Corvée de pluches …
Passage de témoin

Et la plonge en prime.
Cette fois, la retraite est au rendez-vous et ses immenses surprises. Me voilà bénévole d'une association caritative qui, en autres activités, propose des repas pour les personnes en grande difficulté ; qu'importe les raisons et leurs origines. Je me présentai ce lundi matin avec mon petit couteau à pluches, mon bulletin d'adhésion dûment rempli et mon tablier de cuisine.
Après les présentations d'usage, bien trop rapides, hélas, pour que je puisse retenir au terme de cette première journée, le moindre prénom, je passai d'entrée de jeu au stand épluchage. J'avoue une certaine dextérité dans cette activité qui m'est habituelle, ne pratiquant au quotidien que l'achat de légumes frais. Je me mis à l'ouvrage, bientôt rejoint par trois personnes, employées par l'association sur des emplois de solidarité.
J'étais sous le charme de la langue slave avec laquelle ces dames se racontaient leurs péripéties du weekend. La plus à l'aise en français crut bon de m'expliquer le contexte afin de justifier leurs éclats de rire. Je ne me faisais guère de souci : j'imaginais aisément que je n'étais pas le sujet de leur hilarité. J'appris ainsi qu'elles étaient russes.
Une heure durant nous pelâmes des carottes, arrivées jusqu'ici dans le cadre des dons de la banque alimentaire. Elles étaient un peu noires : des marques indélébiles qui les rendent impropres à l'achat pour des consommateurs si prompts à juger le légume à sa seule apparence extérieure. Une fois retirée cette peau tachée, les carottes avaient belle allure, je peux vous l'assurer.
Je m'amusais de voir mes voisines user d'outils auxquels, jamais, je n'aurais assigné cette tâche. Si mon interprète travaillait avec un épluche-légume à l'usage délicat, bien différent de l'économe qui me permettait de remplir ma mission, ses amies avaient en main ce qu'on peut qualifier de couteau de boucherie. Comme elles parlaient avec les mains, il y avait parfois quelques risques à se trouver au côté de ces dames …
Puis, nous taillâmes des oignons, des courgettes qui perdirent leur peau pour les mêmes raisons esthétiques, des radis qui furent découpés en rondelles et des tomates. Nous travaillions sans trop savoir quel était le menu ; la cuisinière donnait ses directives au coup par coup, c'est du moins l'impression que j'avais.
Il y avait foule en cuisine, une vraie ruche. Je peinais à repérer qui était bénévole qui était employé dans cette vaste organisation qui vise à faire des rebuts de notre société de l'excès, un repas digne de ce nom pour les exclus de la galette. J'avoue même que les parfums qui sortaient des gamelles éveillaient mon appétit.
Le repas prenait forme, d'autres équipes préparaient le dessert : mousse au chocolat et salade de fruits : autant de produits qui atteignaient la date limite de vente mais qui étaient parfaitement comestibles. Notre monde des normes et du principe de précaution pousse au gaspillage. Ici, au moins, il y a un endroit qui donne une seconde vie aux produits oubliés.
Ce fut alors l'heure de la livraison de la banque alimentaire. Deux camions, chargés de toutes sortes de victuailles : des fruits, des légumes, des conserves, des plats cuisinés dont le crime est d'approcher de la date limite ou bien d'avoir quelques petits défauts d'apparence. Nous marchons sur la tête quand tant de gens manquent de tout ; mais ce sont sans doute les charmes du capitalisme : ce merveilleux système qui pousse à mettre sur le bas-côté ce qui a mauvaise mine.
Puis les bénévoles se mirent à table avant l'arrivée des bénéficiaires. Le repas était fort convenable et très diversifié. Chacun composant son menu en fonction de ce qui était proposé, dans le respect des pratiques religieuses. J'écoutais les conversations ; les bénévoles se retrouvaient après la période estivale pendant laquelle d'autres équipes avaient pris le relais. Parmi les sujets de ces conversations : la nécessité ou non de se retrouver pour une réunion mensuelle. Ici aussi, la crainte de la concertation superfétatoire inquiète le plus grand nombre.
L'heure pourtant n'était plus aux palabres. Les convives arrivaient. Durant deux heures, ceux qui n'ont pas de quoi manger chez eux sont venus se restaurer. Ambiance calme, propos feutrés, des solitudes qui s'interdisent parfois d'aller vers les autres, des langues différentes, des âges d'une grande amplitude. Rien ne différait d'une cantine d'entreprise si ce n'est que les clients pouvaient partir avec des produits proposés parmi les surplus du jour.
Je passai à la plonge : une vieille activité à laquelle je m'étais autrefois livré dans les centres de vacances. J'avoue que je fus surpris par l'organisation de l'endroit et proposai quelques adaptations pour que le rendement soit meilleur. Si je ne suis pas un adepte des théories du taylorisme, il me semblait nécessaire d'apporter mon grain de sel à la mission qu'on m'avait confiée.
Deux heures durant, ce fut un ballet incessant de plateaux, de déchets à trier, de couverts à mettre à tremper, de verre et de bols. Les plateaux sont en aluminium et remplacent l'assiette. Leur vidage est une véritable difficulté, malgré la bonne volonté de la plupart des bénéficiaires, ils ne disposent pas de l'outil adéquat pour aider le service. Je fis part de cette remarque au directeur ; quand on arrive avec un regard neuf, on aperçoit parfois la poutre qu'on a dans l'œil.
Ma journée se terminait. J'avais passé cinq heures à m'activer. Je pouvais enchaîner sur ma seconde activité en ce lieu : animer un atelier d'écriture. Je vous en dirai plus une autre fois : il faut que cela se mette en place. Ne brûlons pas les étapes. La retraite, ce n'est pas de tout repos !
Bénévolement leur.
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