1967. Un été brûlant à Rimini...
Assis sur le skaï ridé de son vespa, Emilio engloutit la dernière bouchée de sa piadina encore brûlante. Au loin, il aperçoit Sergio, son frère cadet, virevoltant avec aisance d’un transat à l’autre sur ce bout de plage de Rimini, encore bondé et bruyant à l’heure de l’antipasti.

Depuis ce matin, les gelati Motta sortent de la glacière à un rythme inhabituel.
De son poste d’observation, Emilio observe le manège avec intérêt, à peine distrait par la silhouette élancée d’une nymphette platinée qu’instinctivement, il devine fraîchement débarquée de Cologne ou de Hambourg.
Malgré la petite risée qui balaie la ruelle baignée d’ombre, Emilio ne cesse d’éponger la sueur qui perle sur son front. La piadina, sans doute... quelle idée de commander une piadina par un tel cagnard !
Seul, le moteur de son Vespa semble bénir la risée providentielle.
A deux pas de là, sur l’interminable voie qui borde la plage, le bitume semble fumer au passage des berlines en maraude, à l’affût d’une aléatoire place de parcheggio.
Toutes les dix minutes, un vieux haut-parleur crachotte ses sempiternelles recommandations à l’endroit des parents qu’une sieste inopinée pourrait avoir distrait. Entre deux, une ritournelle idiote qui fleure bon la plage et l’ambre solaire pénètre insidieusement votre encéphale ...
"Tout ce bazar pour une malheureuse chaise longue sous parasol" déplore Emilio en son fors intérieur.
Sergio lui, semble se jouer de la chaleur, tout à son bonheur de la juteuse recette que le renflement prometteur de la poche de son short lui laisse entrevoir.
"Faut être jeune pour travailler à la sauvette sous un plomb pareil" lâche Emilio à l’adresse du vieil Alfrefo, portier d’hôtel à ses heures et client régulier de la petite trattoria devant laquelle il aime à déployer, à la même heure, la béquille de son Vespa.
Non loin de l’hôtel Caesar, quelque part sur la Viale Régina Elena, un groupe de jeunes gens fait pétarader une rutilante Moto Guzzi, cherchant à détourner l’attention de quelques jolis minois, plus en quête de chaises longues vacantes que de tendres amours.
C’est là, tard dans l’après-midi, qu’Emilio ira retrouver ses quatre cents chaises longues et presque autant de parasols, qu’il lui faudra replier avec soin et remiser au cordeau derrière la Cantinetta.
Ce coin, Emilio l’affectionne tout particulièrement. L’endroit est bien fréquenté, notamment par les pimpantes milanaises et les blondes nordiques. Le genre de ragazze qui semblent n’être venues sur cette plage que pour voir et être vues, et parfois plus... si affinités.
L’hôtel Caesar, Emilio l’a vu s’élever alors qu’il était encore minot. Un établissement moderne, presque poussé sur le sable, tout de béton et, comme dit le dépliant, tout confort et avec des balcons donnant tous sur le front de mer.
Une clientèle plutôt aisée, pas chiche sur le pourboire et qui, sitôt extirpée du taxi, s’adonne à ce à quoi elle a rêvé toute l’année durant : trois semaines de farniente sur un transat face à la mer ou devant la piscine, avec Gelati Motta d’heure en heure.
Rien à voir avec ces chichiteurs, habillés de soie blanche, amateurs de cuisine romagnole qui ne fréquentent que le vieux port à l’heure de la criée, la fontaine Pigna ou les boutiques huppées de Riccione, à 10 kilomètres de là.
Non, des gens tout simples, qui n’aiment rien tant que les plages noires de monde, bruissantes et joyeuses. Des gens ordinaires qui préfèrent le Gelati Motta au Sorbetti di frutta fresca con gelati al melone.
De part et d’autre de cette bande de sable longue de 135 kilomètres, la plage se couvre chaque été d’un million de parasols et autant de chaises longues.
Une génération d’Emilio et de Sergio ont servi des millions de touristes. Certains s’en souviennent, d’autres pas...
Aujourd’hui, Sergio vit toujours à Rimini. Patron d‘un petit Hôtel sur le front de mer, il doit sa réussite à un labeur acharné.
Emilio laura lui 65 ans demain. Marié et retraité de l’industrie, il vit à Bologne et ses deux filles sont ce qu’il a de plus cher au monde.
Comme chaque fois qu’il revient à Rimini, il ne peut s’empêcher de fredonner cet air idiot....zoubizou bizou.....zoubizou bizou
Il est vrai que si Emilio ressent parfois une pointe d’amertume à la vue du bétonnage incessant, il voit aussi que sa ville a gardé malgré tout son aspect élégant, un brin intemporel. D’ailleurs, la mer bleue qui souligne les côtes de Rimini est toujours là, comme hier.
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