Le grand collecteur…

Des goûts et des couleurs ?

C'est avec un profond écœurement que je me vois contraint d’admettre qu'il existe désormais de par ce vaste monde un immense réseau où se déversent tous les immondices d'une société qui a eu l'incroyable idée de concevoir et de mettre en état de marche un collecteur planétaire pour collationner tous les crachats et défécations les plus ignobles que l'espèce humaine est capable de produire.

Qu'il soit qualifié de social laisse pantois pour qui se plaît à examiner les rebuts et déchets de toutes natures qui empruntent cet immense réceptacle de ce que peuvent produire de plus détestable les plus indignes représentants de ce que jadis on désignait sous le vocable d'homo-sapiens. Depuis l'intrusion de l'ère numérique, homo-vomitus a pris la place avec une complaisance et une morgue sans égale à celui qui se voulait sapiens.

Les déjections y sont la règle. On y vomit des idées infectes, on conchie son voisin, on maudit celui qui pense autrement, on se prépare à en venir aux mains faute de pouvoir tenir le crachoir sans sortir de ses gongs. Que ce soit le quidam anonyme ou bien le chef d'état, tout au long de l'échelle sociale, chacun y va de sa diatribe, de sa logorrhée nauséabonde, de sa saillie vindicative, de son insulte assassine, de sa charge véhémente contre celui qui ne peut être que son ennemi abhorré.

La distinction et la courtoisie ont laissé place au ressentiment, puis à la haine, à la vindicte ou à la diffamation tandis que le débat a cessé d'exister pour se contenter de duels oratoires ou de joutes éjaculatoires d'une incroyable férocité, d'une intolérable médiocrité et d'une monstrueuse vulgarité. Contrairement à ma tentative de décrire la chose en utilisant un vocabulaire châtié et varié, les écrans se couvrent de mots issus des bas-fonds de la langue, des tréfonds de la pensée privés de plus de syntaxe et de grâce.

Le collecteur déverse sans retenue son flot de fange tandis que les rédacteurs de ces messages de la honte, tout en se couvrant de ridicule se dissimulent sous la protection bien commode d'un anonymat qui fait toujours la part belle aux pleutres, aux lâches, aux infâmes. Ajoutons encore l'usage excessif de signaux visuels et nous atteignons progressivement le degré zéro de la communication.

Hélas, le pli ayant été pris, la pratique échappe désormais à ce misérable usage écrit pour gagner progressivement ce qu'il ne convient plus de qualifier d'expression orale. L'exemple a été initié par les invités de nos débats politiques ou des plateaux des chaînes d'information. Les noms d'oiseaux, les cris outragés, les répliques assassines, les propos scabreux se mêlent joyeusement aux mensonges, aux contre-vérités, aux paroles creuses tout cela prononcés ou plus exactement éructés sans écouter l'autre ni la moindre distinction.

Alors, pour ne plus être en reste, le bon peuple leur a emboîté le pas pour tenter de singer ces professionnels de la provocation et du désordre. Désormais, au marché, dans la rue, au travail, en famille même, les pires saloperies sont tenues sans honte ni pudeur. La xénophobie, le racisme, l'appel au crime ou à la chasse aux autres sont monnaie courante dans ce climat d'effroi précédent l'imminente guerre civile que beaucoup appellent de leurs vœux.

La langue est malheureusement la première victime de ce climat insurrectionnel. L'outrance des propos belliqueux se passe aisément de la forme tout en confondant le fond avec les abysses de la pensée. Moins il y a de mots plus le discours laisse la place à cette forme immonde du propos excrémentiel qui se généralise dans toutes les tribus humaines.

Le plus effroyable dans cette vague détestable réside dans l'appropriation de cette immonde forme de communication par les têtes couronnées, distingués ou élues de ce monde en déliquescence. Leurs sujets se contentant d’imiter les têtes de pont de cette humanité désormais exclusivement branchée sur le vaste collecteur des dégoûts et des horreurs… C'est malgré tout en ce lieu que j'entends lutter pied à pied contre sur les effets de cet hydre monstrueux.