La profondeur du banc

Je m'assois dessus.
Le langage sportif a ceci de merveilleux qu'il ne cesse d'inventer des balivernes qui par un étrange mystère font rapidement le tour de toutes les rédactions avant que d'entrer dans le langage commun. On peut supposer que l’imitation est la règle tandis que la force d'entraînement le principe fondateur de cette discipline.
C'est donc autour du banc de touche que je vais porter toute mon attention. Il y a tout d'abord une curieuse incongruité à placer sur le banc des remplaçants qui n'ont de cesse de réclamer des fauteuils de plus en plus confortables, dignes des baquets automobiles. Nous ne sommes pas à une fantaisie près dans ce monde où l'apparence prime sur toute autre considération.
Or donc, acceptons le postulat que sièges et places en tribune puissent passer pour un banc, examinons si vous le voulez bien la notion de profondeur pour ce présentoir à séants en short. À moins que la formule fût venue d'une équipe de water-polo, je ne vois pas en quoi il faille creuser plus à même cette étrange confusion géométrique.
Le banc peut prendre de la hauteur quand on le place parmi les spectateurs tandis que les blessés, les joueurs qui ne sont pas sur la feuille de match, pour des raisons qui ne m'appartient pas de juger, préfèrent côtoyer les invités prestigieux dans les loges plutôt que les spectateurs de base à l'exception de ceux de la main courante, qui eux n'ont pas droit de s'assoir. Vous me suivez encore ?
Le banc supporte également une certaine largeur puisque dans nombre de sports collectifs, le nombre de remplaçants tant à progresser plus vite que le niveau de jeu. On peut s'en étonner du reste alors que les préparateurs physiques semblent être au summum de leurs compétences, n'ayant pas honte de recourir à des produits prohibés pour accroître les performances.
Si le banc est réservé aux doublures, aux éternels remplaçants, aux jeunes, aux inconnus, il n'est pas judicieux dans pareil cas d'évoquer la profondeur. Celle-ci s'applique quand des pointures cirent le strapontin sur lequel ils doivent purger une mise à l'écart, une mise au ban, dirait-on dans d'autres milieux.
Quand le banc accueille la crème, des postulants à la titularisation, c'est alors qu'on plonge tête la première dans la notion de profondeur. Est-ce en référence aux abysses de perplexité dans lesquels se morfondent ces malheureux tant que l'entraîneur ne fait pas appel à eux ? C'est tout à fait possible quand les caméras s'attardent sur la tronche des pénitents.
Cette profondeur relève sans doute de l'état d'âme de ces pauvres vedettes déchues, dans l'attente de fouler enfin le théâtre des opérations. Elles cogitent sur ce banc d'infamie, se demandant ce qu'ils ont fait au bon dieu : l'entraîneur, pour ainsi se retrouver rabaisser au rang de faire-valoir. C'est à n’en plus douter de ce déclassement que surgit la profondeur sus-évoquée.
On peut remarquer encore qu'il existe des joueurs sujets à la phobie des profondeurs, une forme de vertige inverse. Ils ont tellement la grosse tête, qu'ils ne pourraient tolérer d'abandonner la pelouse pour à leur tour, se retrouver sur le banc des accusés. En dépit de la fréquence de leur prestation médiocre, leur salaire comme leur réputation leur interdisent moralement de s'abaisser dans de telles profondeurs.
Finalement, après un examen aussi objectif que possible de l'expression, force est de constater qu'en dépit d'une réputation fort injuste, nos journalistes sportifs sont capables de fulgurances dans le choix de leurs formules. Celle-ci, permet de faire passer bien des messages sans avoir l'air d'y toucher. Je me résous donc à proposer un triple ban pour les commentateurs qui en usent ainsi à si bon escient.
À contre-pied.
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