« Un privé à Babylone », de Richard Brautigan
Un privé à Babylone, de l’Américain Richard Brautigan, c’est l’histoire d’un gars du XXe siècle. Il est tout seul et ne se débrouille pas bien.
Ni dans sa carrière ni dans sa vie. De temps en temps, il rencontre d’autres gars tout seuls, qui se débrouillent juste un peu mieux que lui. Alors, ils parlent pour ne pas dire grand-chose, ils jouent les durs, mais personne n’y croit. Ils font les fiers, mais ils ont froid. Puis chacun retourne dans son coin.
Des femmes ? Il y en a, oui, quelques-unes : la mère du "héros", emmerdeuse triste et attachante ; il y a une pute très belle et morte, dans un tiroir de la morgue ; il y a la cliente du détective, très belle et très inaccessible aussi, et qui marche comme un homme, et qui boit de la bière, beaucoup de bière, comme un vrai trou ; il y a enfin Nana-Dirat, secrétaire du privé à Babylone, très très belle (décidément !) et très gentille, mais elle a un problème : elle vit 500 ans avant Jésus, et seulement dans les rêves du héros. Bref, le privé de Brautigan a beaucoup de mal : avec les femmes, comme avec lui-même, comme avec la réalité, comme avec la vie en général.
Tous les bouquins de Brautigan (parus en poche chez 10/18) sont peuplés de gens tout seuls qui ont du mal. Cela pourrait être triste, mais ça ne l’est pas, ou alors doucement. En plus, c’est drôle et tendre, doucement aussi, par la grâce d’un style, par la grâce d’un ton. C’est aussi plein de bons mots, genre : "Je n’avais jamais de ma vie vu un verre de bière avoir si vite l’air si vide." Brautigan est en fait un poète, pas du tout hermétique : "J’ai mis la main dans ma poche très lentement, et j’ai sorti l’argent. Ca faisait un joli petit rouleau : quelques rêves." Mais Brautigan est mort, il y a déjà plus de vingt ans. Dommage : c’était un écrivain très humain, et il aurait sans doute écrit des choses importantes sur notre époque qui se cherche (et se trouvera peut-être). Il n’y a pas que le réchauffement climatique, dans la vie : il y a aussi la chaleur humaine.
C’est bien d’humanité que cause le sensible Brautigan. C’est de ça également que causent deux écrivains de sa "famille" : un autre Américain mort, John Fante ; un Français contemporain, Philippe Djian. Dans un de ses livres, Djian évoque d’ailleurs Brautigan. La nouvelle de sa mort le terrasse : "Brautigan, une des bonnes raisons d’aimer la vie", écrit Djian. Il écrit ça dans Crocodiles, un vieux recueil de nouvelles, paru en poche chez J’ai lu. "Crocodile : animal sensible, mais qui a la peau dure", définit Djian dans un exergue. Il pourrait tout aussi bien inverser : "Crocodile : animal qui a la peau dure, mais qui est sensible." Djian, Fante, Brautigan sont trois crocos qui versent des larmes belles comme des diamants.
Johan Rinchart
Richard Brautigan, Un privé à Babylone, 10/18, env. 7 euros.
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