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René Chateau (1939-2024), éditeur vidéo français célèbre, n’est plus

Un (René) Chateau de cartes, ou plutôt de vieilles cassettes VHS, s’effondre ! On perd, avec cette « mémoire du cinéma français » populaire disparue, un grand nom du septième art, un puissant homme de l’ombre de son industrie, secret et controversé, surnommé « le roi de la VHS », au patronyme connu du grand public et pourtant au visage quasiment inconnu : le distributeur de cinéma, et éditeur vidéo, entre autres ! (car il a eu comme plusieurs vies professionnelles, ayant même commencé par être carreleur – quel destin incroyable, digne d’un roman !), René Chateau - cf. les BELMONDO, lettrage en lettres capitales exprès ici pour parodier tendrement leurs affiches, des années 1970 et 1980, bien sûr, en pole position - est mort, à 84 ans : il vivait seul sur la fin, retiré chez lui, tel un Xanadu à la Orson Welles (on le comparait même, via sa vie recluse, au Masque de fer !), recevant très peu, dans sa superbe propriété sous forme de bastide, truffée de souvenirs (bouquins, photos, posters, cassettes vidéo et DVD), à Saint-Tropez, dans le Var : né le 3 juillet 1939 (ou 1940), Le Mans (Sarthe) et certainement décédé le 5 février 2024, La date exacte de son décès est encore inconnue, on la situe, à commencer par Wikipédia, autour du 5 et du 11 février 2024, sachant que c’est sa propre famille, il y a quelques jours, qui a annoncé que ce vieux lion de la VHS, bras droit de Belmondo, au sens des affaires redoutable et au génie publicitaire indéniable portant une marque reconnaissable entre mille identifiée par un logo hyperconnu de panthère noire tournant en rond sur du Richard Strauss tonitruant, « la griffe des stars » selon l’intéressé, s’est éteint « la semaine dernière », de « cause naturelle », chez lui à Saint-Trop’, après que la nouvelle a été divulguée, via Var-Matin, le jour même de la Saint-Valentin, à savoir le 14 février dernier (©photos V. D., d’après la presse écrite ou Internet, cliché principal : portrait de René Château, avec un appareil polaroid, boîte magique à souvenirs instantanés, sur le tournage du Guignolo à Venise, octobre 1979. ©Photo Daniel Simon/Gamma-Rapho).

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Le Marginal René Chateau

C’est dingue, on a appris la mort de cet amoureux fou de cinoche populaire, ne jurant que par, comme on dit, les gueules de cinéma, françaises (Fernandel, Bourvil, Gabin, Jouvet, Arletty, Delon, Bébel, Montand, Bardot, etc.) et étrangères (James Dean, John Garfield, Marlon Brando, John Wayne, Orson Welles, Marilyn Monroe, Clark Gable, Errol Flynn, Montgomery Clift, Dean Martin, Elvis Presley, Kirk Douglas, Burt Lancaster, Faye Dunaway, Warren Beatty, Ursula Andress, Bruce Lee, Pam Grier, Barbra Streisand…), le jour même de la fête des amoureux : ce qui était loin d’être un cadeau tout de même - il avait démocratisé, avant l’heure et avec bonheur, le cinéma domestique à la carte, sans être tributaire, à l’époque, de la programmation imposée, et ronronnante, des trois seules chaînes cathodiques du PAF hexagonal ; enfin, à dire vrai, ça dépend pour qui. Car René Chateau, à la personnalité des plus affirmées, c’est le moins que l’on puisse dire (ce qui était néanmoins quelque peu une façade pour se la jouer viril puisqu’il a pu annoncer, dixit sa maîtresse puis compagne Brigitte Lahaie dans les années 1980, ex-star du cinéma X pour qui il écrira et produira Les Prédateurs de la nuit réalisé en 1988 par Jess Franco, qu’il était du signe astrologique Bélier « comme Belmondo » alors qu’il était, en fait, Cancer ! « Si je dis que je suis Cancer, lui a-t-il affirmé sans ciller (cité par Frédéric Bénudis dans un article-fleuve de Vanity Fair très bien renseigné (René Chateau, Le Marginal, juillet 2014), les femmes vont penser que je suis un mou »), s’était créé pas mal d’inimitiés dans le milieu du cinéma, aussi bien chez les professionnels de la profession, pour reprendre la formule culte du franc-tireur Godard, que dans la presse spécialisée de cinéma (la critique ayant pignon sur rue, parfois arrogante et obséquieuse).

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René Chateau chez lui à Saint-Tropez, en 2012. ©PhotoPQR/« Nice-Matin »/Philippe Arnassan

Il faut savoir, qu’en associant rareté, ou rétention, et cherté, il n’accordait par exemple, en étant son partenaire financier, son bouclier humain et son « éminence grise », des apparitions de « son » monstre sacré Belmondo, star absolue de l’époque avec l’animal Delon, qu’au compte-gouttes (raréfiant l’accès aux plateaux de tournage et refusant toute projection presse avant la sortie officielle), Chateau avait vite compris, alors que de nos jours l’espace audiovisuel est, avec une foultitude de supports en tous genres, complètement sursaturé de vedettes d’un jour jetables, qu’il faut se rendre rare pour se faire désirable et… monnayable ; René Chateau, en fin limier, pratiquant à fond la caisse, lui qui aimait tant les bolides (il s’inspirera de l’imagerie pétaradante de Bullitt (1968) avec Steve McQueen pour lancer visuellement Peur sur la ville (1975), avec notamment une affiche marquante, devenue légendaire, où le nom Belmondo, telle une marque (à signaler que l’acteur y pose, beau gosse viril, en col roulé noir avec un holster sous l’épaule, tenue qu’il ne porte absolument pas dans cet excellent polar inquiétant signé Henri Verneuil !), s’inscrit en lettres capitales), ce qu’on appelle, dixit Bertrand Tessier, journaliste-biographe de Bébel, « la stratégie de la raréfaction du produit poussée à l’extrême. Si les gens veulent voir Belmondo, ils doivent payer leur place de cinéma. Tout le contraire d’aujourd’hui où l’on sature l’espace médiatique à chaque sortie de film.  »

Par ailleurs, assez rapidement, toujours dans l’idée d’une détestation (partagée) à l’égard des journalistes qui le lui rendaient bien, et alors même que Chateau, après avoir été successivement carreleur (élève médiocre, il fut pour autant titulaire d’un certificat d’études), photographe puis, plus tard, journaliste tout d’abord au sein d’un fanzine auto-publié, La Méthode, avant d’intégrer l’équipe chapeautée par Jacques Lanzmann (1927-2006), parolier de Dutronc, du magazine masculin Lui en tant que, selon ses termes, « spécialiste des playmates », revue érotique qui lui permettra de rencontrer Bébel de qui il deviendra l’ami et le confident (« sa plus grande histoire sentimentale, dixit Brigitte Lahaie, a été sa longue amitié de dix-huit ans avec Belmondo », puis attaché de presse, publicitaire ainsi que propriétaire de cinémas (cf. les trois salles mythiques du fameux Hollywood Boulevard à Paname, à deux pas du musée Grévin, diffusant en masse du cinéma bis, dont des films de kung-fu et ceux de la Blaxploitation qu’affectionne tant de nos jours le « réalisateur patchwork » Tarantino, cinéma culte hélas définitivement fermé en 1992), commence tout juste à fréquenter le milieu du cinéma, en conseillant Anny Duperey, Godard, Gérard Blain ou encore l’acteur et réalisateur français José Benazeraf (1922-2012).

Celui-ci, surnommé alors carrément « L’Antonioni du porno », choisit en 1966 de lui confier les relations presse pour son polar Du suif chez les dabes, que René Chateau décide de renommer aussitôt Joë Caligula, film jugé avec trop de violence et trop de sexe qui sera interdit par la censure la même année : pratique de changement de titre dont il était coutumier, « parce qu’au niveau des titres, je suis hyperdoué ! », déclarait-il à qui voulait l’entendre, la poursuivant à foison par la suite : avec lui, Comment détruire la réputation du plus grand agent secret du monde deviendra, avec le succès que l’on sait, Le Magnifique (De Broca, 1973), L’Inspecteur de la mer, Flic ou Voyou (Lautner, 1979) puis, Monsieur Alexandre, Stavisky (Alain Resnais, 1974) - ça sonne mieux tout de même, en étant plus percutant, reconnaissons-lui ça !

Même si ce dernier, Stavisky, un bon film pourtant agrégeant deux vedettes (le classieux Belmondo et la sémillante Duperey), échouera, douloureusement pour Bébel, au box-office, insuccès notoire qui le poussera d’ailleurs à privilégier hélas par la suite, dans sa filmographie, les films d’action purement commerciaux au détriment du cinéma d’auteur. Mais la projection du film labellisé Benazeraf, Joë Caligula, est un échec cuisant, suscitant maints rires moqueurs de la part des plumitifs réunis pour l’occasion au point que le cinéaste, piqué au vif, crie à tout rompre sa colère dans la salle, entraînant ainsi la sortie de tout ce petit monde ! De son côté, René Chateau, fort courroucé aussi, a déclaré : « C’est la dernière fois que j’ai fait une projection pour la presse. »

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L’un des plus grands méchants de l’Histoire du cinéma français, un certain Minos (l’Italien Aldaberto Maria Merli), psychopathe et terroriste, dans « Peur sur ville » (1975, Henri Verneuil, score : Ennio Morricone)

Le Masque de fer à la gouaille de titi parisien, sauce Audiard 

La date de sa mort exacte est un mystère, comme d’ailleurs une bonne partie de son existence, traversée par deux ou trois zones d’ombre, dont sa brouille brutale bien connue avec la star Belmondo en 1984 pour différentes raisons, dont celles d’un ego démesuré de René Chateau qui s’attribue alors de trop en interviews, en tant que promoteur zélé, le succès de leurs productions communes puis l’essoufflement avérée des entrées en salle – la lassitude du public pointe - via Les Morfalous (1984) et Joyeuses Pâques (1984), ainsi que sa mise en cause, à tort, dans l’assassinat d’un producteur et distributeur rival, Gérard Lebovici (1932-1984), tous ceux qui l’impliquaient dans cette étrange disparition, dont Jean-Luc Douin du Monde qui publia en 2004 une enquête, Les Jours obscurs de Gérard Lebovici (Stock), le mettant en cause (Chateau obtiendra in fine gain de cause), furent systématiquement poursuivis en diffamation par celui-ci, profondément meurtri, « Cette histoire m’a fait énormément de tort. La calomnie, c’est abominable. C’est du napalm  », son association, aucunement souhaitée, à ce « thriller macabre » en eaux troubles - « Qui a tué Lebovici, l’homme invisible du cinéma français  ? » s’interrogeait à l'époque Libé – l’ayant d’ailleurs peut-être conduit (hypothèse plausible de Bénudis dans Vanity Fair) à un long silence de quarante ans, fuyant, façon Fantomas ou le Masque de fer, personnalité éternellement masquée (continument, « Il porte un masque », précise Brigitte Lahaie), les feux de la rampe, se protégeant résolument.

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Le trépidant Bruce Lee, star du cinéma asiatique, tenant l’affiche au Hollywood Boulevard de René Chateau, dans les années 1970, au mythique 4 boulevard Montmartre, 9ème arrondissement, Paname

René Chateau n’apparaissait plus médiatiquement, traitant ses affaires loin de ses bureaux parisiens en vivant retranché dans son antre de Saint-Tropez – au passage, on peut penser au destin étonnant du producteur américain Howard Hughes (1905-1976), vu dans Aviator (2004, Scorsese), vivant, les dernières années de son existence, totalement reclus, tel un ermite, dans un hôtel de Las Vegas ! Il y a quelques mois, pour la petite histoire, Chateau avait accepté un entretien pour un documentaire sur l’âge d’or de la vidéo à la seule condition de ne pas être filmé, le critique ciné Jean-François Rauger, dans sa nécro pour Le Monde (n°24 611, 17 fév. 2024, p. 23), finissant par ses mots clairvoyants : « Il était devenu une sorte de fantôme, cultivant de cette manière, et une dernière fois, la fascination que son parcours avait engendré. »

Oui, quel parcours détonant que celui-lui de feu René Chateau ! En gros c’était, pour lui, tout sauf redevenir « le petit carreleur de Belleville ». En faits d’armes marquants, on peut bien sûr retenir, selon moi, sa collaboration fructueuse longue durée avec Belmondo, faisant de l’ombre au tempétueux Delon, son règne, en s’imposant alors comme le plus grand distributeur indépendant de films français, sur la cassette VHS pendant deux décennies (années 70 et 80), couplé à la réussite commerciale indéniable de son mythique cinéma populaire Hollywood Boulevard – ouvert en 1973 - dévoilant amoureusement le cinéma de genre, vitrine urbaine flamboyante mettant notamment en avant la star hongkongaise internationale Bruce Lee morte prématurément (1940-1973), petit dragon intrépide roi des arts martiaux cinématographiques qu’avait découvert le producteur, dans une ambiance survoltée au sein de salles projetant ses films lors d’un voyage à Dakar en 1973 (René Chateau détiendra tous les droits de ses longs-métrages à l’exception d’Opération dragon (1973) appartenant, encore aujourd’hui, jalousement à la Warner, « Bruce Lee, dixit Chateau, c’était le Fred Astaire du karaté, c’était extraordinaire la chorégraphie qu’il mettait au point » ; La Fureur du dragon (1972) fera fureur, salle comble, dans son cinoche), puis, last but not least, ses diverses publications, passionnées et passionnantes, notamment sur la fin, sauvegardant la mémoire d’un cinéma populaire, souvent délaissé, ô combien à tort, par les critiques institués et les universitaires.

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René Chateau, devant son ciné à Paris, le Hollywood Boulevard, en 1980. ©Photo Marc Bulka/Gamma-Rapho

Parmi sa pléiade de bouquins aux éditions René Chateau, participant à la redécouverte du patrimoine cinématographique français au même titre que sa collection vidéo attachante La mémoire du cinéma français portée par de belles jaquettes participant pleinement à la vente des K7 VHS et DVD (« J’ai remis à la mode, notait à raison Chateau, les affiches dessinées, sinon ce n’était que des photos  »), comportant tant des classiques que des raretés, on peut particulièrement retenir l'édition en 1995 de son livre bien documenté, comportant moult dialogues impayables (des Tontons Flingueurs à Mélodie en sous-sol en passant par Les Grandes Familles et Cent Mille Dollars au soleil) et textes, interviews et polémiques, sur le scénariste et réalisateur (1920-1985) Michel Audiard (« Vivant, je peux bien être modeste, déclarait-il riant, mais mort, il me paraît naturel qu’on reconnaisse mon génie ! »), Audiard par Audiard (417 pages, énorme succès : 140 000 exemplaires vendus pour la première édition), publication érudite que saluera l’écrivain Frédéric Dard, auteur des San-Antonio (gros succès de l’édition française d’après-guerre), s’adressant directement à René Chateau : « Je vous félicite de ce que vous faites pour le cinéma en général. Ce sont des gens de votre trempe qui le gardent en vie. »

Un René Chateau fort

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Chateau et Bébel, années 1980, période « Le Professionnel » (1981) et « Les Morfalous » (1984)

Puis, si l'on dit Chateau, on pense forcément à Bébel, comédien gouailleur explosif associé de facto, tel un âge d’or commercial du cinéma hexagonal, à son partenaire de choc René, le nom de Chateau, pour les cinoques de cinoche bigger than life, résonnant magiquement comme une madeleine de Proust ; les deux, sur fond de relation virile et fusionnelle, seront longtemps associés, via la fusion médiatisée Cerito Films, la société de production de Belmondo créée en 1971 en hommage au patronyme de sa grand-mère maternelle, & René Chateau. C’était la griffe Belmondo-Chateau, avec une série de films populaires sympas, bien fichus (de prenantes courses-poursuites en voiture et de la baston en veux-tu en voilà !), mâtinant action et humour décontracté agrémenté de panache, la marque de fabrique belmondienne par excellence que même les Ricains nous envient (« Belmondo, signalait Chateau, il a un sens du spectacle, il est extraordinaire »), tels que Flic ou Voyou (1979), Le Guignolo (1980), Le Professionnel (1981, pour l’anecdote, c’est Chateau qui mettra en avant le thème d'Ennio Morricone Chi Mai, composé par le maestro huit ans auparavant, l’extirpant ainsi, avec son flair infaillible – il apportera également sur un plateau le Bonnie and Clyde (1967) d’Arthur Penn à Gainsbourg qui s’en inspirera pour sa chanson éponyme culte avec Bardot ! -, d’un film polonais oublié, Maddalena, avec le succès que l’on sait, la bande originale s’écoulera à plus de 3 millions d’exemplaires ; ce morceau mythique accompagna de manière poignante, en septembre 2021, le cercueil de Bébel aux Invalides), L’As des as (1982) et autres Marginal (1983).

Cette poignée de films attachants s’accompagnant toujours on s’en souvient !, d’affiches plastronnant le nom BELMONDO© en très gros, on ne pouvait pas le louper !, tout en étant toujours superbement dessinées par des as du pinceau et de l’aérographe, tels le peintre et affichiste français Jean Mascii et l’illustrateur italien virtuose Renato Casaro, s’étant taillé pour ce dernier, via ses nombreux posters léchés de Stallone et de Schwarzie, une solide réputation de Vinci virant au peintre pompier célébrant muscles bandés, bronzés et turgescents ! Chose rare, Belmondo himself s’est exprimé sur son tandem payant pendant presque deux décennies avec son pote Chateau, expliquant sa méthode de travail (in Belmondo par Belmondo, Fayard, 2016, p. 153) : « Un homme a pris une place grandissante dans ma vie professionnelle : René Chateau, mon attaché de presse. Mais est-ce que le mot convient ? René aura plutôt été, en quelque sorte, mon conseiller en communication. C’est le début d’une longue amitié entre nous. À partir de Ho ! [1968], je l’impose sur tous mes tournages. René est un homme secret, renfermé. Mais c’est aussi un génie à sa manière […]. Pour moi, il conçoit l’affiche de Peur sur la ville, il passe beaucoup de temps à concevoir les affiches de ses films, dessinées par des artistes, en collectionnant par ailleurs des milliers chez lui et imagine le nom de « Belmondo », sans prénom, en capitales et en caractères gras. Comme pourrait l’être une marque, un logo. Une sorte de petite révolution dans le monde du cinéma ! Nous partageons la même méfiance vis-à-vis des critiques qui, à mon sens, ne reflètent pas l’opinion de l’immense majorité des spectateurs. J’aime être jugé sur pièce. Aussi René me conseille-t-il de ne plus organiser pour les journalistes cinéma de projection privée en avant-première : ils découvrent mes films en même temps que le public. Le choix fait grincer quelques dents, mais je tiens à ce principe. Ensemble, nous allons choisir soigneusement mes apparitions à la télévision et les entretiens que je donne à la presse. » 

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Un excellent mook, truffé d’anecdotes et de clins d’œil savoureux, « Schnock » n°13. La revue des Vieux de 27 à 87 ans, novembre 2014, pour un spécial Jean-Paul Belmondo

En outre, René Chateau… fort, au firmament de son triomphe commercial, tant en salles qu’en édition vidéo, c’est Bébel certes, mais celui-ci n’est pas un arbre qui cache la forêt, qu’elle s’appelle Marie, croisée non sans humour, via un féminisme bienvenu, dans Les Morfalous, ou autres, il y a aussi, on l’a vu, Bruce Lee : à eux deux, malgré leur « B » commun, ils formaient, non pas le gang Barrow, laissons ça au fumant Gainsbarre !, mais le duo virevoltant des champions de la castagne XXL au cinoche, sans oublier les films estampillés Alain Delon, sur fond d’éternelle Parole de flic rivale (en 1985, le guépard se met aussi à jouer les costauds torse nu au teint carotte mais, chut, Ne réveillez pas un flic qui dort !), puis la mise en avant d’autres grandes vedettes baraquées du 7e art du moment, tels Clint Eastwood, Chuck Norris, Kurt Russell et autres Charles Bronson : les affiches promotionnelles et les jaquettes VHS de leurs diverses productions musculeuses, tous y redoublant d’efforts, à la fois doux, durs et dingues, pour bomber le torse, avec une imagerie pop survitaminée certes majoritairement calibrée pour un public masculin, sont redoutablement efficaces !

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Belmondo, « Le Marginal » (1983, Jacques Deray, musique : Ennio Morricone)
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Portrait de René Chateau (1939, Le Mans - 2024, Saint-Tropez), industriel puissant et redouté du 7e art, portant le logo de sa marque. Crédit Gamma-Rapho via Getty Images/©Bernard Charlon

René, menant alors la vie de château (on l’aurait dit éternellement sorti d’une soirée festive d’Eddie Barclay), éditait aussi de nombreux longs-métrages d’horreur devenus cultes avec le temps, comme Zombie (1978) de George Romero, Maniac (1980) de William Lustig ou encore Massacre à la tronçonneuse (1974), au titre programmatique accrocheur, de Tobe Hooper, fleuron bricolé du cinéma d’horreur longtemps interdit en France en salles puis à la télé ; Chateau, stratège averti au nez creux, le sortira directement, pour contourner la loi, en K7 vidéo : trouvaille marketing de génie, portant sur la jaquette l’attirante mention « Les films que vous ne verrez jamais à la télévision  » - ce qui est bien vu, on connaît la chanson, l’interdit, pour un obscur objet, crée le désir ! Son succès, ainsi que l’effet spécial Bruce Lee, feront sa fortune : en fait, c’est grâce à la vente des droits télévisés des Bruce Lee à La Cinq de Berlusconi que René Chateau pourra s’offrir, en châtelain devenu tout-puissant, tant son hôtel particulier parisien que sa séduisante demeure tropézienne : « Ici, c’est la maison de Bruce Lee », aime-t-il dire à l’envi aux quelques visiteurs venant le rencontrer, in situ, dans ce petit port méditerranéen tellement prisé par la jet-set l'été. Et c’est dans cet endroit secret que ce nabab a fini sa vie rocambolesque, à l’ombre des sunlights, pas si éloigné géographiquement, au fond, de la Bardot…

Pour rappel, un mot, très juste, de sa société d'édition de longs-métrages, en apprenant le décès du taulier, roi hexagonal de l’édition vidéo, prospective et rétrospective, en dénichant nombre d’inédits et de perles rares, a fonctionné sur moi avec la force de l’évidence : « La culture cinématographique d'aujourd'hui était le cinéma de divertissement d'hier.  » Eh oui, cinéphilie et goût du spectacle ne sont pas forcément antinomiques, ils forment un tout qu'on appelle la mémoire du cinéma et René Chateau, à sa manière, en était l'un de ses plus fervents représentants. Respect, donc.

Puis, toujours en guise de madeleine proustienne en évoquant l’aventureux René Chateau, tycoon qui a eu mille et une vies professionnelles (successivement carreleur, journaliste, attaché de presse, affichiste, publicitaire, écrivain, distributeur, exploitant de salles, producteur et associé à la vie, à la mort du regretté Belmondo - souhaitons-lui d’ailleurs bon vent là-haut, parmi les étoiles, aux côtés de Marilyn, Bébel et tous les autres), voici ces jolis propos, parfumés d’un brin de nostalgie, du critique ciné Yves Jaeglé commentant, dans Aujourd’hui en France #8120 (jeu. 15 fév. 2024, p. 28, in papier C’était le pape de la cassette vidéo), la disparition du maestro de la vidéo : « Avant les plates-formes, les écrans plats et les ordinateurs, on était bien contents d’avoir une télécommande pour savourer nos premiers films à la demande à la maison. Tout était gros, confortable, ronflant, rassurant et tellement nouveau : l’écran à tube cathodique qui se posait là, la VHS au rectangle massif et le petit bruit quand on la glissait dans le magnétoscope. » Que le spectacle commence, quoi. Diantre, on dirait du Calogero, c’est beau ! Chapeau... Chateau, donc et, s’il vous plaît, sans accent circonflexe. Et ciao, à ce Monsieur Cinéma, à la fois si connu et si sibyllin, qui a nourri au centuple, sans complexe ni morgue, nos imaginaires durant maintes soirées canapé, pendant les années 1980 et suivantes, en famille, entre copains ou en solitaire, avec pour petite amie sa nerveuse panthère noire, si familière, tournant ad libitum dans une cage dorée. 


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4 réactions à cet article    


  • jymb 19 février 15:38

    N’oublions pas les fllms des années 30 à 50 qui nous permettent de revoir l’ambiance des rues et des intérieurs 

    Ma madeleine de RC Vidéo  : Les aventures du roi Pausole de Granowski. A ma connaissance jamais ressorti en DVD 


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 19 février 16:09

      @jymb
      Très juste. Le cinéma peut aussi être un document, le témoin d’une époque, entre madeleine et regard dans le rétroviseur, et René Chateau y a participé grandement. Merci pour ce retour. smiley


    • Gollum Gollum 20 février 08:24

      Personne pour faire l’éloge de Bruce Lee ? 

      Mon héros de mon adolescence. J’avais même acheté un nunchaku, je sais encore m’en servir.. smiley

      Le petit dragon né en 1940 année du dragon de métal. De l’énergie à revendre.

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