La curieuse destinée d’un gland
Où va-t-il pêcher tout ça ?
Il était un gland tombé innocemment sur le sol dans l'espoir d'un avenir radieux. Il confia son sort à la destinée comme c'est bien souvent le cas dans la nature. Il avait une confiance aveugle en cette grande dame, ignorant sans doute que les humains depuis toujours, aimaient à provoquer de grands troubles dans un ordre jusqu'à eux, immuables. Mais ne divulgachons point notre récit.
Le gland, pour des raisons obscures qui ne nous appartiennent pas d'élucider, attira l'attention et la convoitise d'un oiseau migrateur, un héron cendré, grand pêcheur devant l'éternel. Il survolait le Portugal, se dirigeant vers la France quand il s'aperçut qu'il ne disposait pas de son passe sanitaire. L'animal pensa qu'il pourrait contourner cet obstacle en graissant la patte d'un fonctionnaire lors d'un éventuel contrôle.
Qui avait pu mettre cette sotte idée dans sa petite tête ? Je ne peux vous éclairer à ce propos. Nos amis les oiseaux à force de nous prendre de haut, n'ont guère d'illusions sur nos petits et grands travers. Ils en paient d'ailleurs souvent le prix fort, que ce soit en se laissant prendre à l'infâme glu, dans les filets, sous les balles ou bien les crocs des chats domestiques.
Par contre le bel échassier se trompait lourdement en pensant qu'un gland lui aurait servi de monnaie d'échange. Il est de notoriété publique que les corrompus sont plus gourmands que ça. Cependant, comme le voilier malhabile et pataud, il passa sans encombre la frontière et se délesta de son gland dans une roselière située auprès d'une charmante rivière fort poissonneuse sur laquelle il jeta son dévolu.
Le gland ne fut pas mécontent de ce baptême de l'air. Il avait pris grand plaisir à voir du pays d'autant plus que bien souvent, un chêne-liège comme lui, n'est pas essence à se lancer dans la grande aventure du transport. Il prit racine entre les grands arbres à quenouille comme on appelle parfois les grandes cannes de Provence. Il comptait bien faire souche d'autant que le héron dans sa grande sagacité lui avait épargné un sous sol calcaire, parfaitement déconseillé à son espèce.
L'arbre en devenir qui avait grandi en apprenant la fable de Jean de la Fontaine, le chêne et le roseau, se persuada que là était sa chance. En s'associant avec l'un deux, il aurait un formidable tuteur pour l'élever vers les cieux tout en le préservant des tempêtes. C'est bien là le danger avec la littérature, il y a parfois des textes qui vous font prendre des vessies pour des lanternes. Nous allons le voir tout à l'heure…
Le gland germa et se lança dans sa lente et incertaine croissance. Il eut le bonheur de cohabiter avec un roseau de belle taille qui se caractérisait par une droiture remarquable. C'est ainsi qu'il consentit avec plaisir à servir de guide à ce nouveau venu. Le sens de l'hospitalité est plus fréquent chez les végétaux que parmi ceux de notre espèce bipède.
Leur collaboration fit des merveilles. Le roseau se dressait fièrement vers le ciel tandis que le jeune chêne liège grandissait cahin-caha comme le font tous ses semblables, s'accordant détours et contorsions pour aller de l'avant. Son guide le remettant souvent dans le droit chemin, en faisant ainsi un arbre très respectable.
Tous les deux, forts d'une complicité née d'une incroyable coïncidence, se voyaient vivre le reste de leur âge, sans soucis ni la moindre angoisse. Ils ignoraient que plane toujours la menace de l'exploitation humaine, les arbres étant dans le collimateur de bien des individus qui aiment à pratiquer la politique de la terre brûlée pour leur seul profit.
C'est pourtant un brave homme qui vint bouleverser l'existence de nos deux amis. Il était pêcheur et voulait s'équiper d'une canne pour tendre une ligne dans la rivière. Il jeta son dévolu sur cette perche parfaitement rectiligne qui pointait son nez dans le ciel. Il la coupa à la base, faisant fi des plaintes de cet étrange arbre biscornu qui faisait tâche dans la roselière.
L'homme se mit à dégager cette magnifique perche, légère à souhait qui allait servir à merveille son dessein halieutique. Soudain, pris d'une forte envie de se moucher et ignorant que plus tard c'est dans le coude qu'il faudrait se délester de la chose, pour attraper son joli mouchoir en tissu issu des manufactures de Cholet, il planta son couteau venu des coutelleries de Thiers dans le chêne qui se trouvait à ses côtés. Je tiens à toutes ces précisions pour vous signifier qu'à part l'arbre venu du Portugal, tous les autres acteurs de cette histoire ont vu le jour dans un pays qui était encore industrieux.
Constatant avec surprise et étonnement la facilité avec laquelle la lame s'enfonça dans l'arbre, notre personnage se pencha sur la question. Après avoir fait ce qui le préoccupait dans l'instant, emprisonnant une myriade de virus dans du coton soigneusement tissé afin qu'ils s'y tiennent à carreau, il chercha un usage pour ce bois si malléable et léger.
Poursuivant son dessein et las de mettre à l'eau des lignes de fond, il eut soudain la révélation d'une autre forme de pêche. Si au milieu de la ligne, un flotteur lui permettrait de rentrer en communication visuelle avec le poisson qu'il entendait piéger, la pêche deviendrait dans l'instant un loisir plaisant et non plus cette simple activité nourricière. Il touchait ainsi à la grâce, réalisant une avancée considérable dans la grande marche du progrès.
Le chêne voyageur fut sacrifié à l'autel de cette idée. L'homme poussa le bouchon plus loin encore en le coupant pour exploiter son invention à plus grande échelle. Le chêne et le roseau finirent en matériel de pêche, la Fontaine n'avait pas prévu cette fin tragique. Il est vrai qu'il ne s'appelait pas Rivière.
Le héron se mordit un temps les pattes d'avoir semé le gland en ce lieu. Il se trouva bien vite devant une armée d'individus jetant le bouchon dans sa rivière pour y prendre le poisson qui jusqu'alors lui servait de pitance. La concurrence fut si rude qu'il songea même reconvertir son alimentation vers les batraciens à la cuisse légère. Il en fut une fois encore pour ses frais puisque la grenouille se plut à se laisser prendre par ceux qui agitaient un chiffon rouge.
Le héron se jura, mais un peu tard, qu'il n'y avait rien à gagner à rendre service aux humains. Le roseau et le chêne quant à eux l'avaient payé de leur vie. Ce sont souvent les comparses d'une aventure qui trinquent en premier. On nomme ce phénomène du nom plaisant de dégât collatéral. Mais à force d'étendre leur pouvoir nocif sur toute la planète, les humains vont bientôt se mettre eux aussi en danger. Que cette farce leur mette un peu de plomb dans la tête, il en est grand temps.
Fabulistement leur.
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