« Waltzing Matilda » ou l’enfer des Dardanelles
« And The Band Played Waltzing Matilda » Cette très belle et très émouvante chanson a été écrite en 1972 par Eric Bogle en hommage aux héros australiens de la sanglante bataille de Gallipoli (1915). Bien d’autres chansons, françaises ou étrangères, ont décrit l’absurdité de la guerre et les souffrances qu’elle engendre. Rares sont celles qui touchent aussi juste et atteignent un tel niveau d’émotion, une telle force de dénonciation de la guerre.

Tout commence à la fin du 19e siècle. Matilda était alors le nom d’une simple… couverture de laine. Celle dans laquelle s’enveloppaient la nuit les swagmen, ces journaliers itinérants allant de ferme en ferme, ici pour garder un troupeau, là pour tondre les brebis, au gré des besoins. C’est la triste fin de l’un de ces swagmen – dont la matilda, accrochée au baluchon, se balance en évoquant une sorte de danse – que raconte Waltzing Matilda. Écrite en deux temps, par Banjo Patterson en 1895 pour les paroles, et par Marie Cowan en 1903 pour sa musique définitive, cette chanson est devenue au fil du temps si populaire au pays des kangourous qu’elle a désormais rang d’hymne, pratiquement à légal de Advance Australia Fair*, l’hymne officiel australien.
Né à Peebles en Écosse, Eric Bogle émigre vers l’Australie en 1969. Il s’imprègne profondément de la culture locale et se montre particulièrement impressionné par les épopées héroïques de tous ces braves gars anonymes partis à l’autre bout du monde en 1915 verser le sang australien sur les sols d’Europe et d’Asie mineure pour combattre les impérialistes allemands et leurs alliés turcs. Un engagement symbolisé par la terrible bataille de Gallipoli engagée le 25 avril à Suvla Bay et Anzac Cove** contre les forces de Mustapha Kemal pour s’assurer le contrôle des Dardanelles et permettre ainsi la jonction des armées franco-britanniques et russes. C’est en 1972, l’année de son mariage à Canberra avec Carmel Sutton, qu’Eric Bogle, inspiré par sa révolte contre le vain sacrifice de milliers d’Australiens et de Néo-zélandais dans cette bataille, écrit la chanson qui va lui assurer une renommée internationale et la reconnaissance du peuple australien : And The Band Played Waltzing Matilda.
On retrouve le swagman dans cette œuvre poignante d’un bout à l’autre. Comme dans le modèle, elle met en scène un insouciant chemineau qui va sur les routes porteur d’un baluchon auquel est attachée la fameuse waltzing matilda. Enrôlé de force, casqué et armé, il embarque sur un navire de guerre pour la péninsule de Gallipoli dans la lointaine Turquie. Suit un débarquement désastreux au cours duquel les boys australiens sont décimés par les Turcs (I remember that terrible day when our blood stained the sand and the water, and how, in that hell they call Suvla Bay, we were butchered like lambs at the slaughter). De terribles combats prolongent ce débarquement les semaines suivantes. Jusqu’au jour funeste où notre héros se réveille à l’hôpital, amputé des deux jambes, et comprend qu’il ne retrouvera jamais sa liberté d’antan (Oh, no more I’ll go Waltzing Matilda all around the green bush). Regroupés, « les sans-bras, les sans-jambes, les aveugles, les malades » sont rapatriés vers l’Australie. En arrivant à quai, notre homme se félicite que, dans son état, nul proche ne soit là pour l’accueillir (I looked at the place where me legs used to be, and thank Christ there was no one there waiting for me to grieve and to mourn and to pity). Devenu un vieillard, assis devant sa maison, il voit chaque année en avril défiler fièrement ses anciens camarades de combat. « Pourquoi marchent-ils ? » demandent les jeunes. Le vieil homme se pose la même question. La fin de la chanson est une reprise du Waltzing Matilda de Marie Cowan, assortie d’une autre question, elle aussi sans réponse : « Qui reprendra le chemin en ma compagnie ? » (Who’ll come a-Waltzing Matilda with me ?***)
Je ne sais pas si cette chanson en forme de témoignage, aussi émouvante soit-elle, parle au plus grand nombre, et notamment aux jeunes qui n’ont évidemment pas connu de guerre ni même, pour beaucoup d’entre eux, de parents ayant combattu. And The Band Played Waltzing Matilda est pourtant très réaliste, et tellement proche de ce qu’ont ressenti les soldats engagés dans de si terrifiants combats. Des gens simples la plupart du temps, tel mon grand-père, arraché à sa terre d’Auvergne en compagnie de milliers d’autres paysans pour aller défendre une cause qui les dépassait dans l’enfer de Verdun ou les bourbiers du Chemin des Dames. Je n’ai vu pleurer mon grand-père qu’une seule fois, peu de temps avant sa mort : j’étais allé à Verdun et je lui en avais ramené une photo de la plaque commémorative du fort de Vaux où il avait vu tomber la plupart de ses compagnons. Nul doute que l’écoute de cette chanson lui aurait valu de pleurer une deuxième fois s’il n’était décédé quelques mois trop tôt...
And The Band Played Waltzing Matilda a donné lieu à de nombreuses interprétations. J’en ai retenu quatre dont voici les liens :
1) celle des Dubliners, la plus belle à mes oreilles, servie par l’extraordinaire voix de Ronnie Drew
2) celle des Pogues, très émouvante, chantée par l’imprévisible Shane Mc Gowan
3) celle de Eric Bogle, son talentueux créateur
4) celle de Joan Baez, la reine de la folk-music
Autres liens :
Waltzing Matilda par Rolf Harris, précédée d’un commentaire didactique
Paroles de And The Band Played Waltzing Matilda
La bataille des Dardanelles a donné lieu à deux films :
Gallipoli de Peter Weir en 1981
Gallipoli de Tolga Örnek en 2005
* Advance Australia Fair est devenu l’hymne officiel après qu’un plébiscite, organisé en 1977, l’ait placé (43,6 % des voix) devant Waltzing Matilda (28,5 %) et God Save The Queen (18,7 %).
** Dans sa chanson, Eric Bogle situe le débarquement de l’ANZAC (Australian and Neo-Zeland Army Corps) à Suvla Bay. Il s’agit là d’une erreur bénigne, les forces venues d’Océanie ayant débarqué dans une anse voisine rebaptisée Anzac Cove. Ce sont les Britanniques qui ont débarqué à Suvla Bay. Le débarquement de l’ANZAC est commémoré chaque 25 avril (ANZAC Day) en Australie et en Nouvelle-Zélande ainsi que dans les Samoa et les Tonga.
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