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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Zoé Valdés « Desirée Fe » « l’innocente pornographe »

Zoé Valdés « Desirée Fe » « l’innocente pornographe »

Zoé Valdès {JPEG}

Zoé Valdès est la grande écrivaine cubaine traduite dans le monde entier, exilée depuis 1995. En France avec sa famille proche, sa fille. Dans les années 80, Zoé Valdés avait fait partie de la délégation cubaine à l'UNESCO à Paris, avant la publication de son roman "Le Néant quotidien" qui la fait basculer dans l'opposition au castrisme et dans la détestation du régime. Romancière, poétesse, scénariste, elle a écrit plus de 30 livres voguant entre la nostalgie, la rage, la tristesse et les parfums et les sons de son île natale. "Avec la peur de perdre un moment important de la vie et la volonté d'arracher le meilleur". Livres écrits en langue espagnole puis traduits en langue française.

Dans "La Havane mon amour", c'était sa jeunesse, son adolescence, sa vie de femme qu'elle racontait, nous entrainant avec elle dans sa ville, avec ses aventures, ses lectures, ses fantômes : "La Havane est devenue ma mère, une mère lointaine et à jamais regrettée".

Dans son dernier roman "Desirée Fe" ou "l'innocente pornographe", c'est l'histoire d'une gamine de 16 ans qu'elle nous raconte. "L'histoire est assez simple", nous dit-elle, "l'amour et le désir y ont une place essentielle au même titre que la liberté et que la vie, car la narratrice est une jeune fille ; elle s'éveille à la sexualité et au véritable amour. Elle brûle de découvrir ce que l'être humain a de plus précieux, la liberté absolue". "On a choisi de m'appeler Desirée Fe parce que ma grand-mère, qui se prénommait Fe était amie avec une certaine Desirée, une femme noire d'origine jamaïcaine". En la voyant on ne peut naturellement s'empêcher de penser à Zoé Valdés adolescente, qui disait dans "La Havane mon amour" : " je suis devenue une callejera une traine-la-rue...j'étais une fille et je pouvais être aussi un garçon".

Cette gamine vit dans le Cuba castriste de 1978 avec "les vêtements que nous ne pourrons jamais avoir, la musique que nous n'aurons jamais le droit d'écouter, les concerts des Rolling Stones auxquels nous ne pourrons jamais assister. Des frustrations et encore des frustrations". Avec cette serveuse qui confie :"ici tout doit être réparti à parts égales parmi la population ( oui, surtout la pénurie et la pauvreté".

Cette gamine est dès le départ au contact de l'amour physique : "je n'étais pas encore née quand j'ai eu le pressentiment que mes parents étaient en train de faire l'amour". "A force de pénétrer ma mère, sans compassion aucune, mon père avait fini par la déchirer, par lui faire perdre les eaux".

Zoé Valdés en exergue de son livre nous laisse méditer sur cette phrase de Guillermo Cabrera Infante :" la pornographie est un art innocent qui n'est absolument pas conscient". Il y a du Rabelais dans la prose de Zoé Valdès ( il est d'ailleurs un de ses auteurs préférés). Et les descriptions charnelles, sexuelles, sont nombreuses dans le roman : " je porte à mon oreille le lourd écouteur en bakélite. Il dégage une forte odeur de sexe féminin. Ma mère est persuadée qu'Inès se branle avec son téléphone". Ou encore :"je sens battre son sexe épais, tout près de mon clitoris, mais à l'intérieur... il est en moi et me remplit tout entière, frottant de son archet la corde du plaisir".

Mais comme nous le dit Zoé Valdés, ce n'est pas l'amour qui est vulgaire, c'est le régime qui impose les films de la Tchécoslovaquie communiste... "les eaux de cologne soviétiques" qui" se distinguent par leur aigreur pestilentielle"..."les affreux soutiens-gorge que l'on obtient en cochant une case sur le carnet de rationnement"..."la montre soviétique un peu moins grippée"..."l'huile de bronzage, de l'huile de cuisine mélangée avec de la teinture d'iode"..."le Moscu Rojo le parfum de sortie qui pue à faire tomber les mouches".

Mais c'est surtout ce que le régime impose à l'intelligence de chacun qui est d'une insupportable vulgarité : "la vérité c'est rien, c'est zéro dans ce pays"."La société dans laquelle j'ai grandi avait fait du communisme sa religion suprême". A l'école "on nous bourre essentiellement le crâne de saloperies politiques".

Dans une boite de nuit où elle va avec sa copine Luisa,"ils passent par erreur du Kino Moran un chanteur exilé ou emprisonné". Sa mère "ils l'obligent à aller travailler à la campagne, pour récolter du café, des tomates ou pour faire je ne sais quelle connerie sortie tout droit de l'esprit taré des communistes". "Le lundi" est "jour doublement ouvré où l'entrainement militaire s'ajoute au travail habituel". L'amant de Desirée, son grand amour, Otto, "a été viré de l'université "sous prétexte qu'il est" anti-social, une vermine un gusano". Il n'a " pas signé d'engagement militaire". Il a eu "quelques désaccords avec le principal dirigeant de l'Union des Jeunes Communistes de sa classe". Il n'a "pas envie d'être arrêté à cause de la loi anti-paresse". A la "Moderna Poesia" rue Obispo, même là, les bons livres commencent à se faire rares, cédant le pas aux pamphlets et aux autres ouvrages d'endoctrinement... tas d'ouvrages aussi inutiles que rasoir (publiés par le gouvernement)". Le libraire d'ailleurs se pendra. Désirée fait une constatation quand il s'agit de choisir sa voie après le baccalauréat : "les filières qui m'intéressent sont toutes réservées aux enfants de dirigeants". Et que dire des "familles pauvres qui rêvent d'aller au parc Lénine parce que l'on peut acheter... du fromage à tartiner, des barres chocolatées. Ensuite on peut revendre ces produits en ville... au marché noir".

Et au milieu de tout cela, la jeunesse du pays se fraye son chemin dans les amours adolescentes qu'on rencontre sous toutes les latitudes. Desirée Fe le constate : "je savais bien que j'allais devoir grandir...vers l'inévitable déclin que suppose la vie et ses aléas". Car, comme l'écrit madame de Staël :" l'amour est l'histoire de la vie des femmes, c'est un épisode de la vie des hommes". La mère de Désirée la met en garde "contre les hommes qui n'ont aucun scrupule à déflorer les jeunes filles". Roman à qui elle prête ses cahiers pour rattraper les cours, qu'elle aime, ne veut pas aller jusqu'au bout avec elle : "on se roulait des galoches comme on dit vulgairement". "Je suis sa vierge intouchable". Mais elle apprend tardivement que Claudia est enceinte de lui et Desirée s'emporte : " qu'il aille changer les couches. J'ai 16 ans et la vie devant moi. Je ne vais pas gâcher mon temps à pleurer pour ce menteur, cette petite merde". Avant d'apprendre la trahison elle faisait montre de jalousie : "la détective qui sommeille en moi s'éveille". "Même si je suis encore très jeune,... j'ai par dessus tout tendance à avoir confiance en toute chose et en tout le monde". Et alors qu'elle a rencontré celui qui va être la pièce centrale du livre, Otto, qu'elle se "donne" à lui sans savoir l'inconduite de Roman : "Roman , il est si fidèle, et il tient tellement à ce que je le sois, moi aussi. Et dire que je l'ai trompé ; mon Dieu je l'ai trompé".

Les jeunes cubains essaient de vivre, de s'amuser en s'organisant des fêtes clandestines : "plus le toit de l'immeuble est haut, plus la musique est réglée bas et mieux c'est". "Sur cette île de malheur". Depuis sa mère ( "ah la psychologie des adolescentes avec leur mère ! Je suis passée maitre en matière de manipulation") jusqu'aux CDR ces comités de défense de la révolution, Desirée est toujours obligée de composer : "le mieux pour nous, c'est encore de profiter du peu qui nous reste : nos corps, la nudité, la jouissance, le paysage".

Zoé Valdès est incomparable dans sa description olfactive et visuelle de La Havane et de ses environs : "depuis la baie de La Havane, un parfum de goudron", avec "cette brise havanaise qui sent le goudron et l'anis et le miel, par moments le caramel aussi", avec" la fournaise qui assaille les murs tout effrités des constructions mal blanchies à la chaux", avec "l'orvallo cette pluie qui ressemble à des fils de soie", avec le Malecon ce front de mer de promenades au soleil couchant : "je suis même allée jusqu'à me baigner en plein Malecon, avec les gamins de mon quartier". "Quand je suis sur la plage c'est comme si l'océan me désirait, on dirait qu'il réclame mon corps et moi je brûle d'envie qu'il m'entraine jusqu'au fonds". Desirée Fe aime aussi "dormir toute nue, bercée par le son de la pluie et par la fraicheur qui se glisse à travers les persiennes".

Nous arrêterons là, au moment de la grande crise migratoire de Mariel en avril 1990 qui vit des milliers de cubains s'enfuir du pays. Pour ne pas dévoiler la fin du roman qui en vaut la peine...Celle qui, à chaque rencontre nous répète : "je ne rentrerai à Cuba que lorsque la démocratie sera en place", remercie en dernière page du livre les lecteurs : "ils savent, ils ont compris à travers mon travail, l'importance que j'accorde au sexe, au corps et au désir dans mes écrits. Et çà ne changera jamais".

 


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12 réactions à cet article    


  • V_Parlier V_Parlier 3 octobre 2018 15:03

    Plus j’entends les bobos libéro-libidineux critiquer le régime castriste de cette manière, plus ces tristes sires vont faire éprouver une certaine sympathie envers ce régime à un réac-droitard comme moi. smiley


    • Dom66 Dom66 3 octobre 2018 22:39

      @V_Parlier
       smiley  smiley


    • Paul Leleu 4 octobre 2018 02:06

      @V_Parlier


      tous les régimes communistes ont lutté contre la pornographie, la drogue et la prostitution. C’est même en partie ce « puritanisme » qui les a rendu populaires auprès de la population. URSS, Chine, Viet-Nam, Corée, Cuba, etc. etc. Avant Castro, Cuba était « le bordel de l’amérique ». (il faut comparer Cuba à sa voisine Haïti, pour voir le chemin parcouru malgré l’embargo). 

      L’oligarchie n’en a rien à foutre de notre bonheur, de notre plaisir, et de notre liberté. La « liberté sexuelle » n’est absoluement pas destinée à notre épanouissement ! La liberté sexuelle a pour but d’atomiser l’individu dans la société, et de le soumettre totalement. Et ça fonctionne très bien. Une fois que le prolo ou la prolotte s’est éclaté quelques années, les réalités lui reviennent vite dans la face, mais c’est trop tard. Donc, c’est peu couteux et très efficace. 

      Ce genre de romans pseudo-libertins ont pour but de ringardiser toute réflexion et toute émancipation politique chez les citoyens. Ca marche très bien. Vous n’imaginez pas que les capitalistes ont libéralisé le porno pour libérer les peuples ? (accessoirement, ça fait un marché « juteux » de plus). 

    • V_Parlier V_Parlier 4 octobre 2018 09:31

      @Paul Leleu
      Ringardiser toute réflexion politique, c’est le but en effet. On voit la fuite en avant que font nos gouvernements successifs avec la mise au premier plan des sujets sociétaux à connotation sexuelle (en s’emmêlant parfois les pieds avec le féminisme de façade), c’est clair. Ca donne en plus une « raison » de nous « prouver » qu’on est plus libre ici que chez les méchants...


    • Paul Leleu 5 octobre 2018 21:21

      @V_Parlier


      oui... quand on voit les files d’attente des jeunes après la mort de Catro, je crois qu’il était aimé... je suis dubtatif sur le nombre réel de ces « jeunes cubains » dont l’alpha et l’oméga de l’existance c’est de « faire la fête »... un concept parfaitement con et éphémère, qui caricature les aspirations de la jeunesse. 

      Je propose à l’auteure de cette sous-littérature d’aller faire un petit tour à Haiti pour comparer la situation avec Cuba... Cuba sans socialisme ne ressemblera pas à Hollywood mais à Port-aux-Princes... ça donne à réfléchir... 

      56% des ex-soviétiques regrettent l’URSS dans un sondage de 2015. Et j’en connais quelques uns personnellement (russes, caucasiens, tadjik, ouzbek, est-allemands, lituanien). Dans le lot, il y en a même de droite. Mais ils savent très bien que les gens cultivés et ordinaires n’ont rien gagné. Bien-sûr, leur avis est nuancé (et parfois contradictoire), mais ils te lâchent ouvertement des perles de politiquement incorrect ! 

    • Dom66 Dom66 7 octobre 2018 12:21

      @Paul Leleu

      Bonjour,

      Je suis à 100 % en accord avec vous, l’exemple que vous citez est très bon et à la suite je je donne un autre exemple.

      « Je propose à l’auteure de cette sous-littérature d’aller faire un petit tour à Haiti pour comparer la situation avec Cuba.. » Là c’est ce qu’il fallait écrie

      Cuba : écoles..nombreuses…..Facs (Médecines et autres)...complexes sportif…….etc... Aide médicale et militaire à de nombreux pays


      Donc un autre exemple. Avant de détruire la Libye, de Kadhafi ( je n’ai jamais été un admirateur de ce gugus, mais j’ai connu ce pays avant « notre aide ») écoles et étude gratuites pour tous, Facs toutes spé..infrastructure moderne...un des pays le plus en avance de l’Afrique….A ce jour nous (L’OTAN) nous les avons fait évoluer


    • ticotico ticotico 23 octobre 2018 16:02

      @Paul Leleu

      « je suis dubtatif sur le nombre réel de ces « jeunes cubains » dont l’alpha et l’oméga de l’existance c’est de « faire la fête »... un concept parfaitement con et éphémère... »

      Je confirme, non seulement les jeunes cubains font la fête dès qu’ils le peuvent mais encore, ils savent la faire bien mieux que les jeunes français. Moins d’alcool et de pétards et plus de danse et de participation collective... Quand ils grandissent., ils ne perdent pas le goût de la fête, voir une mamie de 70 ans boire un coup et danser est normal.

      Il y a une expression cubaine « se formo » qui signifie « ça a pris », l’ambiance de fête a monté telle une mayonnaise...

      D’ailleurs, l’état n’est pas contre : il y a des cours de salsa en classe dès le primaire.

      En ce qui concerne Zoé Valdès, je n’ai aucun avis sur ce livre que je n’ai pas lu. J’avais trouvé excellents ses deux premiers romans mais j’ai laissé tomber les suivants. Je pense qu’elle a adopté la vision étroite de la pire frange de l’exil cubano américain. Elle me paraît poursuivre une opération continue de recyclage de ses souvenirs de jeunesse, comme si sa vie s’était arrêtée à son départ de Cuba.

      En ce qui concerne les comparaisons avec les pays voisins, Haïti ne me paraît pas très pertinent, ce que je redoute pour l’après castrisme, c’est ce qu’on voit au Salvador ou au Honduras, pays bien plus proches culturellement.


    • Decouz 3 octobre 2018 19:29

      Zoe Valdès c’est Rabelais mis au goût du jour et à la sauce féminine.


      • Decouz 3 octobre 2018 19:31

        @Decouz
        féminine et hispano/cubaine.


      • Désintox JPB73 4 octobre 2018 18:11

        Zoé Valdes est une écrivaine de très grand talent. C’est bien qu’un article d’Agoravox lui rende hommage et la fasse connaître.


        • Paul Leleu 5 octobre 2018 21:28

          @JPB73


          Zoé Valdes est juste une agent anti-castriste primaire... une privilégiée qui gagne des sommes folles en crachant sur son peuple... Sa « nostalgie » est un mensonge : combien parmi les ex-dissidents soviétiques sont retournés vivre au pays après sa « libération » ? Aucun !! Ils ont tous engraissé à l’ouest, et ont laissé leur peuple ramasser les pots cassés. 

          Si Cuba n’a plus le socialisme, elle ressemblera à Haïti... faut pas rêver ! Ce sera pas Hollywood ! Les jeunes cubaines pourront aller se prostituer auprès des ONG pour un paquet de riz... et pour la « fête », ils pourront jouir des narcotrafics et des armes à feu, comme dans le reste de l’Amérique latine, où cette dame n’a jamais du foutre les pieds en réel... je vous conseille un petit voyage en amérique centrale, pour vous faire une idée des « jeunes » et de « la fête »... ça vous mettra du plomb dans la cervelle. 

          De longues files de jeunes gens ont rendu hommage à Castro après sa mort, car il est populaire. Le « rêve des jeunes » c’est pas de « faire la fête », ce concept con et éphémère. Madame Valdes carricature la jeunesse, qui a d’autre rêves, ne lui en déplaise. 



        • Désintox JPB73 7 octobre 2018 19:07

          @Paul Leleu


          Ma remarque sur Zoé Valdes n’a rien de politique. J’ai grand plaisir à lire ses romans, même si je n’en approuve pas l’idéologie.

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