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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Le mariage impossible

Le mariage impossible

Entre Rhône et Saône 

La légende de Saint Amour !

Il était une fois, en une époque très lointaine, un village en bord de Saône qui était le point de rencontre des nautoniers et des bêcheuses ne trouvant pas époux. Durant une semaine, à la mi-février, il y avait là sur la rivière un grand rassemblement de bateaux, tous alignés à la queue leu leu sur le quai. Chaque bateau avait sur son pont un abri de fortune, une cabane ou bien un refuge confortable pour célébrer le rituel des mariniers à marier.

Les batelières, marinières et bêcheuses qui espéraient trouver un cœur à prendre avaient chacune une embarcation. Elles attendaient la nuit tombante, dans le secret d'un nid pas toujours très douillet, pour rencontrer celui qui désirait se faire apprécier d'elle par ses tendres baisers et ses caresses secrètes.

Si l'union consommée dans l'obscurité satisfaisait les deux amants, au petit matin, le jour se levait sur un couple qui allait être marié sans plus attendre dans l'église de Saint Amour. Si les corps n'avaient pas trouvé terrain d'entente, frissons communs et tendresse délicate, l'homme quittait l'embarcation avant les premières lueurs, dépité et honteux, pour tenter sa chance, le soir-même, sur un autre bateau.

C'était une époque où les mœurs étaient plus libres : l'église naissante acceptait que les mariages fussent consommés à l'essai et les futurs maris n'exigeaient pas de leur épouse une virginité qu'ils n'avaient pas non plus respectée. Cette étrange coutume, au bon plaisir du clapot de la Saône, amusait les gens du pays qui, d'ailleurs, prenaient un malin plaisir à se promener ces nuits-là en bord de rivière pour écouter, l'oreille aux aguets, les murmures et les soupirs qui montaient au-dessus des flots.

C'est une belle histoire d'amour qui pourtant mit fin à ce joli rituel. La marinière s'appelait Blanche ; elle était belle à vous damner mais se montrait si exigeante pour la célébration de la chair qu'elle repoussait chaque nuit celui qui s'était aventuré à lui offrir du plaisir. Elle reprochait toujours à ces mariniers, un peu rustres, des manières trop vulgaires, l'absence de délicatesse et un empressement si fréquent que la dame restait plus souvent sur le quai qu'elle ne montait à la vergue.

Pendant les premières années, nombreux étaient ceux qui tentèrent de la satisfaire. Puis au fil des sessions amoureuses, les bateliers à marier redoutaient tant les lazzis de leurs camarades au lendemain de leur défaite, qu'il y eut de moins en moins de postulants. Blanche se morfondait dans son coche d'eau : elle ne trouverait jamais celui qui la ferait se pâmer.

 

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Pourtant, une nuit, un homme monta sur le pont. Dans la nuit noire, il frappa à la porte de sa cabane et Blanche l'invita à entrer. Ce qui se passa alors, nul ne le saura jamais. Ceux qui entendirent leur mélodie d'amour en gardèrent un souvenir impérissable. Les badauds, les curieux, les oiseaux, les castors, les poissons eux aussi se regroupèrent pour écouter ces murmures qui montaient du bateau en une ode merveilleuse à la félicité.

Pourtant, avant que le soleil ne se lève, Blanche se retrouva seule. Son visiteur au terme d'une nuit d'amour comme jamais on n'en connut sur la rivière, était parti sans demander la main de celle qui lui avait donné les plus belles émotions de sa vie. Blanche était désespérée ; elle pensait ne jamais retrouver pareille jouissance.

La nuit suivante cependant, le même visiteur revint. La nuit fut encore plus tumultueuse que la veille. Le bateau était en transe, le chant d'amour éblouissait la rivière. Cette transe, non seulement ne choquait pas ceux qui l'entendaient mais au contraire les poussait, eux aussi, à aimer à la folie. Il y eut sur les quais de Saint Amour des scènes qu'il est préférable de taire ici.

Hélas, une fois encore, le mystérieux visiteur partit avec l'aube, laissant Blanche à son désarroi. Qui était donc ce merveilleux amant, ce tendre visiteur si attentif, si précautionneux, si inventif dans ses assauts, si enflammé dans ses abandons ? La dame voulait savoir la raison de sa fuite ; elle désirait le retrouver de jour.

Blanche se doutait qu'il avait quelque chose à cacher : un défaut, une malformation, un secret qu'il préférait taire plutôt que de risquer d'effrayer sa belle. La dame était résolue à passer outre : c'est lui qu'elle voulait pour mari ; il n'y avait aucune tare, aucun mystère qui aurait pu briser l'amour qu'elle avait pour lui.

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Elle se résolut à lui tendre un piège pour qu'au lendemain, si l'oiseau s'était envolé une fois encore, elle pût l'identifier parmi tous les autres. Il ne pouvait se volatiliser, elle était certaine de le retrouver et de le prendre pour époux ; qu'importe la malformation qu'il voulait lui soustraire. Elle imagina un stratagème et l'attendit, impatiente des plaisirs qu'ils allaient célébrer.

Elle ne fut pas déçue. Le mystérieux visiteur revint et lui accorda encore plus qu'il n'avait donné jusqu'alors. Leur union, leur confusion, dura toute la nuit. Le sol tremblait, la rivière se soulevait, le vent murmurait au rythme de leurs soupirs. La ville tout entière fut prise d'une frénésie d'amour. Ce fut la nuit la plus coquine qu'on ne connût jamais de mémoire d'humain.

Au petit matin, le galant magnifique était, une fois encore, parti sans demander son reste. Le jour se levait et bien vite Blanche se mit à sa recherche. Elle avait badigeonné ses mains d'une poudre de lawsonia inermis, un pigment plus connu de nos jours sous le nom de henné. En voyant sur le quai un garçon au visage marqué de taches brunes, elle poussa un cri de surprise et cette fois, l'histoire tourna à la tragédie …

Son amant n'était autre que son jeune frère Carmin. Celui-ci, en voyant tous les regards converger vers lui, comprit que sa sœur qu'il chérissait tant avait déjoué son stratagème. Carmin s'empourpra, Blanche devint si livide qu'elle ressemblait à un spectre. Tous deux avaient bravé l'interdit, le tabou absolu. Leur union était non seulement impossible, mais elle offensait la morale.

C'était une époque où il y avait encore des mages capables par quelques sortilèges, d'apporter une réponse aux situations les plus inextricables. Merlin vint à eux, les prit à part pour leur expliquer le poids de leur faute. Si Blanche était consciente de ce qu'ils avaient commis, Carmin, en son jeune âge, eut bien du mal à admettre sa forfaiture.

Merlin, pour le salut de toute la communauté marinière mais aussi pour préserver l'équilibre des règles qui régissent l'union des hommes et des femmes, prévint Blanche et Carmin qu'il lui fallait les punir. Il ne pouvait en être autrement : la sentence serait terrible et irrémédiable. Elle devait servir de leçon pour tous les autres. Blanche et Carmin étaient condamnés.

Merlin, en grand mage qu'il était, fit des merveilles. Sa punition devait enseigner le peuple, porter en elle une bonne pédagogie, simple et lisible pour que le message à jamais reste dans les esprits. L'interdit de l'inceste entre frère et sœur était une règle incontournable. Il fit des incantations magiques, des prières étranges, il passa sur le corps des deux malheureux d'étranges poudres, de mystérieux onguents.

Puis Merlin sortit de sa tanière, porteur de deux cruchons. L'un contenait un breuvage clairet, léger et d'une tendre couleur de paille ; l'autre était d'un rouge vif, épais et vermillon. Merlin venait de créer le vin blanc et le vin rouge pour faire comprendre à tous que le mariage de la sœur et du frère était interdit à jamais.

Pour célébrer ce mystère, le 14 février à Saint Amour, les femmes buvaient du vin blanc jusqu'à en avoir la tête qui tourne. Les hommes, comme de coutume en ce temps-là, consommaient du vin rouge jusqu'à plus soif. Quand le vin était bu, la bacchanale de la Saint Amour pouvait débuter pour célébrer Blanche et Carmin.

Madame, si mon histoire vous semble improbable, offrez-moi donc une chopine de vin rouge : un bon Saint Amour par exemple. Buvez, quant à vous, une cruche de vin blanc, un Chardonnay de Mâcon à votre convenance. Quand nous aurons fini nos cruchons, nous en reparlerons !

Bacchanalement sienne.

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Bêche : Nom des toues sur le Rhône. “On se contentait, dans les points où le quai était le plus fréquenté, de se dérober aux regards au moyen de petits bateaux plats appelés toues, et qui supportaient une toile sur trois perches ; ces mêmes bateaux, appelés bêches, étaient en usage sur le Rhône, à Lyon, et les bateaux de bains, dans cette ville, en ont conservé le nom”.

Bêcheuse : À lyon, ce sont surtout des femmes qui pilotaient ces petites embarcations qui servaient de taxi d'eau.

Nautonier : Batelier et marinier


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6 réactions à cet article    


  • Hector Hector 16 février 2015 12:51

    D’un si joli vin ne pouvait naître qu’un si joli conte ou peut être est-ce l’inverse ?
    Merci de cette belle et édifiante histoire.


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 février 2015 13:17

       Hector


      Le vin pour étancher ma soif d’histoires ...

      Merci à vous de venir trinquer avec moi 

    • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 16 février 2015 16:34

      @Nabum

      Milles « Confluences » à vous, Nabum !


      • C'est Nabum C’est Nabum 16 février 2015 19:39

        Mohammed MADJOUR

        Mille et une j’y tiens vraiment et vous devez savoir pourquoi 

      • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 18 février 2015 13:57

        @Nabum

        Je vous accorde la mille et unième avant même que je ne cherche à savoir...

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