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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Le point d’orgue

Le point d’orgue

L’apogée précède la chute !

Depuis le temps que j’en rêvais de me produire dans une véritable salle de spectacle, non point une salle des fêtes avec des chaises amovibles installées sur un parterre plat ni même une fête champêtre avec son estrade et son public mouvant, mais un espace en pente, ouaté, confiné , cossu, avec des fauteuils moelleux dans lesquels viennent s’enfoncer des spectateurs dans l’obscurité. Certains diront que c’est un désir d'orgueilleux, d’autres que c’est une prétention bien au-delà de mes moyens. Je n’en ai cure, cette idée était pour moi l’expression même d’un idéal à atteindre.

Ce sont les adhérents du Groupe Histoire locale de la Chapelle Saint Mesmin qui ont osé ce défi, invitant les Traîneux de Grève à faire spectacle dans la salle de l’auditorium de l’Espace Béraire. Pari insensé à mes yeux d’éternel pessimiste, je ne nous pensais pas capables de remplir la salle sous le seul effet d’une réputation qui a bien du mal à décoller en dehors d’un cercle restreint d’initiés et d’amis.

Il est vrai que ce que nous proposons échappe à la mode, à la tendance et plus encore à la facilité des productions tapageuses et cosmopolites. Les pieds dans la tradition, l’histoire et le local, nous n’avons aucune chance de toucher les gens résolument branchés, les tenants d’une culture universelle et les adeptes de l’uniformité. Des contes et des chansons de facture classique, évoquant un monde ancien et désuet, voilà qui est de nature à faire fuir le spectateur contemporain.

Pourtant à l’ouverture des portes, le miracle eut lieu, la salle se remplit. Il est vrai que sa jauge était réduite (cent cinquante places) mais jamais je n’aurais imaginé que nous puissions ainsi réunir autant de monde. Bien sûr, les amis, les fidèles, les organisateurs avaient fait nombre. Mais il y avait aussi des curieux, attirés par une campagne d’affichage qui avait atteint son objectif.

Il ne nous restait plus qu’à séduire ceux qui ne nous connaissaient pas ! La belle affaire que voilà quand pour la première fois en ce qui me concerne, je racontais pour des gens que je ne voyais pas à l’exception de ceux des deux premiers rangs. Curieux sentiment que celui de l’orateur aveugle, prêcheur dans le désert d’une obscurité indéchirable. Rien ne m’avait préparé à ce sentiment de ne pas parvenir à toucher les cœurs faute de les voir vraiment.

Je dus être hésitant, incertain parfois. J’avançais comme un funambule en quête permanente d’un équilibre impossible tandis que mes compères déroulaient simplement, me semble-t-il leur programme musical. Je n’ai pas osé aller comme à mon habitude dans la salle, me retrouver au contact de ces oreilles sans visage, de ce public qui s’était dérobé à moi. J’ai sans doute eu tort, il faut bien l’admettre et cela explique le sentiment d’inachevé qui est mien au terme de cette première véritable expérience scénique.

Les applaudissements, le rappel, les félicitations ultérieures ne m'ôteront pas de l’idée que ce que je pensais être une consécration marquait peut-être le début d’autre chose. Que deviendra cette expérience ? Comment rendre plus cohérent une prestation qui jusqu’à présent ne s’est construite qu’au travers des bons sentiments des uns et des autres. La mise en scène s’impose, une telle salle est révélatrice de bien des imperfections, mineures sans doute mais criantes dans un tel contexte.

Je découvre que le seul contenu ne suffit pas, qu’il a besoin du sel d’un décor conçu avec soin, de l’harmonie d’une mise en lumière, d’un déroulé qui comporte des répliques qui rebondissent, pimentent la soirée, d’une complicité entre des acteurs plus tangible qu’elle ne l’était ce soir-là, d’une présence au public plus forte. C’est un travail qui a bien du mal à se satisfaire de l’éternelle improvisation qui est mienne. J’ai dû, en ce sens, constituer un poids pour mes deux collègues, centrés sur la musique et certes plus rodés à la pratique scénique. Je découvrais ainsi le décalage qui existait entre des musiciens et un simple parleur. Je me lamentais en mon fort intérieur ; ce que j’avais souhaité comme une réalisation, une apogée préfigurait tout aussi bien une chute future.

Quant au choix de la chanson pour le rappel, il m’a démontré à quel point, nos sensibilités ne sont pas sur la même longueur d’onde, l’un allant vers l’océan tandis que l’autre reste les pieds dans le sable de Loire. Mon collègue le musicien se considéra toujours comme un barde breton, un amoureux de la poésie tandis que le conteur se contente de mots plus prosaïques. J’ai le sentiment de ne faire pas en osmose avec ce curieux duo de musiciens à la complicité éclatante et exclusive.

Il me fallait coucher sur le papier ces réflexions qui pourront surprendre ceux qui assistèrent à ce spectacle. Elles me sont nécessaires, qu’importe si elles ne sont pas comprises. J’ai quitté cette soirée avec autant de satisfaction et de joie profonde que d'amertume insidieuse et tenace. Je ne peux en expliquer mieux les causes, une sorte de fracture lancinante, de décalage désagréable entre le réel et le rêvé. Certains appellent cela le principe de réalité. Admettons cela et contentons-nous pour l’heure de poser de vaines interrogations. Depuis, un ami bien intentionné a couché sur le papier tout ce qui clochait, de quoi me donner le bourdon et mettre en point final à cette belle aventure !

Spectaclement vôtre.

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4 réactions à cet article    



    • C'est Nabum C’est Nabum 23 novembre 2017 17:44

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Levons la mitre et la chasuble


    • juluch juluch 23 novembre 2017 14:36

      Se fut quant meme un succés non Nabum ??


      A la prochaine salle !!!

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