Israel Finkelstein, Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée
Israel Finkelstein, Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée, traduit de l'anglais par Patrice Ghirardi, Editions Gallimard, collection Folio Histoire, 2002
Israel Finkelstein dirige l'Institut d'archéologie de l'université de Tel-Aviv ; il est coresponsable des fouilles de Megido. Neil Asher Silberman est directeur historique au Centre Ename pour la présentation de l'archéologie et de l'héritage public de Belgique.
Sommaire :
Remerciements - Prologue. Au temps du roi Josias - Introduction - La Bible et l'archéologie
Première partie : L'HISTORICITE DE LA BIBLE. 1. En quête des patriarches - 2. L'Exode a-t-il eu lieu ? - 3. La conquête de Canaan - 4. Qui étaient les Israëlites ? - Souvenirs d'un âge d'or ?
Deuxième partie : L'EMERGENCE ET LA CHUTE DE L'ANCIEN ISRAËL. 6. Un seul Etat. Une seule nation. Un seul Peuple ? (env. 930-720 av. J.-C.) - 7. Israël. Le premier royaume tombé dans l'oubli (884-842 av. J.-C.) - A l'ombre de l'Empire (842-720 av. J.C.)
Troisième partie : JUDA ET LA CREATION DE L'HISTOIRE BIBLIQUE. 9. La transformation de Juda (env. 930-705 av. J.-C.) - 10. Entre guerre et survie (705-639 av. J.-C.) - 11. La grande réforme (639-586 av. J.-C.) - 12. L'exil et le retour (586-440 av. J.-C.)
Epilogue. L'avenir de l'Israël biblique -
APPENDICES : A. Théories relatives à l'historicité des patriarches - B. En quête du Sinaï - C. Autres théories de la conquête israélite - D. L'erreur de l'archéologie traditionnelle relative aux périodes davidiques et salomonique - E. identification du règne de Manassé dans les découvertes archéologiques - F. Quelles étaient les limites du royaume de Josias ? - G. Les frontières de la province de Yehoud
Bibliographie - Index
Quatrième de couverture :
"Quand et pourquoi la Bible a-t-elle été écrite ? Que savons-nous des premiers patriarches ? Quand le monothéisme est-il apparu ? Comment le peuple d'Israël est-il entré en possession de la Terre promise ? Jérusalem a-t-elle toujours été le centre de l'ancien Israël ?
Pour la première fois, il est possible de répondre à ces questions avec un haut degré de certitude. Car les auteurs, Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman, puisent leurs arguments dans les découvertes archéologiques les plus récentes, entreprises en Israël, en Jordanie, en Égypte, au Liban et en Syrie.
Loin de sortir désenchanté de cette mise à plat historique du Livre des livres, le lecteur est d'autant plus fasciné par ces nomades et ces agriculteurs d'il y a trois mille ans, qui ont su fabriquer, en des temps de détresse ou de gloire, un récit dont la fécondité n'a cessé d'essaimer au-delà de ce peuple."
Déclaration d'intention des auteurs :
"L'idée d'écrire ce livre nous est venue il y aura bientôt huit ans, au cours d'un week-end paisible que nous passions en famille, sur la côte du Maine. Le débat autour de la véracité historique de la Bible commençait de nouveau à passionner un nombre considérable de personnes qui n'appartenaient pas au cercle des savants ; il devenait donc nécessaire - et nous en avons pris conscience - de mettre à la disposition du grand public un ouvrage d'actualité sur le sujet.
Nous souhaitions y présenter l'ensemble des preuves historiques et archéologiques qui, selon nous, imposaient une nouvelle manière de comprendre la naissance de l'ancien Israël et l'émergence de ses textes sacrés et historiques.
Depuis lors, au fil des ans, le Bible a fait l'objet de controverses archéologiques de plus en plus âpres. Elles ont parfois donné lieu à des attaques personnelles, voire à des accusations de mobiles politiques cachés. L'exode a-t-il vraiment eu lieu ? Canaan a-t-il vraiment été conquis ? David et Salomon ont-ils vraiment régné sur un vaste empire ?
Ce type de questions ne pouvait qu'attirer l'attention des médias partout dans le monde. Les débats publics suscités par chacune de ces questions s'écartaient souvent des limites précises des sciences de l'archéologie et de la critique biblique pour s'aventurer dans les domaines brûlants de la théologie et des croyances religieuses.
Nonobstant les passions soulevées par de tels sujets, nous estimons qu'un réexamen des découvertes antérieures et de celles provenant de fouilles actuelles démontre clairement que, dorénavant, les savants devront aborder le problème des origines de la Bible et de l'antique société israélite à partir d'une perspective entièrement nouvelle.
Dans les prochains chapitres, nous apporterons les preuves qui étayent cette affirmation ; elles brossent un panorama historique de l'ancien Israël qui diffère sensiblement de celui auquel nous avons été accoutumé. Nous laissons au lecteur le soin de décider si notre reconstruction s'accorde avec ces preuves. (p.9-10)
Une question de méthodologie :
"Quelques mots à propos du traitement des matériaux bibliques. Certains de nos collègues se demandent sur quelle base nous excluons l'historicité d'un verset de la Bible (1R 9,15) alors que nous acceptons l'historicité d'autres versets, par exemple celui qui attribue à Achab la construction du palais de Jezréel (1 R 21,1) et celui qui attribue à Omri la construction de celui de Samarie (1 R 16, 24). C'est une question de méthodologie. Il faut bien se garder de traiter le matériau biblique comme s'il s'agissait d'un monolithe. Il n'est pas à prendre ou à rejeter d'un seul bloc. Deux siècles de recherches bibliques ont prouvé que le matériau biblique doit être évalué chapitre par chapitre, parfois même verset par verset. La Bible a incorporé des matériaux historiques, non historiques, et quasi historiques, qui sont parfois très proches dans le texte. La recherche biblique consiste essentiellement à distinguer les passages historiques de ceux qui ne le sont pas, en faisant appel à des considérations linguistiques littéraires et extra-bibliques. Par conséquent la réponse est : oui, il est permis de douter de l'historicité d'un verset et d'accepter celle d'un autre, en particulier dans le cas d'Omri et d'Achab, dont les royaumes furent décrits dans les textes contemporains assyriens, moabites et araméens." (p.501)
Mon avis sur le livre :
Se fondant sur les découvertes archéologiques les plus récentes, les auteurs entendent démontrer que la Bible a été écrite aux alentours du VIIème siècle avant Jésus-Christ et pas avant, au temps du royaume de Juda, sous le règne du roi Josias.
Les épisodes bien connus de l'ancien Testament : l'histoire des patriarches (Abraham, Moïse, Isaac, Jacob), l'exode, la conquête du pays de Canaan par Josué, les exploits de David, le règne glorieux de Salomon... ne doivent pas être pris au pied de la lettre, mais interprétés "a minima".
Josué est une figure mythique, une idéalisation du roi Josias ; son armée n'a pas abattu les murailles de Jéricho (l'archéologie ne décèle aucune trace de murailles) et ne s'est pas emparé du pays de Canaan, de même les "royaumes" de David et de Salomon n'avaient ni la richesse ni la puissance que leur attribue la Bible. Les recherches archéologiques ont apporté la preuve que ce sont les Omrides, et non pas Salomon, qui ont fondé la première monarchie pleinement constituée d'Israël (p.285)
"David et Salomon ne furent guère que des chefs de clan dont le pouvoir administratif local s'étendait uniquement sur la région montagneuse qu'ils contrôlaient (...) En dépit de l'insistance biblique sur le caractère unique d'Israël, le royaume qui émergea dans le Nord au début du IXème siècle av. J.-C. était d'un type tout à fait répandu dans le Proche-Orient de l'époque." (p.288)
De même, Jacob et Esaü n'ont pas "réellement" existé, mais symbolisent la rivalité séculaire entre le royaume du nord autour de Samarie (Esaü) et la royaume de Juda, au sud, autour de Jérusalem (Jacob).
"La Bible nous propose une interprétation rétrospective (théologique) des événements et non une description exacte du passé." (p.369)
"Il paraît évident que le livre de la Loi dont parle le second livre des Rois n'est autre que la version originelle du Deutéronome. On peut en conclure sans risque d'erreur que loin d'être un document ancien découvert par surprise, il fut en réalité composé au VIIème siècle av. J.-C., immédiatement avant ou pendant le règne de Josias." (p.417)
"(...) L'histoire deutéronomiste n'a rien d'historique, dans le sens moderne du terme. sa composition répondait à un double besoin, idéologique et théologique." (p.421)
Ces affirmations semblent contredire "l'archéologie biblique" et tout ce que l'on croyait savoir sur le livre le plus lu au monde, confirmant les doutes de Spinoza : Moïse ne peut pas être l'auteur du Pentateuque), de l'exégèse historique : Renan, Loisy, Schleimarcher... et des "maîtres du soupçon" : Galilée : Josué n'a pas pu arrêter la course du soleil, Darwin : Monsieur Adam et Madame Ève n'ont pas vraiment existé, Marx : la Bible apparaît, du moins en partie, comme une entreprise de légitimation "idéologique", en l'occurrence théologique, d'intérêts identitaires, politiques et économiques, Freud : la religion est une production du désir, mais aussi Marcion et Simone Weil : la conscience moderne ne peut admettre la violence vengeresse du Dieu de l'Ancien Testament.
Note 1 : Marcion dit du Pont ou de Sinope (né à Sinope vers 85, mort vers 160) est une personnalité du christianisme ancien de la fin du Ier et de la première moitié du IIe siècle.La doctrine de Marcion rompt avec la tradition juive : du contraste absolu — qu'il décèle dans les épîtres de Paul — entre la loi juive et l'Évangile, il conclut à l'existence de deux principes divins. Marcion dénie ainsi la continuité entre la Bible hébraïque et le nouveau message ainsi qu'il distingue le Dieu créateur qui serait un Dieu de colère et, supérieur à ce dernier, le Dieu de bonté apparu dans l'Évangile qui serait un Dieu d'amour. Ce dernier est le Père de Jésus-Christ qui est venu pour abroger la Bible hébraïque et le culte de son démiurge. La doctrine de Marcion a été condamnée comme hérétique par l'Eglise catholique (source : wikipedia)
Note 2 : L'archéologie biblique est une activité d'archéologie consistant en l'étude du passé de la Terre sainte (actuels Palestine, Israël, Liban, Syrie, Jordanie), et plus généralement de tous les territoires concernés par la Bible (Égypte, Mésopotamie), au travers de la lecture de la Bible. Cette discipline est désormais pratiquement abandonnée. L'archéologie biblique n'est plus considérée, par la plupart des archéologues actuels, comme une activité scientifique. La raison en est que cette recherche est préorientée par ce qui est écrit dans la Bible : selon ses propres fondateurs, on travaille « une pioche dans une main et la Bible dans l'autre ». (source : wikipedia)
Il ne s'agit pas d'adhérer systématiquement aux conclusions de ces auteurs, dont les critiques proviennent d'ailleurs de points de vue très différents, tantôt scientifiques (Galilée, Darwin), tantôt théologiques (Marcion), tantôt éthiques (la philosophe Simone Weil), mais de reconnaître la part de vérité qu'elles recèlent.
La séparation kantienne entre la foi et le savoir ("J'ai borné le savoir pour laisser une place à la foi") s'en trouve légitimée : la théorie du "Big Bang" ne "prouve" pas le récit de la création dans la Genèse, pas plus que le suaire de Turin ne "prouve" la résurrection de Jésus.
Le livre d'Israel Finkelstein et de Neil Asher Silberman a provoqué la colère des fondamentalistes de tous bords qui veulent que la Bible soit littéralement vraie, mais ne peut que réjouir ceux qui refusent de croire en un dieu vengeur qui bénit les armées et qui légitime le massacre des enfants au berceau (la mort des premiers nés égyptiens dans le Livre de Exode).
Les auteurs notent cependant que le livre du Deutéronome contient des codes éthiques et des clauses en faveur du bien-être social qui n'ont aucun parallèle ailleurs que dans la Bible. "Le Deutéronome plaide pour la protection de l'individu, pour la défense de ce que nous appelerions aujourd'hui les droits de l'homme et de la dignité humaine. Ses lois expriment un souci nouveau en faveur des faibles et des indigents à l'intérieur de la société judéenne." (p.423)
"Les lois du Deutéronome représentent un nouveau code de droits et de devoirs individuels pour le peuple d'Israël. Elles ont également servi de fondement à un code social universel et à un système de valeurs communautaires qui perdurent - même aujourd'hui." (p.426)
Il faut nous débarrasser des œillères de la mythologie et de la littéralité et admettre qu'il existe, selon l'expression de Paul Ricoeur, un "conflit des interprétations" : une interprétation historique de la Bible qui ne passe plus et une interprétation symbolique qu'il nous appartient de creuser, sans remplacer, comme le fait Freud dans L'homme Moïse et la religion monothéiste, une explication mythologique par une autre, encore plus mythologique (un Moïse égyptien, disciple d'Akhénaton, tué par les Hébreux).
C'est à cette tâche herméneutique que nous devons nous atteler. Faut-il considérer la Bible comme une épopée mythique nationaliste, à l'instar de l'Iiade d'Homère ou de la Bhagavad Gita ? La Bible n'est-elle qu'un tissu de mensonges ? Y a-t-il d'autres critères de vérité que l'historicité ? Quelle est sa part de vérité ? A-t-elle encore quelque chose à dire à l'homme d'aujourdhui ?
"L'intégrité de la Bible et, en fait son historicité, ne se fondent pas sur les preuves historiques d'événements ou de personnages donnés, comme le partage des eaux de la mer Rouge, les sonneries de trompettes qui abattirent les murs de Jéricho, ou David tuant Goliath d'un seul jet de fronde. Le pouvoir de la saga biblique repose sur le fait qu'elle est l'expression cohérente et irrésistible de thèmes éternels et fondamentaux : la libération d'un peuple, la résistance permanente à l'oppression, la quête de l'égalité sociale, etc. Elle exprime avec éloquence la sensation profonde de posséder une origine, des expériences et une destinée communes, nécessaires à la survie de toute communauté humaine.
En termes purement historiques, nous savons maintenant que l'épopée de la Bible a émergé dans un premier temps en réponse aux pressions, aux difficultés, aux défis et aux espoirs vécus par le peuple du minuscule royaume de Juda, pendant les décennies qui ont précédé son démantèlement, ainsi que par la communauté encore plus réduite du second temple de Jérusalem, pendant la période postexilique (l'exil à Babylone).
La plus grande contribution offerte par l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible est peut-être celle-ci : que des sociétés aussi réduites et isolées, relativement pauvres, comme l'étaient le royaume de Juda de la monarchie tardive et le Yehoud postexilique, ont été capables de produire les grandes lignes de cette épopée éternelle en un laps de temps aussi court.
Une telle compréhension est fondamentale. En effet, ce n'est qu'à partir du moment où nous percevons quand et pourquoi les idées, les images et les événements décrits dans la Bible en vinrent à être tissés ensemble avec une telle dextérité que nous pouvons enfin apprécier le véritable génie et le pouvoir constamment renouvelé de cette création littéraire et spirituelle unique, dont l'influence fut tellement considérable dans l'histoire de l'humanité". (p.470)
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