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Justice familiale et « intérêt de l’enfant » : le rite sacrificiel du donjon

Le donjon du château de Vincennes, coeur de la Nation voulu par Charles V le Sage au XIVe siècle, puis célèbre prison qui abrita nombre de grands personnages dont Diderot, fait volontiers penser à l'institution judiciaire française en matière familiale : un bastion d'obscurantisme médiéval au coeur de la société.

Un citoyen qui s'adresse à la justice est en souffrance, il a une demande à formuler, une demande qui s'exprime en parole. Nombre de philosophes ont écrit sur cette parole de souffrance et la façon dont elle est reçue par la l'institution judiciaire. Nous citons ci-dessous de brefs extraits du livre Appel à une réforme de la Justice familiale (Ed.du Cerf, Paris 2010, p.11 à 13) de Jean-Marc Ghitti, agrégé de philosophie qui s'est particulièrement penché sur la justice familiale, reprenant entre autre René Girard, de l'Académie Francçaise, qui s'est intéressé au mécanisme victimaire, c'est-à-dire à la dynamique du bouc émissaire dans une société.

"Une parole est un parcours du sentiment, une certaine manière d'être touché par ce qui arrive. [...] La parole commence par une plainte, car elle est nourrie par une peine. Il faut tout de suite distinguer la peine dans le sens pénal, qui résulte d'une punition justifiée par la culpabilité, et la peine qui résulte d'un dommage injustifié. C'est peut-être ce que tente de faire le juriste américain Ronald Dworkin (1) en construisant la notion de dommage moral. Il le fait avec la froideur du juriste, hors de tout pathos. Nous savons tous d'expérience que l'injustice fait naître en nous une souffrance particulière, qu'elle génère une émoton très forte qui nous pousse à la révolte et qu'elle peut briser celui qui en est la victime.

En juriste, Dworkin sait bien qu'un système judiciaire n'a nullement besoin d'être juste pour fonctionner efficacement. Le sacrifice de quelques victimes innocentes est même beaucoup moins dommageable au système que de reconnaître des erreurs qui nuisent grandement à la confiance et à l'autorité que ce système se doit d'inspirer. René Girard a certes montré que le procès judiciaire est destiné à remplacer le système sacrificiel, mais dans la réalité de l'histoire, nous pouvons constater que le sacrificiel est venu retrouver une place plus ou moins grande à l'intérieur du judiciaire, une place occulte évidemment. En matière familiale, des très nombreuses affaires se règlent par le sacrifice pur et simple d'un des deux parents qui se trouve, de manière quasi rituelle, disqualifié jusqu'à l'abjection et mis à part.

La chose est tellement admise que non seulement on la tolère dans la pratique mais qu'on peut même lui donner une justification philosophique, ou au moins théorique. C'est ce que tente de faire le pragmatisme juridique qui pense que le système à régler les conflits fonctionne d'autant mieux qu'on y passe par pertes et profits quelques victimes innocentes. [...] En réalité, le pragmatisme juridique ne fait donner une forme argumentée à ce qu'on appelle généralement le cynisme.

[...] En matière familiale, c'est tous les jours que les tribunaux produisent des dommages moraux irréversibles, ou comme on le dit dans le langage le plus ordinaire, des blessures qui ne se refermeront jamais. Tout simplement parce qu'on y possède un outil redoutable, avec lequel on peut faire à peu près tout ce que l'on veut : l'intérêt de l'enfant."

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(1) Ronald Dworkin, Une question de principe, Paris, PUF, 1996


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