Miossec recommence à boire
Le Brestois à nouveau près du zinc, fier et droit, coude levé et œil jaune, redevenu pirate des émotions les plus simples. Retour en grâce majeur pour cet auteur décisif, qui avait dernièrement raté ses passes, mais se remet à tacler juste sur « L’Etreinte » et ses peintures vives.

D’emblée, on avait aimé Christophe Miossec, d’entrée de jeu, ses chaloupés amers, ses esclandres virils qui peuplaient Boire, premier album séminal, qui renversait les chaises, et même les tabourets, qui dévalait les zincs et nous laissait le coude en l’air, pas peu fiers de nos tournées générales, de nos coups de pied aux étoiles, de nos tacles, de notre mauvaise foi, pas peu vantards de nos gueules de bois, dont on fait les bateaux et occasionnellement quelques épaves, reliques de nos désespoirs poussifs, de nos espérances ratées, de nos hoquets permanents, de nos cernes-valises, jamais contrôlées, jamais ouvertes, jamais suspectes...
D’emblée, on ne pouvait qu’attraper Miossec par le col, l’agiter en tout sens pour lui demander, bon sang de bonsoir, comment il était allé pêcher, en quels fonds, ces mots-là, de ceux qui vous empêchent de dormir, de vous reposer, qui vous poussent à la migraine tandis que d’autres, à côté, derrière les cloisons, se déchirent, s’adorent, en rient ou se séparent, comme tout le monde... D’emblée, Christophe Miossec n’avait ressemblé à rien, et surtout pas bien sûr à cette chanson française, lisse et poire, bonne pomme et sucée jusqu’à l’os, jusqu’à ne plus savoir dire ce qu’elle signifiait. D’emblée, on s’était trouvé bien dans cet endroit, en cette compagnie, cette compagnie des hommes que trahissent leurs ombres, Miossec chantait ces maux qu’on ne glissait pas, alors, entre deux couplets.
Boire, ça s’appelait, et c’était la goutte qui faisait déborder l’évasif. Les mots résonnaient, soudain, non comme des appels au calme, non plus comme un tocsin, mais comme une corne de brume qui vient nous rappeler que cette vision, là, c’est le brouillard. Boire. D’emblée on avait compris que ce Brestois, cette cabine de marin largué des amarres, ce timbre travaillé jusqu’aux petits matins qui vous ouvrent, seuls, leurs bras froids, on avait bien pigé qu’il serait désormais difficile de faire comme si rien, en tout port, ne s’était passé. Christophe Miossec, à fond de cale, venait de débarquer. Pas marin d’eau douce, plutôt d’alcool fort, « qui s’achève sur les comptoirs comme une grosse baleine qui attend sans trop y croire qu’un jour tu lui reviennes... » On se mit à se fixer, pour toute saison, d’un coup, comme seul objectif d’évoluer avec lui en 3e division, ou pas loin.
Toute grâce bue Baiser continua l’aventure du singulier chansonnier, deuxième album presque aussi fort, mais moins fracassant, avec quelques sommets éthyliques, quand même, comme, au hasard, Le célibat ou Ca sent le brûlé, ou bien sûr Une bonne carcasse... Rien que les titres claquaient déjà comme une promesse, une certitude de récifs, d’endroits où s’éclater en mille morceaux, se compter, se recompter, s’assembler peut-être, s’éparpiller sans doute, un ici, l’autre ailleurs. Dans Baiser, Miossec gardait Le mors aux dents et ne craignait guère l’infidélité... Ces titres, encore, ces titres... L’album s’achevait (c’est le cas de le dire) sur une reprise de Joe Dassin, Salut les amoureux, tout simplement, sans penser à demain...
Lendemains sous la forme d’un troisième album, A prendre, début d’un net déclin de l’écorché imbibé, disque sur la pochette duquel on devine un Miossec au loin, sur un polaroïd capturé, dans la mer (l’amer) agitant les bras pour qu’on (le sauve) le voie... La première fois que le gros plan se barre, la première fois qu’on tourne un peu en rond, quand même, pour trouver quelques huîtres pour accrocher ses rochers. Deux clous, quand même, pour pas rater le supplice de cet album flou : Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement (quel titre encore !) et surtout le Retour à l’hôtel , sommet Miossecien s’il en est, chanson sublime. (De certaines filles on ne peut dire plus que leur beauté, elles sont « belles, tout simplement » et du Retour à l’hôtel on ne peut écrire autre commentaire que qualifier cette chanson de sublime. Déchirante et sublime.) Alors que l’album A prendre est plutôt à laisser, cette seule chanson le sauve de la noyade, mais prend un peu l’allure d’épitaphe pour le parolier tanguant, qui semble avoir perdu le cap, alors même qu’une certaine « reconnaissance » le recouvre d’un coup.
Toujours le même air avec le public, enfin certain public, d’un métro en retard ou d’une station en avance, mais pas là quand il faut pour saluer l’artiste quand il tient encore mieux debout que son micro. Trois albums, et déjà des signes de fissures chez Miossec, qui n’est plus notre pote, d’un coup, qui snobe, ne fréquente plus, bâcle et simule, qui se prend pour Obispo et écrit pour Hallyday, pose avec Juliette Greco, commet deux disques transparents, inhabités et mous, Brûle et 1964 qui achèvent de nous convaincre que le marin qui hier encore rebuvait se vautre aujourd’hui devant Thalassa. Toutes tempêtes derrière lui gommées, liftées. L’homme vieillit, devient lisse, débite des textes qui ne lui ressemblent plus, s’avachit dans un confort qu’on n’imaginait pas pour lui. Ce n’est même pas la Ligue 1, c’est le Variété club de Recouvrance !
Alors quand, il y a quelques mois, on apprend que le Brestois embarque à nouveau, on craint le pire, un copier-coller vite fait de ses tièdes productions récentes, un Berger menthe bas du genou pour que Télérama n’avale pas de travers, un mousseux service public pour venir s’asseoir chez Michel, dimanche après-midi. De Boire à 1964, Miossec était passé du poivrot lucide au David Douillet « indépendant ». On pouvait donc redouter un sabordage de plus, et le naufrage plus très loin.
Et puis non, pas du tout, le Brestois nous revient cette rentrée avec une Etreinte digne, très digne de ses débuts, Miossec se remet à Boire et ses inspirations d’après banquet, et son roulis, et sa fureur de dire. Ça débute par La facture d’électricité, single très habile, texte au cordeau, et ça se poursuit par un piano qui nous rappelle l’intro de Recouvrance, autre sommet parmi le sommet, autre 8000 du premier album, Recouvrance... Maman, c’est le titre... Et puis l’Etreinte prend son envol dans les bras d’une autre, sur une Mélancolie à faire chialer bien des marins, et que dire de ces 30 ans après lesquels on aimerait encore courir, comme avant... Miossec de retour, et encore dans L’amour et l’air, ou Quand je fais la chose..."Quand je fais l’amour je me dis qu’on n’a pas changé les draps depuis longtemps déjà..."
Miossec, aussi sec qu’à ses débuts, Miossec aussi on the rock qu’au premier verre, à la première gorgée, Miossec bien raide, belle descente, qui ne déchante plus mais retrouve ses airs, ses mélodies, retrouve enfin surtout des musiques acceptable, grâce à Jean-Louis Pierrot, grâce aux Valentin, auxquels on pourra bientôt songer à tresser de lourds lauriers, à force de talent, de charge d’âme et de flamme entretenues, sur des albums de Daho, de Bashung, et d’autres encore, que je fais mine d’oublier mais mes oreilles s’en souviennent...
Miossec, les mots au rendez-vous, la musique pas en retard, pour une fois (comme à l’époque de Boire, avec la guitare tordue de Guillaume Jouan) d’où cette Etreinte qui remballe l’été, qui promet l’automne, surtout, bigarrée, multicolore et un peu pluvieux, humide comme un temps de pêche, découvert comme la plage, et les rochers, les bigorneaux, les couteaux et les crabes, les étrilles, quand la mer se retire... avant de revenir... avant de repartir... Le temps d’une chanson, on peut demander l’impossible, chante ce marin qu’on redoutait perdu pour les hauts fonds, condamné aux ports de plaisance, à mouiller sans fin, pour les photos numériques, les mouettes et la nostalgie d’avant, camarades...
Dans la dernière chanson de l’album, Bonhomme, ritournelle pour enfant sage, posée là comme l’écume sur une vague, l’homme retrouvé prévient : "Il faut désormais croire aux fantômes..."
Miossec le revenant inattendu croise au large, à nouveau, loin des côtes, las de se saborder sans fin, de retour parmi les siens, pas tous marins, aucun d’eaux douces.
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