Michel-Ange et la chapelle Sixtine
Michel-Ange, "Il Divino", cherchait-il la rédemption en peignant le toit de la chapelle Sixtine en forme d'arche ? Dans ses poèmes, il s'accuse d'avoir trop aimé les beautés terrestres, en particulier les beaux éphèbes au milieu desquels il vivait. Il venait juste d'achever le Jugement dernier, plein d'hommes nus. Le peintre sublimait ses penchants homosexuels dans son art. Mais il se posait aussi en créateur. Comme Dieu, Michel-Ange ne copiait pas : il créait ses propres formes. Comme Dieu, il tirait ses figures de la matière (des blocs de marbre). Il déclara d'ailleurs l'art de la sculpture supérieur à celui du peintre qui ajoute seulement de la matière à la matière.
L'image du doigt de Dieu touchant celui d'Adam est parlante, il semble symboliser aussi le don de création que Dieu fait à Michel Ange...
Cette démarche de créateur se retrouve aussi dans le souhait de Michel Ange de recherche totalisante où tous les arts convergent : dessins annotés de poèmes ou de plans d'édifices, fresques épousant les reliefs et contours de l'architecture. Dans sa logique d'extraction des formes de la matière brute, il réduisait son art à l'essentiel.
Alors que les modèles de l'Antiquité s'imposaient, Michel-Ange prit l'option de représenter ce qui lui venait à l'esprit. Le maniérisme était né.
1 - La fresque de la voûte
La fresque orne une voûte de 40 mètres sur 13 et représente la Genèse avant le Christ ainsi que l'Antiquité. Michel-Ange a peint une architecture fictive comme trame de son oeuvre. Parfois, cette architecture suit la véritable, d'autres fois elle s'en écarte. Les dix arcs qui traversent la voûte sont des trompe-l'oeil.
LES PROPHETES ET SIBYLLES
Un côté représente individuellement les prophètes de l'Ancien Testament qui annoncent l'avènement du royaume du Christ, l'autre côté les sibylles, prêtresses divinatoires de l'Antiquité, qui président aux destinées de l'Empire romain. Les prophètes et les sibylles sont surdimensionnés, ce qui permet d'"alourdir" la retombée des arcs.
La sibylle de Delphes (ci-dessus) est la plus admirée.
La sibylle de Cumes (pour l'Italie) est solidement charpentée et joue le double rôle, à la fois religieux (Virgile la charge d'annoncer la naissance de l'enfant d'une vierge qui instaurera un nouvel âge d'or) et politique.
Jérémie : Peut-être un autoportrait de Michel-Ange. En effet, Raphaël reprend sa posture et ses bottes pour sa représentation de Michel-Ange sous les traits d"Héraclite dans son Ecole d'Athènes.
Jonas, placé au-dessus de l'ancienne entrée, indique dans quel sens lire les scènes de la Genèse. Il n'a pas encore le don de prophétie que Dieu ne lui donnera qu'après l'épisode de la baleine. On peut voir, en effet, qu'il n'a ni livre ni assistants.
LA GENESE
Le Déluge : première scène réalisée, elle trahit une technique encore mal maîtrisée. Michel-Ange a dû en refaire une partie à cause de moisissures et du travail bâclé d'assistants. Les parties s'articulent mal, c'est un peu fouillis et l'ensemble de cette oeuvre jure avec l'ensemble harmonieux.
Dans la deuxième partie de son travail, Michel-Ange va agrandir ses personnages de diverses manières : abaissement du socle, vue du dessus, réduction des marbrures.
Le Péché originel : Le démon a l'apparence d'une femme dont les jambes entourent un arbre comme deux serpents. Symétriquement opposé, se trouve un ange qui représente le bien.
La Création d'Eve : A partir de cette scène, Dieu sera présent dans toutes les compositions.
La Naissance d'Adam : le drap entourant Dieu fait penser à un cerveau (on sait que, pour comprendre la morphologie humaine, Michel-Ange avait disséqué des cadavres).
La Création de la végétation et la Création su soleil et de la lune : Comme pour le Péché originel, Michel-Ange a dédoublé la scène. On voit Dieu de dos et de face.
La Séparation de la lumière des ténèbres : "Que la lumière soit ! " Cette séparation engendre aussi, selon la conception néoplatonnicienne, la lutte incessante du bien contre le mal. La tête de Dieu est vue dans un extrême raccourci qui évoque la tête du spectateur mais aussi du peintre travaillant au plafond de la chapelle.
LES 4 PENDENTIFS D'ANGLE
"David et Goliath", "Judith et Holpherne" se font face. Deux scènes de décapitation où le héros de Hébreux vainc l'ennemi non par la force mais par la ruse (et la foi). Holopherne est ici présenté en raccourci, dans les deux sens du terme puisqu'on lui a tranché la tête. Judith, en blanc, la fait porter par sa servante. La robe blanche de Judith a de curieux reflets vert émeraude.
"Le Supplice d'Amman" : Michel-Ange supprime la bordure intérieure de la fausse moulure de marbre pour agrandir le personnage qu'il fait dépasser du cadre. Scène en 3 tableaux. A droite, le roi Assuérus sur son lit ordonne à son vizir Amman qu'on honore la loyauté de Mardochée, oncle de son épouse Esther. A gauche, Esther invite Assuérus et Amman à un banquet pour annoncer au monarque qu'elle est juive et lui demander la levée du décret d'Amman d'extermination des Juifs de Perse. Au centre, Amman crucifié sur la potence qu'il destinait à Mardochée. Son corps supplicié en forme de X exprime avec force son martyre.
"Le Serpent d'airin" : Les Hébreux meurent sous le coup des morsures des serpents que Dieu leur a envoyés parce qu'ils l'ont maudit de les faire errer dans le désert. Dieu adoucit sa sentence : quiconque regardera le serpent d'airin aura la vie sauve.
Les ancêtres du Christ : ils sont peints dans les écoinçons (triangles) et lunettes (formes en demi lunes).
LES AUTRES ORNEMENTS
Les "Ignudis" au médaillon de bronze : Au-dessus des voyants, sont disposés dix couples de nus, d'abord en miroir puis de manière asymétrique et dans des positions de plus en plus audacieuses. Les médaillons renvoient à l'art de Constantin, en tant que monument de l'Empire donnant au pouvoir temporel du pape ses lettres de noblesse.
Nus de bronze : Au-dessus des écoinçons, douze couples de nus peints en camaïeu couleur bronze. Chaque couple, en miroir, est séparé par un crâne de bélier qui renvoie au sacrifice des béliers par Noé. Ces figures seraient des démons et des anges rebelles.
2 - La fresque du Jugement dernier
En 1536, Michel-Ange peint cette fresque sur le mur de l'autel.
En haut, les anges portent les instruments de la Passion : la croix, la couronne d'épines (lunette de gauche), la colonne à laquelle le Christ fut attaché et flagellé, la canne de jonc (lunette de droite).
En-dessous, Jésus en juge, Marie, Saint-Barthélémy, au milieu des bienheureux.
Michel-Ange met sa souffrance en scène en se représentant sous la forme d'une peau écorchée tenue par Saint-Barthélémy. Michel-Ange souffrait de son travail fixe qui lui pesait. Convaincu d'être issu de la noblesse, il acceptait son sort pour élever socialement sa famille (ses neveux). Son travail à la chapelle Sixtine fut titanesque et très éprouvant : allongé sur les échafaudages, peignant le plafond. Sa souffrance était aggravée par son homosexualité interdite et sa soif de rédemption.
Au centre, les anges sonnent les trompettes du jugement. D'un côté, les justes qui s'élèvent vers le ciel (les noirs - non visibles ici - plus difficilement ; ils sont hissés avec force), de l'autre les damnés qui tombent aux enfers. On peut voit à la grosseur des deux livres que la liste des damnés est bien plus conséquente que celle des heureux élus.
Dans la partie de la chute des damnés, on reconnaît quelques stéréotypes de pécheurs : à droite, le pécheur ayant abusé de la luxure se retrouve tiré vers le bas par un démon. Il est tiré par les bourses. A propos de bourses, on peut voir celle de l'avare, au centre, ainsi que ses clés de coffre-fort qui pendent désormais inutilement. A gauche, un veule ou un désespéré qui se laisse faire sans réagir. (voir détails sur ce blog)
Résurrection des corps : Des morts, à gauche, soulèvent la dalle de leur sépulture, des squelettes reprennent une enveloppe corporelle pour monter aux cieux, deux corps placés tête-bêche flottent au centre. Leur sort n'est pas encore scellé. En effet, anges et démons se les disputent. L'homme retourné est tiré par les cheveux. L'autre a les chevilles enlacées par un serpent et une main, sortie d'un rocher, tente de l'entraîner vers l'enfer. (voir détails sur ce blog)
Des critiques plus ou moins vives ont fusé à la vue de l'oeuvre : la nudité (pendant la Contre-Réforme, des pans d'étoffe seront ajoutés), la vierge trop soumise (or, elle symbolise l'Eglise), un Jésus posant en juge et pourtant dépourvu de barbe, des anges sans ailes, des saints auxquels il manque l'auréole.
La barque de Charon : Michel-Ange s'inspire directement de Dante qu'il avait lu : "Charon le diable aux yeux de braise les recueille toutes (les âmes) et leur fait signe, battant avec sa rame celles qui s'attardent."
En bas, Michel-Ange règle des comptes personnels : il a représenté (selon le biographe Vasari), le maître des cérémonies du pape sous les traits de Minos, qu'ici un serpent s'apprête à mordre aux testicules ! Cet homme avait eu la mauvaise idée de contrarier le peintre en critiquant l'abondance des nus. Michel Ange fuyait les mondanités. Il avait peu d'amis. Un brin paranoïaque, il s'enfermait dans la chapelle Sixtine et pensait qu'on lui en voulait. Ainsi crut-il que Bramante était à l'origine de cette commande pour le mettre à l'épreuve et le faire échouer. Ce n'était pas le cas, l'architecte avait au contraire émis des réserves quant à faire appel à lui pour ce travail.
Michel Ange mourut très vieux, à l'âge de 89 ans. Sa quête de religiosité ne fit que croître au cours de sa vie.
Les oeuvres de Michel Ange en vidéo :
Documentaire sur la vie et l'oeuvre de Michel Ange
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