagogie.

Le domaine de Morphée permet à l’auteur de nombreuses digressions sur la sexualité qui auraient été limitées par un récit purement narratif. L’oubli d’un univers tangible et palpable alimente une création fantasmatique à la limite de l’hallucinatoire chez le naufragé au fil des ans avec une distorsion de plus en plus importante avec la réalité féminine. Le Robinson de Gall est à la fois un masturbateur imaginatif, un zoophile, un homosexuel de circonstance qui faute de grives mange des merles. Il se croit cependant hétérosexuel au plus profond de ses désirs et de sa personnalité. Il est certes inventif, mais son imagination est avant tout dirigée par la quête de la femme. « Si un jeune homme est tellement beau, qu’en est-il donc d’une jeune femme ?  » s’interroge Robinson après des années d’abstinence. D’ailleurs, lorsque le naufragé remarque une empreinte sur le sable, après vingt-trois ans d’isolement, sa première pensée est que cette trace de pied pourrait être celle d’une femme, et d’imaginer comment il pourrait user et abuser de cette créature féminine sans la moindre décence et retenue morale. Mais face à un Vendredi jeune et musculeux, le Robinson de Gall, contrairement à celui de Defoe, s’en accommode fort bien et éprouve un réel plaisir d’abuser du jeune homme qui lui est soumis. La relation maitre blanc et esclave sexuel indigène ne semble pas avoir posé de problème moral et éthique à l’auteur lors de la rédaction de son ouvrage commencé dans les années 50. Par contre, on ne peut aucunement faire le rapprochement avec le tourisme sexuel, car les protagonistes ne sont chez eux ni l’un ni l’autre et la relation dominant dominé n’est ni d’ordre financier ni de classe sociale.

A la fin du roman, Vendredi et Robinson sont devenus complices et ils vivent au rythme de leurs pulsions sexuelles. Ils en arrivent à convoiter la dépouille d’une jeune morte découverte sur l’île et ne sont empêchés du passage à la profanation de cadavre et à des pratiques nécrophiles que par l’arrivée inopportune d’un navire anglais. Ils sont enfin « sauvés » ! A peine de retour en Angleterre, les deux compères qui ont acquis et expérimenté sur leur île une sexualité si frustre, si excessive et déviante, finissent par se faire incarcérer à cause d’un scandale causé dans un bordel anglais à peine débarqués.

Hélas, on ne touche pas impunément à un monument de la littérature universelle et le livre de Michel Gall, s’il ne fut ni censuré ni mis dans « l’enfer » des bibliothèques n’obtint qu’un succès d’estime et n’eut jamais une place de choix dans les rayons des libraires. Et pourtant, en dehors de l’approche originale et provocatrice, ce livre soulève le problème de la sexualité et de sa substitution en cas d’isolement forcé. Il pose la question d’un ersatz de sexualité pour l’individu écarté du monde et par cela dépasse largement le cadre des aventures dans les îles. Le livre de Michel Gall, est le récit d’une recherche forcenée du plaisir, un développement de la libido par le truchement de pratiques érotiques raffinées ou incongrues. La sexualité, même parallèle devient pour son héros une quête frénétique, quasiment un moyen de survie, en tout cas une façon d’éviter la folie.

En dehors de la fable érotique, ce roman est une intrusion sexuelle dans la vie d’un naufragé imaginaire, mais fait poindre le sentiment que les questions de cet ordre, loin d’être subalternes sont au plus profond de la réflexion humaine en cas d’isolement. Cependant, à force d’en faire trop, le livre perd en crédibilité et répète les excès de Guillaume Apollinaire dans le cependant très picaresque roman érotique les Onze milles verges. Et si Gall et Tournier ont sexualisé le quotidien de leur Robinson, ils ont un prédécesseur célèbre, bien qu’hélas oublié et occulté dans le domaine. Le génial visionnaire, Jonathan Swift, transforme son naufragé Gulliver en une sorte de godemiché vivant entre les mains de la fille du roi des géants, quand son héros se retrouve malencontreusement sur leur île. Décidément, Swift fut un précurseur dans bien des domaines, mais la plupart des lecteurs n’ont eu hélas qu’accès à la version abrégée, expurgée et illustrée de ce chef-d’œuvre. Enfin, si l’on se réfère aux témoignages des militaires français ayant été basés à Clipperton, l’absence de bar à hôtesses, de dancing et autres établissement censés attirer les marins sur cet atoll inhospitalier n’a pas empêché un grand nombre de ceux-ci d’exprimer un ressenti très fort et inoubliable pour cette terre du bout du monde. Comme quoi, l’image d’Epinal du marin en goguette ne tient pas face à l’attrait engendré par un lieu aussi exceptionnel. Cela dit, on peut imaginer que nos « guerriers » tant engagés qu’appelés du contingent ont du se rattraper à la première escale.

Pour conclure l’analyse de la sexualité en milieu insulaire, on remarquera que bizarrement la présence de prostituées est occultée du fantasme des îles désertes. Tant dans les récits des premiers navigateurs dans les mers australes que dans les fictions de la téléréalité. Il faut dire que le retour au paradis sur terre ne peut s’accommoder de prestations sexuelles rémunérées. La composante money, semble totalement absente de la trilogie « sea, sex and sun » si chère à nos voyagistes.

Les femmes sont supposées se donner sans contrepartie, les Polynésiennes de surcroit, ne connaissaient pas encore les dollars en ces temps héroïques et on ne pouvait alors les considérer comme vénales. Et de nos jours, les jeunes femmes superbes, qui arrivent en jet privé à l’aéroport le plus proche du yacht où elles sont invitées à tenir compagnie aux riches plaisanciers, sont tout naturellement des « visiteuses » mais dans le sens que donne à ce terme l’écrivain péruvien Vargas Llosa dans son roman picaresque « Pantalèon  ». Il en va de même dans les clubs de vacances reconstituant une communauté de loisirs, où les gentils membres ne souilleraient pas ces lieux raffinés par des amours tarifées. Ce paradoxe, en un endroit avant tout marchand, ne dérange pas les organisateurs de plaisir. C’est justement la pureté des lieux qui en fait le charme ; et si certaines vacancières ne sont pas uniquement de jeunes femmes désintéressées venues pour le plaisir des sens, elles doivent au moins faire semblant de l’être. Ce n’est finalement qu’une fois que l’île est devenue une colonie de peuplement bien installée qu’apparaissent lupanars et bordels de marins.


Moyenne des avis sur cet article :  3.12/5   (17 votes)




Réagissez à l'article

14 réactions à cet article    


  • Antoine 17 décembre 2011 01:29

     Robinson, comme beaucoup de mecs, s’est sans doute tapé des guenons !


    • Antoine 18 décembre 2011 00:26

       Ce sont les guenons qui me moinssent ?


    • antonio 17 décembre 2011 11:56

      Article remarquable.
      Je suis passionnée par les « tribulation d’une zigounette sur une île déserte. »
      C’est dire avec quelle impatience j’attends la version féminine :
      « Les tribulations d’un vagin sur quelque atoll lointain ».


      • appoline appoline 17 décembre 2011 20:14

        Contrairement à Robinson et ses homologues, nous fonctionnons avec le cerveau du haut, ce qui nous donne le temps de chercher quelque astuce pour avoir les yeux qui brillent. Avec un peu d’imagination, ce dont nous ne manquons pas dans notre vie de tous les jours, le cerveau du haut remplit pleinement ses fonctions, contrairement à Robinson qui reste esclavage de son cerveau du bas.


        Conclusion : quand ce sont les mains qui commandent le cerveau et par l’inverse, c’est vite la panique (en un seul mot).

      • Georges Yang 17 décembre 2011 12:06

        Il existe une Miss Robinson Crusoe de Tracy Sinclair, dans la collection Harlequin, je doute de la qualité de l’ouvrage et de son érotisme torride


        • Constant danslayreur 17 décembre 2011 12:30

          Bon article mais snif quand même, à jamais dégouté de la salade au chèvre chaud.

          Sinon l’homme est capable de... enfin ... de se mettre partout, y compris à l’intérieur d’une salade et d’aucunes s’étonnent qu’il puisse être misogyne ou encore pas assez fleur bleue à leur goût...
           


          • appoline appoline 17 décembre 2011 20:16

            Vous verriez ce qui arrive aux urgences des hospitaux, on pourrait écrire un livre ; beaucoup d’imagination chez les messieurs, beaucoup


          • Radix Radix 17 décembre 2011 14:42

            Bonjour

            Ben heureusement que vendredi n’est pas arrivé un... Mercredi, il y aurait eu détournement de mineur !

            Radix


            • appoline appoline 17 décembre 2011 20:16

              Qu’’est ce qu’il a dû prendre, le pauvre


            • Annie 17 décembre 2011 20:55

              Bonsoir George,
              Je comprends ce que vous vouliez dire quand vous disiez que les choses allaient se gâter. Encore que !! Je ne me suis jamais demandé comment Robinson avait survécu ou Mandela pour citer un autre exemple. Peut-être ont-ils ou n’ont-ils pas, et s’ils ont, quelle différence cela aurait-il fait ? N’oublions quand même pas que Robinson s’adressait à un public puritain et qu’il aurait été malvenu d’évoquer ses frustations sexuelles, aussi douloureuses soient-elles. Par contre, ce que je trouve intéressant, est qu’à partir du moment où les circonstances l’imposent, d’après votre article, les rapports entre hommes deviennent beaucoup plus acceptables. De là à conclure que tous les hommes (ou femmes) sont des homosexuels qui s’ignorent, ou que leur inclinaison soit seulement contrariée par les conventions sociales , il n’y a qu’un petit pas à franchir.


              • Georges Yang 17 décembre 2011 21:28

                La réalité des îles isolées est loin d’être idyllique : inceste, viols, zoophilie, consanguinité, déprime (se souvenir de l’expérience de Georges de Caunes sur une île des Mariannes dans les années 60)


              • morice morice 18 décembre 2011 00:02

                c’était dans les Marquises, à à Eiao, le séjour de De Caunes... et pas dans les Mariannes.


                « avant de dire des insanités, on vérifie »... 

                ah ah ah !!!

              • Georges Yang 18 décembre 2011 00:07

                Morice
                Je vous croyais hospitalisé sous neuroleptiques, je me trompais,


              • LE CHAT LE CHAT 17 décembre 2011 21:11

                il devait aussi s’en passer de belles sur l’île du Dr Moreau ....  smiley

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès